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tourne à sa véritable source. De plus, la culture s'est enrichie d'une foule de plantes ou d'arbres étrangers ajoutés aux productions de notre sol, et cela vaut bien tout le marbre que nos jardins ont perdu.

Feureux, si ce poëme peut répandre encore davantage ces goûts simples et purs! car, comme l'auteur de ce poëme l'a dit ailleurs,

Qui fait aimer les champs, fait aimer la vertu.

Tel était l'avertissement mis à la tête des premières éditions de cet ouvrage. L'anteur a uru devo'r y ajouter ce qui suit :

Quelques littérateurs anglais ont pensé que j'avais pris l'idée et plusieurs détails de ce poëme dans celui qu'a composé sur le même su et M. Mason, digne ami de M. Gray. C'est avec plaisir que je rends justice à quantité de beaux vers qui distinguent cet ouvrage; mais je déclare que, long-temps avant d'avoir lu le poëme de M. Mason, j'avais composé le mien, et que je l'avais récité dans plusieurs séances publiques de l'académie française et du col

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lége royal, auxquels j'avais l'honneur d'appar

tenir.

Cette nouvelle édition a été retardée par des obstacles imprévus dont le détail est inutile. La faiblesse de mes yeux et de mes moyens m'ayant empêché de visiter, comme je me l'étais promis, les plus beaux jardins de l'Angleterre, je n'en ai cité qu'un petit nombre, célèbres par leur beauté ou par les souvenirs qu'ils rappellent : tels sont Bleinheim, Stow, et le jardin de Pope, si heureux d'appartenir à un homme plein de goût, qui, en conservant religieusement la demeure et les jardins de ce grand poëte, rend à sa mémoire l'hommage à la fois le plus simple et le plus honorable. Les premiers monumens d'un ecrivain fameux sont la maison qu'il a bâtie, les jardins qu'il a plantés, la bibliothèque qu'il a formée: c'est là, si l'on croyait encore aux ombres, qu'il faudrait chercher la sienne.

Je ne dois pas oublier d'avertir que, ce poëme ayant été publié en 1782, cette époque, à la quelle se rapportent des morceaux les plus distingués de l'ouvrage, m'a imposé la loi de ne

rien admettre qui lui fût postérieur dans les additions que j'y ai faites. Ainsi, quand j'ai parlé des jardins d'Allemagne, tout ce que j'en ai dit a dû s'y rapporter. Je ne me suis permis que deux exceptions à cette unité d'époque; l'une dans l'épisode des religieux de la Trappe; l'autre dans quelques vers sur le charmant jardin de la Colline. J'ai usé, dans ces deux passages, de ce privilége d'esprit prophétique qu'on attribuait autrefois aux poëtes, et j'ai présenté les faits qu'ils rappellent, non commę avenus, mais comme pouvant arriver; et parlà l'unité d'époque se trouve conservée autant. qu'elle pouvait l'être.

Je crois que c'est ici le lieu de rapporter la réponse que j'ai faite, dans la préface de l'Homme des Champs, à M. de Mestre, qui a regardé comme peu intéressant le sujet du poëme des Jardins. Cette allégation est tellement importante, que je ne dois pas perdre l'occasion de reproduire les réflexions qu'elle a occasionées. M. de Mestre veut-il dire que ce genre de poésie ne peut exciter ces secousses fortes et ces impressions profondes réservées à d'autres genres de poésie? Je suis de son avis

Mais n'y a-t-il que ce genre d'intérêt? El quoi! cet art charmant, le plus doux, le plus naturel et le plus vertueux de tous, cet art que j'ai appelé ailleurs le luxe de l'agriculture, que les poëtes eux-mêmes ont peint comme le premier plaisir du premier homme, ce doux et brillant emploi de la richesse des saisons et de la fécondité de la terre, qui charme la solitude vertueuse, qui amuse la vieillesse détrompée, qui présente la campagne et les beautés agrestes avec des couleurs plus brillantes, des combinaisons plus heureuses, et change en tableaux enchanteurs les scènes de la nature sauvage et négligée, serait sans intérêt! Milton, Le Tasse, Homère, ne pensaient pas ainsi, lorsque, dans leurs poemes immortels, ils épuisaient sur ce sujet les trésors de leur imagination. Ces morceaux, lorsqu'on les lit, retrouvent ou réveillent dans nos cœurs le besoin des plaisirs simples et naturels. Virgile, dans ses Géorgiques, a fait d'un vieillard qui cultive, au bord du Galèse, le plus modeste des jardins, un épisode charmant, qui ne manque jamais son effet sur les bons esprits et les âmes sensibles aux véritables beautés de l'art et de la nature.

Ajoutons qu'il y a dans tout ouvrage de poésie deux sortes d'intérêt, celui du sujet, et celui de la composition. C'est dans les poëmes du genre de celui que je donne au public que doit se trouver au plus haut degré l'intérêt de la composition. Là, vous n'offrez au lecteur ni une action qui excite vivement la curiosité, ni des passions qui ébranlent fortement l'âme. Il faut donc suppléer cet intérêt par les détails les plus soignés, et par les agrémens du style le plus brillant et le plus pur. C'est là qu'il faut que la justesse des idées, la vivacité du coloris, l'abondance des images, le charme de la variété, l'adresse des contrastes, une harmonie enchanteresse, une élégance soutenue, attachent et réveillent continuellement le lecteur; mais ce mérite demande l'organisation la plus heureuse, le goût le plus exquis, le travail le plus opiniâtre aussi les chefs-d'œuvre en ce genre sont-ils rares. L'Europe compte deux cents bonnes tragédies : les Géorgiques et le poëme de Lucrèce, chez les anciens, sont les seuls monumens du second genre; et, tandis que les tragédies d'Ennius, de Pacuvius, la Médée même d'Ovide, ont péri, l'antiquité nous a transmis ces deux poëmes; et il semble que le génie de

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