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Tel est le sort commun. Bientôt les aquilons

Des dépouilles des bois vont joncher les vallons:
De moment en moment la feuille sur la terre
En tombant interrompt le rêveur solitaire.
Mais ces ruines même ont pour moi des attraits.
Là, si mon cœur nourrit quelques profonds regrets,
Si quelque squvenir vient rouvrir ma blessure,
J'aime à mêler mon deuil au deuil de la nature;
De ces bois desséchés, de ces rameaux flétris,
Seul, errant, je me plais à fouler les débris.
Ils sont passés les jours d'ivresse et de folie:
Viens, je me livre à toi, tendre mélancolie;
Viens, non le front chargé de nuages affreux
Dont marche enveloppé le chagrin ténébreux,
Mais l'œil demi-voilé, mais telle qu'en automne
A travers des vapeurs un jour plus doux rayonne ;
Viens, le regard pensif, le front calme, et les yeux

Tout prêts à s'humecter de pleurs délicieux.

Ainsi je nourrissais mes tristes rêveries, Quand de mille arbrisseaux les familles fleuries Tout à coup m'ont offert leur plant voluptueux : Adieu, vastes forêts, cédres majestueux,

Adieu, pompeux ormeaux, et vous, chênes angustes. Moins fiers, plus élégans, ces modestes arbustes M'appellent à leur tour. Venez, peuple enchanteur!

Vous êtes la nuance entre l'arbre et la fleur;

De vos traits délicats venez ornér la scène.

Oh! que si, moins pressé du sujet qui m'entraîne,
Vers le but qui m'attend je ne hâtais mes pas,
Que j'aurais de plaisir à diriger vos bras!

Je vous reproduirais sous cent formes fécondes;
Ma main sous vos berceaux ferait rouler les ondes;
En dômes, en lambris j'unirais vos rameaux;
Mollement enlacés autour de ces ormeaux,
Vos bras serpenteraient sur leur robuste écorce,
Emblème de la grâce unie avec la force:

Je fondrais vos couleurs, et du blanc le plus pur;
Du plus tendre incarnat jusqu'au plus sombre azur,
De l'œil rassasié variant les délices,

Vos panaches, vos fleurs, vos boules, ves ealices,
A l'envi s'uniraient dans mes brillans travaux,
Et Van-Huysum lui-même envîrait mes tableaux.
Pour vous à qui le ciel prodigua leur richessey
Ménagez avec art leur pompe enchanteresse;:

Partagez aux saisons leurs brillantes faveurs;
Que chacun apportant ses parfums, ses couleurs,
Reparaisse à son tour, et qu'au front de l'année
Sa guirlande de fleurs ne soit jamais fanée.
Ainsi, votre jardin varic avec le temps:

Tout mois a ses bosquets, tout bosquet son printemps;
Printemps bientôt flétri! Toutefois votre adresse
Peut consoler encor de sa courte richesse.

Que par des soins prudens tous ces arbres plantés, Quand ils seront sans fleurs, ne soient pas sans beautés. Ainsi l'adroite Eglé, prolongeant son empire,

Au déclin des beaux ans sait encor nous séduire,

Le ciel même, malgré l'inclémence de l'air,

N'a pas de tous ses dons déshérité l'hiver.
Alors, des vents jaloux défiant les outrages,
Plusieurs arbres encor retiennent leurs feuillages.
Voyez l'if, et le lierre, et le pin résineux,
Le houx luisant armé de ses dards épineux,
Et du laurier divin l'immortelle verdure,
Dédommager la terre et venger la nature;

Voyez leurs fruits de pourpre, et leurs glands de corail,
Au vert de leurs rameaux mêler un vif émail:

Au milieu des champs nus leur parure m'enchante,
Et plus inespérée en paraît plus touchante.

De vos jardins d'hiver qu'ils ornent le séjour;
Là, vous venez saisir les rayons d'un beau jour;
Là, l'oiseau, quand la terre ailleurs est dépouillée,
Vole, et s'égaie encor sous la verte feuillée,

Et, trompé par les lieux, ne connaît plus les temps,
Croit revoir les beaux jours, et chante le printemps.
Toutefois de vos plants quels que soient les prodiges,
L'habitude souvent en détrui: les prestiges,

Et le triste dégoût les voit sans intérêt.

dont le charme secret

N'est-il pas des moyens
Vous rende leur beauté toujours plus attachante?
Oh! combien des Lapons l'usage heureux m'enchante!
Qu'ils savent bien tromper leurs hivers rigoureux!
Nos superbes tilleuls, nos ormeaux vigoureux,
De ces champs ennemis redoutent la froidure;
De quelques noirs sapins l'indigente verdure
Par intervalle à peine y perce les frimas :

Mais le moindre arbrisseau qu'épargnent ces climats,
Par des charmes plus doux, à leurs regards sait plaire;
Planté pour un ami, pour un fils, pour un père,

Pour un hôte qui part emportant leurs regrets,
Il en reçoit le nom, le nom cher à jamais.

Vous, dont un ciel plus pur éclaire la patrie,
Vous pouvez imiter cette heureuse industrie:
Elle animera tout; vos arbres, vos bosquets
Dès-lors ne seront plus ni déserts, ni muets;
Ils seront habités de souvenirs saus nombre,
Et vos amis absens embelliront leur ombre.

Qui vous empêche encor, quand les bontés des dieux D'un enfant désiré comblent enfin vos vœux,

De consacrer ce jour par les tiges naissantes

D'un bocage, d'un bois ?... Mais, tandis que tu chantes, Muse, quels cris dans l'air s'élancent à la fois?

Il est né l'héritier du sceptre de nos rois!

Il est né! Dans nos murs, dans nos champs, sur les ondes,
Nos foudres triomphans l'annoncent aux deux mondes.
Pour parer son berceau, c'est trop peu que des fleurs;
Apportez les lauriers, les palmes des vainqueurs.
Qu'à ses premiers regards brillent des jours de gloire;
Qu'il entende en naissant l'hymne de la victoire ;
C'est la fête qu'on doit au pur sang des Bourbon.
Et toi, par qui le ciel nous fit cet heureux don,

Les Jardins.

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