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PG 1975

1524 vi13

PRÉFACE.

Le Paradis perdu est resté long-temps inconnu en Angleterre; Milton fut méprisé et haï de ses contemporains; son siècle ne connut que ses opinions insensées, et il ne vit point la beauté de son génie : exemple terrible pour les écrivains qui seroient tentés de croire que la réputation littéraire est indépendante de la considération personnelle, et que l'éclat des talents peut effacer le tort d'une conduite répréhensible ou d'une opinion condamnable. Ce ne fut que quarante ans après la mort de Milton, et lorsque sa vie fut oubliée, qu'Addison apprit aux Anglais qu'ils avoient un poëme épique. Les suffrages du siècle de Louis XIV ont manqué au Paradis perdu: le seul Rollin en a parlé comme d'un ouvrage rival de l'Iliade. Mais la littérature française étoit assez riche alors de ses propres chefs

* Cette Préface est celle de la première édition du Paradis perdu, Paris, 1805.

T. XIII. PARADIS PERDU. I.

d'œuvre : on n'a songé aux richesses étrangères

que dans un siècle moins fécond et moins brillant. Voltaire, le premier, a fait connoître aux Français le poëme du Paradis perdu. Dupré de Saint-Maur le traduisit en prose; sa traduction, peu fidéle, est élégante et correcte. Racine le fils, dont le suffrage est une autorité, a aussi traduit Milton: il a voulu éviter le défaut de Dupré de Saint-Maur; il est plus littéral, mais son style est moins rapide, moins élégant; et l'on pourroit dire de sa traduction qu'elle est infidèle à force de fidélité. A la fin du siècle dernier, M. Mosneron donna une traduction nouvelle de Milton, qui, malgré quelques légers défauts, pourroit suffire pour faire apprécier le génie de l'auteur anglais. Mais le Paradis perdu a des beautés qui ne peuvent être rendues que dans le langage poétique; cet ouvrage n'est en quelque sorte qu'une immense galerie de tableaux, dont la poésie seule peut animer les couleurs. Le docteur Beatty place le chantre d'Éden entre Thompson et Spencer. Le Paradis perdu est un poëme descriptif; c'est à M. Delille qu'il appartenoit de le traduire; celui qui a chanté l'Imagination pouvoit seul nous faire connoître les sombres et sublimes rêveries du poëte anglais, et l'aimable séjour d'Éden ne devoit rien perdre de

sa grace et de sa fraîcheur dans les vers de notre chantre des Jardins.

On a fait quelques objections contre le sujet du Paradis perdu : le héros est malheureux; et plusieurs critiques en ont conclu que le dénouement étoit contraire aux règles de l'épopée. Il est sans doute convenable de consulter la poétique d'Aristote; mais si nous consultons le cœur humain, nous verrons qu'il est aussi facilement remué par l'intérêt d'une situation malheureuse que par l'éclat des succès les plus brillants. Les héros de la tragédie sont presque toujours malheureux: ils ne perdent rien pour cela de leur gloire et de leur intérêt. Si Aristote et les autres législateurs de la poésie épique ont exigé que le héros d'un poëme fût heureux, il est vraisemblable qu'ils ont voulu parler de l'héroïsme guerrier'; en effet, ce genre d'héroïsme n'éclate qu'au sein de la victoire. Bellone, comme la Fortune, avec laquelle elle n'est pas sans quelques rapports, prend rarement ses favoris et ses héros parmi les hommes qui n'ont éprouvé que des revers; pour elle la victoire est une décision des dieux, et la gloire est dans le succès. Si Virgile eût chanté la défaite de Turnus, il auroit blessé toutes les idées reçues; il auroit fait un contresens. Cependant il est une autre sorte d'hé

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