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vision d'Ézéchiel, qui tient beaucoup du poétique d'Homère, comme l'observe Grotius.

L'endroit où l'Éternel envoie son fils pour confondre l'armée des anges rebelles, est imité d'un sublime passage des psaumes.

Le lecteur découvrira aisément plusieurs autres traits de même nature.

Avant que de faire venir les anges aux mains, Milton s'est sans doute échauffé l'imagination par la lecture du combat des dieux dans l'Iliade. Homère nous donne un spectacle d'hommes, de héros et de dieux engagés dans la mêlée. Mars anime les deux armées qui combattent; il élève sa voix, de manière qu'il est entendu distinctement au milieu des cris et de la confusion du combat. Jupiter tonne sur leur tête; Neptune éléve une si furieuse tempête, que le champ de bataille et les sommets des montagnes tremblent autour des combattants. Le poëte nous dit que Pluton lui-même, dont l'habitation étoit au centre de la terre, se jeta hors de son trône.

Le poëte grec décrit ensuite Vulcain allumant un brasier ardent contre le fleuve Xanthe, et Minerve jetant un rocher sur Mars, qui couvroit, nous dit-il, sept arpents dans sa chute.

Homère fait entrer dans sa bataille des dieux tout ce qu'il y a de grand et de terrible dans la nature; Milton a rempli d'horreur le combat des anges. Les cris des armées, le bruit des chariots d'airain, les rochers et les monts lancés dans les airs, le tremblement de terre, le feu, le tonnerre, tout cela est mis en jeu pour élever l'imagination du lecteur, et pour lui donner une idée convenable d'une si grande action.

Avec quel art le poëte n'a-t-il pas représenté la terre tremblante, même avant qu'elle fût créée?

Quelle justesse et quelle sublimité ne trouve-t-on point aussi dans l'endroit où il ébranle, sous les roues du char du Messie, le ciel entier, hormis le trône de Dieu!

Quoique le Messie paroisse revêtu de terreur et de majesté, le poëte a trouvé le moyen d'en faire concevoir à son lecteur une idée encore plus grande que ce qu'il peut exprimer.

En un mot, le grand génie de Milton, soutenu d'une érudition profonde, s'élève, dans ce livre, à la sublimité de son sujet. Comme il connoissoit à fond ce qui étoit capable de toucher l'esprit, il savoit qu'il étoit nécessaire de donner de temps en temps au lecteur certains repos et certains délassements. Il a entremêlé avec beaucoup d'art quantité de discours, de réflexions, de comparaisons, et d'autres amusements semblables, pour égayer la narration, et pour soulager l'attention du lecteur, afin qu'il pût toujours suivre sa grande action, et qu'il eût, par ce contraste d'idées, un goût plus vif des plus beaux endroits de sa description.

No 339.

Ut his exordia primis

Omnia, et ipse tener mundi concreverit orbis :
Tum durare solum, et discludere Nerea ponto
Cœperit, et rerum paullatim sumere formas.

VIRG.

Longin avance qu'il peut y avoir une élévation de sentiments dans de certains morceaux où il n'y a

point de passion. Pour justifier son opinion, il rapporte des exemples tirés des anciens auteurs. Le pathétique, comme il l'observe, peut animer le sublime et le rendre plus touchant; mais il n'y est point essentiel. C'est pourquoi, dit-il, nous trouvons fort souvent que ceux qui savent le mieux exciter les passions n'ont pas le talent d'écrire d'une manière grande et sublime; et ainsi du contraire. Milton nous a fait voir sa capacité dans ces deux genres. Le septième livre où nous entrons est un exemple de ce sublime dénué de passion. L'auteur paroît dans une espèce de majesté calme et composée: quoique les sentiments ne donnent pas une si grande émotion que ceux du livre précédent, ils ne laissent pas d'être magnifiques. Le sixième livre, comme une mer agitée, représente la grandeur au milieu de la confusion. Le septième touche l'imagination, comme une mer calme, et remplit agréablement l'esprit du lecteur, sans y rien produire de semblable au tumulte et à l'agitation.

Entre autres règles qu'il donne pour réussir dans cette sorte de sublime, Longin recommande à son lecteur l'imitation des auteurs les plus célèbres: il lui conseille sur-tout de considérer, s'il écrit sur un sujet poétique, comment Homère auroit parlé dans la même occasion; par ce moyen, un grand génie saisit l'esprit d'un autre, sans le copier servilement. Il y a dans Virgile mille passages brillants où Homère, pour ainsi dire, a mis le feu.

Milton, quoique la force de son génie fût capable de produire un ouvrage parfait, a sans doute élevé ses idées par cette imitation que Longin a recommandée.

Dans le livre qui traite de l'ouvrage des six jours, le poëte n'a reçu que peu de secours des auteurs profanes, à qui les merveilles de la création étoient inconnues; mais il s'est aidé de plusieurs traits poétide la sainte Écriture. Le savant auteur dont j'ai ques parlé, quoique païen, a observé la manière sublime dont le législateur des Juifs a décrit la création au premier livre de la Genèse. Tous les endroits de l'Écriture sainte, où il est parlé de ce grand événement, sont pleins de la même majesté. Milton a montré son jugement d'une manière remarquable, en faisant usage de ce qui convenoit à son poëme, et en modifiant ces tours de poésie orientaux qui étoient destinés pour des lecteurs dont l'imagination étoit montée sur un ton plus haut que dans les climats les plus froids.

Le discours où Adam prie l'ange de l'instruire de ce qui s'est passé dans les régions de la nature avant sa création, est plein de grandeur et de majesté. L'endroit où il lui dit qu'il lui reste assez de jour pour traiter un pareil sujet est exquis dans son genre.

Le conseil que l'ange donne à nos premiers pères de chercher modestement à s'instruire, et les raisons qu'il rend de la création du monde, ont une grande justesse et une grande beauté. Le Messie, par lequel, comme nous l'apprenons dans l'Écriture, le monde fut créé, s'avance avec la puissance de son père, entouré d'une armée d'anges, et revêtu de toute la majesté qui lui convient en commençant un ouvrage qui, suivant nos idées, paroît l'effort de la toute-puissance. Quelle belle description notre auteur n'a-t-il pas tirée sur ce passage d'un des prophétes: « Je voyois

T. XIII. PARADIS PERDU. I.

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