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levoit par-dessus tous les autres arbres; sa descente parmi la troupe des animaux, qui sont représentés si agréablement comme jouant autour d'Adam et d'Ève, et ses métamorphoses en différentes créatures, afin d'entendre la conversation de ce couple aimable; toutes ces circonstances, dis-je, donnent une agréable surprise au lecteur; elles servent encore à lier cette suite d'aventures dans lesquelles le poëte engage ce grand artisan de malice.

L'idée qu'il a eue de transformer Satan en vautour, et de le placer sur l'arbre de vie, semble être une imitation de l'Iliade, où, sous la figure d'un vautour, deux divinités s'abattent sur le sommet d'un chêne.

L'on ne pourroit en dire autant de l'endroit où il le place à l'oreille d'Ève sous la forme d'un crapaud. Mais le tressaillement avec lequel il reprend sa propre figure saisit le lecteur, tant par rapport à la description littérale, qu'à la morale cachée sous cette allégorie. Sa réponse, quand il est découvert et sommé de rendre compte de son état, convient à l'orgueil et à l'intrépidité de son caractère.

La réprimande de Zéphon est belle et touchante. La fierté du prince des démons, lorsqu'il paroît devant Gabriel, chef des bons anges qui gardoient le paradis, a tant de beautés, qu'elle ne peut manquer de frapper le commun des lecteurs. Le passage où Gabriel annonce de loin l'approche du nouveau captif, est rendu avec une grande force et une prodigieuse vivacité d'imagination.

Le discours de Gabriel et de Satan est soutenu de sentiments dignes de ces deux chefs. L'endroit où Satan s'arme de force et d'audace, quand il se prépare

pour le combat, est véritablement sublime et l'emporte peut-être sur la description de la Discorde célébrée par Longin, ou sur celle de la Renommée dans Virgile. Ces deux divinités sont toutes deux représentées les pieds fixes sur la terre et la tête élevée dans le ciel.

Je dois ici remarquer que Milton est par-tout plein de traits et quelquefois de passages traduits littéralement des plus grands poëtes grecs et latins; mais je ne veux pas interrompre le fil de ces remarques par des réflexions qui ne seroient d'aucun usage que pour les savants.

La séparation du combat entre Gabriel et Satan, par le moyen des balances d'or suspendues dans le ciel, est un raffinement sur la pensée d'Homère, qui nous dit que Jupiter pesa les destinées d'Hector et d'Achille avant qu'ils en vinssent aux mains. Le lecteur peut voir tout le passage au vingt-deuxième livre de l'Iliade.

Avant le combat qui doit décider du sort de Turnus et de celui d'Énée, Jupiter pèse leurs destinées. Quoique Milton ait tiré cette belle idée de l'Iliade et de l'Énéide, il ne l'insère pas ici comme un embellissement poétique, mais il l'emploie pour prolonger sa fable, en séparant les deux guerriers. Nous trouvons cette noble allégorie dans la sainte Écriture, où il est dit d'un méchant prince, quelques heures avant qu'il soit assassiné, qu'il a été pesé dans la balance et trouvé trop léger.

Je ne dois ici observer, par rapport aux machines, que la descente d'Uriel sur un rayon de lumière; et l'artifice dont le poëte se sert pour le faire descendre et remonter à ce soleil, est une gentillesse qu'on auroit pu admirer dans un poëte d'une petite imagina

T. XIII. PARADIS PERDU. 1.

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tion; mais cette idée semble au-dessous du génie de Milton. La description des légions des anges armés, qui font leur ronde nocturne dans le paradis, me frappe davantage.

Son idée sur les cantiques des anges, que nos premiers pères entendent souvent chanter pendant la nuit, est tout à-la-fois divine et amusante.

Nous avons en dernier lieu à considérer la manière dont il fait agir Adam et Ève dans le quatrième livre: le point de vue où le poëte les présente à Satan inspire à cet ange rebelle des mouvements d'envie et de surprise.

Nos premiers pères paroissent assis sur un lit de fleurs près d'une fontaine, entourés de divers animaux qui semblent leur rendre hommage.

Les discours de ces deux premiers amants sont également pleins de passion et de sincérité. Les déclarations qu'ils se font l'un à l'autre sont très vives, mais en même temps naturelles; en un mot, ce sont les galanteries d'un paradis.

Le morceau où Ève raconte ses idées au moment de sa création, et la façon dont elle fut conduite à Adam, est un des plus beaux endroits de Milton, et peut-être ne cède-t-il pas à ce que les poëtes ont de plus achevé. Il est travaillé avec tant d'art, qu'il plaira sûrement au lecteur le plus délicat, sans offenser le plus sévère.

Un poëte inférieur en jugement et en invention auroit trouvé de la difficulté à remplir ces situations de sentiments propres à l'état d'innocence: il n'auroit pu décrire la vivacité de l'amour, sans afféterie ou sans hyperbole; il auroit eu peine à faire dire à l'homme les choses les plus tendres, sans sortir de la dignité qui lui

étoit naturelle; et à les faire entendre à sa femme, sans blesser la modestie de son sexe. Enfin, il auroit été fort embarrassé de rapprocher la sagesse de la beauté, et de faire concerter ensemble des perfections qui semblent se faire la guerre.

La conversation que nos premiers pères ont à la fin de la journée est pleine d'images gracieuses et de sentiments convenables à leur état et à leurs caractères.

Le discours d'Ève en particulier fait connoître la douceur de son esprit; les paroles et les pensées sont si naturelles, qu'il ne peut être suffisamment admiré.

Je conclurai mes réflexions sur ce livre, en observant la transition inimitable qui se trouve dans leur prière : c'est une de ces beautés que Longin a relevées dans son vingt-troisième chapitre.

N° 327.

Major rerum mihi nascitur ordo.

VIRG.

Nous avons vu, dans le livre précédent, comment le démon s'approcha d'Eve, afin de lui inspirer, dans le sommeil, des pensées de vanité, d'orgueil et d'ambition. L'auteur, qui prépare tous les événements avec un art infini, fonde sur cette situation la première partie du cinquième livre. Adam, à son réveil, trouve Eve encore endormie : il découvre dans ses yeux quelque chose d'extraordinaire. La posture dans laquelle il la regarde est décrite avec une tendresse inexprimable; et le murmure dont il se sert pour l'éveiller est le plus doux qui jainais ait été porté à l'oreille d'une personne que l'on aime.

Dans la conversation d'Adam et d'Ève, Milton a eu souvent en vue le Cantique des cantiques. On voit, dans ce livre saint, l'esprit de la poésie orientale et souvent beaucoup de rapport avec Homère, qui, selon l'opinion la plus générale, étoit contemporain de Salomon. On ne sauroit douter que le poëte n'ait imité deux passages du Cantique, qui sont prononcés à une pareille occasion et qui sont remplis de ces images agréables de la nature. « Voilà mon bien-aimé qui me parle et qui me dit: Levez-vous, hâtez-vous, ma bien-aimée, ma colombe, mon unique beauté, et venez; car l'hiver est déja passé, les pluies se sont dissipées et ont cessé entièrement. Les fleurs paroissent sur notre terre, le temps de tailler la vigne est venu; la voix de la tourterelle s'est fait entendre dans notre terre; le figuier a commencé à pousser ses premières figues; les vignes sont en fleur et on sent la bonne odeur qui en sort: levez-vous, mon unique beauté, et venez..... Venez mon bien-aimé, allons à la campagne; levons-nous de bon matin pour nous rendre à nos vignes; voyons si elles fleurissent, si la grappe tendre paroît, et si les grenades boutonnent. » (Ch. VII, v. 10; et ch. II, v. 11.)

La préférence qu'il donne au jardin d'Éden sur cet autre où le sage monarque folâtroit avec sa belle Égyptienne, montre que le poëte avoit dans l'esprit cette scène délicieuse.

Le songe d'Ève est plein de ces vaines imaginations, mères de l'orgueil, que le démon tâchoit de lui inspirer. Les paroles qu'elle adresse en dormant à Adam se sentent du même esprit.

Un poëte sans jugement auroit toujours fait tenir à Adam le même langage que celui-ci; mais la flatterie

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