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accordait que pour la refuser au poëmè qui le suivit. L'envie aimé à trouver la dégénération et l'affaiblissement du talent dans les nouveaux écrits d'un auteur qui a quelque célébrité. L'Homme des Champs, à son tour, valut au poëme qui l'avait précédé cette sorte d'indulgence malveillante. Lui-même a besoin d'être suivi d'un autre ouvrage, condamné par sa nouveauté à réunir sur lui toute la sévérité des cri tiques.

On a souvent observé qu'un des grands malheurs de la littérature et de ceux qui la cultívent, c'est l'animosité qui marche toujours à leur suite. Ce qu'il y a de plus déplorable, c'est qu'on la rencontre le plus souvent dans ceux qui courent la même carrière. Malheur à ceux dont l'imagination peut descendre des objets les plus élevés aux tracas des petites passions indignes d'un homme de lettres! je crois voir ces mouches brillantes de toutes les couleurs de la lumière, qui, après s'être jouées aux rayons du soleil, descendent dans la fange, et salissent elles-mêmes tout ce qu'elles touchent. L'abeille ne fait que de la cire et du miel, et ne se repose que sur des fleurs.

Au reste, si l'on a pu diminuer le faible mérite de cet ouvrage, on n'a pu me priver du plaisir extrême que j'ai goûté en le composant, Mon imagination, entourée de tout ce que la nature a de plus doux, de plus brillant et de plus riche, s'est reposée avec délices sur les idées consolantes qu'elle inspire. Voilà la jouissance que tout le monde m'envie, et la seule qu'on ne puisse m'òter.

On pardonnera cette justification de l'Homme des Champs au souvenir des ressources et des consolations que je lui ai dues dans l'adversité, La plupart des autres arts, qui se montrent comme un luxe et un amusement, se présentent dans un jour de malheur avec moins de décence. La poésie est amusante dans les temps de prospérité, vertueuse dans les temps de dépravation, et consolante dans les temps de tyrannie; d'ailleurs à ces époques malheureuses, des distractions ordinaires ne suffisent pas; il faut des occupations passionnées qui s'emparent fortement des facultés de l'esprit et de l'àme : la poésie a cet avantage; elle a encore celui de s'élever par les charmes de l'imagination au-dessus des scènes de la vie ordinaire, et du spec

tacle affligeant d'un siècle dépravé : elle crée à son gré d'autres mondes, en choisit les habitans, et place cette population imaginaire, ces meilleurs mondes, entre elle et le malheur ou le crime; surtout elle ramène ceux qui la cultivent dans la solitude et la retraite, les asiles les plus sûrs contre la tyrannie : c'est là seulement qu'on peut retenir quelques restes de liberté, et qu'on peut du moins espérer l'oubli. Ce moyen n'a pas toujours réussi à l'époque horrible dont je parle, l'obscurité et la solitude ellemême avaient leurs dangers. Mais mon existence dépose en leur faveur; et c'est aux délices inexprimables de la poésie que je dois le goût de la vie retirée à laquelle je suis tant redevable. Cet art charmant avait été mon amusement : il est devenu ma consolation et mon asile.

Je ne puis finir ces observations sans remercier M. David, qui, sans avoir aucune liaison avec moi, m'a dédommagé de la sévérité des critiques par les réponses pleines de goût, d'esprit et d'élégance qu'il a bien voulu y faire. De nombreuses éditions sont venues à l'appui du jugement qu'il a porté de cet ouvrage, et cette réponse est d'un genre à ne pouvoir être réfu

tée Je dois les mêmes remercîmens à ceux qui, dans des vers charmans, ont exprimé tant d'indulgence pour mon ouvrage, et tant de bienveillance pour ma personne. C'est par le plus doux des sentimens, celui de la reconnaissance, qu'ils m'ont ramené, au moins en imagination, dans ma patrie, dont j'ai vivement senti les malheurs, et qui m'a laissé un profond souve, nir de ses délices et de ses bienfaits.

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