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Que de l'effet qui suit l'aurcite incertitude
Laisse à l'œil curieux sa douce inquiétude;
Qu'enfin les ornemens avec goût soient placés,
Jamais trop imprévus, jamais trop annoncés.

Surtout du mouvement : sans lui, sans sa magie,
L'esprit désoccupé retombe en léthargie;

Sans lui, sur vos champs froids mon weil glisse au hasard.
Des grands peintres encor faut-il attester l'art?
Voyez-les prodiguer de leur pinceau fertile

De mobiles objets sur la toile immobile,
L'onde qui fuit, le vent qui courbe les rameaux,

Les globes de fumée exhalés des hameaux,

Les troupeaux, les pasteurs, et leurs jeux et leur danse;
Saisissez leur secret, plantez en abondance

Ces souples arbrisseaux, et ces arbres mouvans,
Dont la tête obéit à l'haleine des vents;

Quels qu'ils soient, respectez leur flottante verdure,
Et défendez au fer d'outrager la nature.

Voyez-la dessiner ces chênes, ces ormeaux;

Voyez comment sa main, du tronc jusqu'aux rameaux, Des rameaux au feuillage, augmentant leur souplesse, Des ondulations leur donna la mollesse.

Mais les ciseaux cruels..... Prévenez ce forfait,

Nymphes des bois, courez. Que dis-je ? c'en est fait :
L'acier a retranché leur cime verdoyante;

Je n'entends plus au loin sur leur tête ondoyante
Le rapide Aquilon légèrement courir,

Frémir dans leurs rameaux, s'éloigner, et mourir:
Froids, monotones, morts, du fer qui les mutile
Ils semblent avoir pris la raideur immobile.

Vous donc, dans vos tableaux amis du mouvement, A vos arbres laissez leur doux balancement. Qu'en mobiles objets la perspective abonde : Faites courir, tomber et rejaillir cette onde, Vous voyez ces vallons et ces coteaux déserts; Des différens troupeaux dans les sites divers, Envoyez, répandez les peuplades nombreuses. Là, du sommet lointain des roches buissonneuses, Je vois la chèvre pendre; ici de mille agneaux L'écho porte les cris de coteaux en coteaux. Dans ces prés abreuvés des eaux de la colline, Couché sur ses genoux, le bœuf pesant rumine; Tandis qu'impétueux, fier, inquiet, ardent,

Cet animal guerrier qu'enfanta le trident

Les Jardins.

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Déploic, en se jouant dans un gras pâturage,
Sa vigueur indomptée et sa grâce sauvage.
Que j'aime et sa souplesse et son port animé;
Soit que dans le courant du fleuve accoutumé,
En frissonnant it plonge, et, luttant contre l'onde,
Batte du pied le flot qui blanchit et qui gronde;
Soit qu'à travers les prés il s'échappe par bonds;
Soit que, livrant aux vents ses longs crins vagabonds,
Superbe, l'œil en feu, les narines fumantes,

Beau d'orgueil et d'amour, il vole à ses amantes :
Quand je ne le vois plus, mon œil le suit encor.

Ainsi de la nature épuisant le trésor,

Le terrain, les aspects, les eaux et les ombrages
Donnent le mouvement, la vie aux paysages.

Voulez-vous mieux encor fixer l'œil enchanté?
Joignez au mouvement un air de liberté ;
Et laissant des jardins la limite indécise,
Que l'artiste l'efface, ou du moins la déguise.
Où l'œil n'espère plus, le charme disparaît.
Aux bornes d'un beau lieu nous touchons à regret :
Bientôt il nous ennuie, et même nous irrite :
Au-delà de ces murs, importune limite,

On imagine encor de plus aimables lieux;
Et l'esprit inquiet désenchante les yeux.

Quand, toujours guerroyant, vos gothiques ancêtres. Transformaient en champs clos leurs asiles champêtres, Chacun dans son donjon, de murs environné, Pour vivre sûrement, vivait emprisonné.

Mais que

fait aujourd'hui cette ennuyeuse enceinte
Que conserve l'orgueil et qu'inventa la crainte ?
A ces murs qui gênaient, attristaient les regards,
Le goût préfererait ces verdoyans, remparts,
Ces murs tissus d'épine, où votre main tremblante
Cueille ou la rose inculte, ou la mûre sanglante.

Mais les jardins bornés m'importunent encor.
Loin de ce cercle étroit prenons enfin l'essor
Vers un genre plus vaste et des formes plus belles,
Dont seul Ermenonville offre encor des modèles.
Les jardins appelaient les champs dans leur séjour;
Les jardins dans les champs vont entrer à leur tour.
Du haut de ces coteaux, de ces monts d'où la vue
D'un vaste paysage embrasse l'étendue,

La Nature au Génie a dit : « Écoute-moi :

« Tu vois tous ces trésors; ces trésors sont à toi.

«Dans leur pompe sauvage et leur brute richesse,
<«< Mes travaux imparfaits implorent ton adresse. »
Elle dit. Il s'élance; il va de tous côtés

Fouiller dans cette masse où dorment cent beautés;
Des vallons aux coteaux, des bois à la prairie,
Il retouche en passant le tableau qui varie;
Il sait, au gré des yeux, réunir, détacher,
Eclairer, rembrunir, découvrir ou cacher.
Il ne compose pas; il corrige, il épure,
Il achève les traits qu'ébaucha la nature.
Le front des noirs rochers a perdu sa terreur;
La forêt égayée adoucit son horreur;
Un ruisseau s'égarait, il dirige sa course;
Il s'empare d'un lac, s'enrichit d'une source.
Il veut;
et des sentiers courent de toutes parts
Chercher, saisir, lier tous ces membres épars,
Qui, surpris, enchantés du nœud qui les rassemble,
Forment de cent détails un magnifique ensemble.

Ces grands travaux peut-être épouvantent votre art.
Rentrez dans nos vieux parcs, et voyez d'un regard
Ces riens dispendieux, ces recherches frivoles,
Ces treillages sculptés, ces bassins, ces rigoles.

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