Page images
PDF
EPUB

Et, quand l'âge leur laisse une tige robuste,
Gardez-vous d'attenter à leur vieillesse auguste!
Trop tôt le jour viendra que ces bois languissans,
Pour céder leur empire à de plus jeunes plants,
Tomberont sous le fer, et de leur tête altière
Verront l'antique honneur flétri dans la poussière!
O Versaille! ô regrets! ô bosquets ravissans,
Chefs-d'œuvre d'un grand roi, de Le Nôtre, et des ans!
La hache est à vos pieds, et votre heure est venue.
Ces arbres dont l'orgueil s'élançait dans la nue,
Frappés dans leur racine, et balançant dans l'air,
Leurs superbes sommets ébranlés par le fer,

Tombent, et de leurs troncs jonchent au loin ces routes
Sur qui leurs bras pompeux s'arrondissaient en voûtes :
Ils sont détruits ces bois dont le front glorieux
Ombrageait de Louis le front victorieux;

Ces bois où, célébrant de plus douces conquêtes,
Les arts voluptueux multipliaient les fêtes!
Amour, qu'est devenu cet asile enchanté
Qui vit de Montespan soupirer la fierté?

Qu'est devenu l'ombrage où, si belle et si tendre,
A son amant surpris et charmé de l'entendre,

La Vallière apprenait le secret de son cœur,

Et, sans se croire aimée, avouait son vainqueur?
Tout périt, tout succombe : au bruit de ce ravage
Voyez-vous point s'enfuir les hôtes du bocage?
Tout ce peuple d'oiseaux, fiers d'habiter ces bois,
Qui chantaient leurs amours dans l'asile des rois,
S'exilent à regret de leurs berceaux antiques.
Ces dieux, dont le ciseau peupla ces verts portiques,
D'un voile de verdure autrefois habillés,

Tout honteux aujourd'hui de se voir dépouillés,
Pleurent leur doux ombrage; et, redoutant la vue,

Vénus même une fois s'étonna d'être nue.

Croissez, hâtez votre ombre, et repeuplez ces champs,
Vous, jeunes arbrisseaux : et vous, arbres mourans,
Consolez-vous; témoins de la faiblesse humaine,
Vous avez vu périr et Corneille et Turenne :
Vous comptez cent printemps, hélas! et nos beaux jours
S'envolent les premiers, s'envolent pour toujours.

Mais, tandis que ma voix déplorait ces ravages,
Quel bruit vient consoler l'ami des vieux ombrages?
Que béni soit tou art, toi qui dans leur langueur
Sus des plants décrépits ranimer la vigueur!

A peine un frais enduit couvre un bois sans écorce,
Le suc régénéré reprend toute sa force;

Il court, il pousse en l'air de nouveaux rejetons;
Rend aux bosquets leur ombre, au printemps.ses festons;
Des arbres long-temps nus admirent leur parure;
Leur front chauve a repris sa verte chevelure,

Et joint avec orgueil, grâce à tes soins puissans,
Les charmes du jeune âge et l'honneur des vieux ans.
Heureux donc qui jouit d'un bois formé par l'âge!

Mais plus heureux celui qui créa son bocage,
Ces arbres, dont le temps prépare la beauté!
Il dit comme Cyrus : « C'est moi qui les plantai.»
De leur premier printemps il goûte les délices,
De leur premier bouton il bénit les prémices:
Ainsi naquit Pearfield, tel de ses bois nouveaux
Le feuillage naissant se pencha sur les eaux;
Telle, au sortir des mains dont est sorti le monde,
Jadis Ève se vit, et s'admira dans l'onde.
Le jeune plant courut ombrager les vallons,
Habiller les rochers, et flotter sur les monts;
Et, fier de sa beauté, content de son ouvrage,
Son heureux créateur rêva sous son ombrage.

Au lieu de vous traîner sur les dessins d'autrui, Voulez-vous donc créer et jouir comme lui? Suspendez vos travaux impatiens d'éclore; Méditez-les long-temps, méditez-les encore: Tel qu'un peintre, arrêtant ses indiscrets pinceaux, D'avance en sa pensée ébauche ses tableaux, Ainsi de vos dessins méditez l'ordonnance. Des sites, des aspects, connaissez la puissance, Et le charme des bois aux coteaux suspendus, Et la pompe des bois dans la plaine étendus.

Ainsi que les couleurs et les formes amies, Connaissez les couleurs, les formes ennemies. Le frêne aux longs rameaux dans les airs élancés Repousserait le saule aux longs rameaux baissés; Le vert du peuplier combat celui du chêne : Mais l'art industrieux peut adoucir leur haine, Et, de leur union médiateur heureux, Un arbre mitoyen les concilie entre eux. Ainsi, par une teinte avec art assortie, Vernet de deux, couleurs éteint l'antipathie 3, Tu connus ce secret, ô tòi dont le coteau, Dont la verte colline offre un si-doux tableau,

7

Qui, des bois par degrés nuançant la verdure,
Surpassas Le Lorrin, et vainquis la nature.
Toi qui, de ce bel art nous enseignant les lois,
As donné le précepte et l'exemple à la fois:
Ah! puisses-tu long-temps jouir de tes ouvrages,
Et garder dans ton cœur la paix de tes ombrages!
Je ne sais quel instinct me dit que quelque jour,
Entraîné malgré toi de tes champs à la cour,
Tes mains cultiveront une plante plus chère.
Puisse être cet enfant l'image de son père!
Et que jamais n'arrive à cette tendre fleur
Le souffle de la haine et le vent du malheur !
Achève cependant d'embellir tes bocages.

Et vous qu'il instruisit dans l'art des paysages,
Observez comme lui tous ces différens verts,
Plus sombres ou plus gais, plus foncés ou plus clairs.
Remarquez-les surtout lorsque la pâle automnc,
Près de la voir flétrir, embellit sa couronne;
Que de variété ! que de pompe et d'éclat!
Le pourpre, l'orangé, l'opale, l'incarnat,
De leurs riches couleurs étalent l'abondance.
Hélas! tout cet éclat marque leur décadence...

« PreviousContinue »