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CHAPITRE II.

Origines du moyen âge.

Les premières années d'un siècle ne lui appartiennent pas; elles ne sont que le prolongement et l'écho du siècle qui le précède, et qui achève en quelque sorte de mourir dans la couleur indécise du siècle qui le remplace. Ainsi des grandes époques de l'esprit humain : elles ne se peuvent bien comprendre et expliquer que par les temps qui les ont préparées, et dont elles sont l'ouvrage. Il est donc nécessaire, pour bien saisir et contempler le moyen âge, de porter nos regards en arrière, et de remonter au-delà; il en faut étudier la naissance dans la vieillesse de l'empire romain, et dans la disposition des esprits à cette époque de lutte entre le paganisme mourant et le christianisme plein de jeunesse et d'avenir. Avec le christianisme, en effet, commence le moyen âge, comme avec Constantin la royauté moderne.

Le premier trait caractéristique du moyen âge, le besoin de croyances et aussi de supers

titions, se trahit dès le deuxième siècle, au sein même de la société païenne. Alors s'empare de tous les esprits une singulière curiosité, une passion nouvelle pour les sciences occultes. Apulée nous a révélé tous ces mystères bizarres, qui semblaient annoncer, en les dénaturant, les habitudes ascétiques, les pratiques rigoureuses et sombres qui firent du moyen âge une longue expiation : la vie monastique eut son principe dans les initiations philosophiques autant que dans les cérémonies chrétiennes.

Ne peut-on aussi découvrir l'origine de la scolastique et de ses vaines subtilités dans les disputes qui occupaient à Rome l'oisiveté des sophistes grecs? Graves questions de mots dont Aulu-Gelle nous a laissé les frivoles sujets, et qu'agitait dans les plaisirs du triclinium ou dans le silence de ses villas, le peuple-roi déchu de sa liberté et chassé du Forum.

Tout allait préparant le monde moderne. Dernier admirateur de la fortune romaine, Plutarque avait vainement essayé de ressusciter les superstitions et les vertus qui valurent à Rome l'empire de l'univers; les dieux s'en allaient; ce panégyrique de la gloire, du courage et de la sagesse de la ville éternelle, en est l'oraison funèbre.

Moins crédule et plus pénétrant, Lucien a vu cette double ruine; dieux, philosophes, rois, croyances et superstitions, héros et divinités, le monde ancien tout entier, il le livre au ridicule, aux moqueries, aux injures du ́peuple : Lucien est le Voltaire du paganisme.

Cependant le paganisme, avant d'expirer, tente un dernier effort, mais dans une langue qui n'est pas la langue nationale. L'idiome majestueux qui avait reçu et consacré le génie religieux de la vieille Rome, se sentait impuissant à en défendre les dieux. Julien s'arme du style et du langage de Lucien pour terrasser la secte qui menace et l'empire et la religion. Par un calcul politique, ou par une de ces dernières convictions qui s'attachent aux cultes nationaux, il veut relever des autels renversés et des dieux impuissans. Il oppose aux vertus chrétiennes des vertus artificielles; à la morale de l'Évangile, la morale des écoles d'Athènes et d'Alexandrie Libanius est le prêtre de cette religion replâtrée.

:

Bientôt le paganisme vaincu se retire; la philosophie reste seule à lutter contre la religion nouvelle. Alexandrie est le théâtre de cette autre guerre, le rendez-vous de toutes les opinions vaincues, de toutes les misères du monde romain corrompu, auxquelles viennent

se joindre les superstitions de l'Orient, mêlées, sous Alexandre, à l'ancienne philosophie grecque. Ces superstitions produisirent le pythagorisme de Plotin, de Jamblique et de Porphyre, qui plus tard se confondit, chez les Arabes, avec la philosophie d'Aristote. Recueillies aussi, dit-on, dans les cellules des moines de l'Orient, grands partisans d'Origène1, luimême platonicien, ces diverses opinions formèrent en France le fond des subtilités de la scolastique, qui se composa ainsi de la philosophie de l'Église primitive, des interprétations de l'école d'Alexandrie, et des allégories de l'Orient.

L'école d'Alexandrie fut le dernier dépôt de la philosophie païenne, le dernier combat de la pensée ancienne contre le christianisme; avec elle périt le monde philosophique de l'antiquité. Cette source de la sagesse platonicienne, si long-temps abondante et pure, alla se perdre et tarir dans les plaines de la Perse, avec Diogènes et Hermias, Eulalius et Priscien, Damascius, Isidore et Simplicius 2.

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2

BULA., Hist. de la Phil., t. 1 et 2.

Isidorus, celeberrimæ illius et miserrimæ Hypathiæ conjux, quorum discipuli fuerunt et amici Damascius, Olympiodorus, Hierocles ac Simplicius, omnes pariter ingenio, virtute atque infortuniis illustres, qui secum ipsi antiquitatis decus et libertatem rationis humanæ contumulaverunt,

La littérature latine se décompose avec la société; elle a complètement perdu sa physionomie primitive et originale, si tant est qu'elle en ait jamais eu une. Conservée comme instrument de la parole, comme pensée et comme expression nationale elle n'existait plus. Elle avait passé à d'autres croyances, à un monde moral nouveau, à des peuples qui, tout en la corrompant, lui préparaient une vie nouvelle. A cette époque, la littérature n'est plus latine; elle est africaine, gauloise. Tertullien, saint Cyprien, saint Jérôme, lui communiquent l'àpreté et aussi le feu de leur rude génie. Missionnaires d'une doctrine qui doit conquérir le monde, pour plier le langage à leurs pensées, ils le brisent, créant ainsi, dans leur latin vulgaire et incorrect, les matériaux d'un autre idiome, et l'unité chrétienne.

La littérature latine ne s'effaçait pas seulement sous l'influence du christianisme; elle disparaissait aussi sous la langue grecque, que la translation du siége impérial à Constantinople avait rendue prédominante, de même qu'elle avait mis l'empire d'Orient au-dessus de l'empire d'Occident.

ultimi philosophorum et Græcorum ultimi. ( Procl. præfat. gener. XXII.-Édit. de M. Cousin.)

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