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Et, d'un rival heureux enviant le secret,
Achète au poids de l'or les taches d'un œillet.
Laissez-lui sa manie et son amour bizarre :
Qu'il possède en jaloux, et jouisse en avare,

Je pourrais donc appliquer à ces critiques qui ont prétendu être d'un avis différent du mien, en disant en prose ce que j'ai dit en vers, ce vers heureux de l'Epître des Disputes :

Soutenant contre vous ce que vous avez dit.

Mais si j'ai dû proscrire les fantaisies coûtteuses et de mauvais goût, je n'ai pas dû exclure ce que la richesse peut ajouter à la décoration des jardins, pourvu qu'on l'emploie avec goût et avec sobriété. J'ai donc donné des préceptes pour les fortunes médiocres comme pour les grandes; et j'ai laissé à tout le monde le droit de faire un jardin agréable, sans statue, sans fabrique, et sans tout ce luxe qui n'est point à la portée de la médiocrité, mais qui donne à l'opulence la facilité d'employer les artistes d'une manière utile pour eux, et honorable pour elle.

Enfin, vingt éditions de ce poëme, des tra

ductions allemandes, polonaises, italiennes, deux anglaises, en vers, répondent suffisamment aux critiques les plus sévères. L'auteur ne s'est pas dissimulé la défectuosité de plusieurs transitions froides ou parasites : il a corrigé ces défauts dans cette édition, qu'il a augmentée de plusieurs morceaux et de plusieurs épisodes intéressans, qui donneront un nouveau prix à son ouvrage. C'est surtout pour annoncer cette édition avec quelque avantage qu'il a tâché de réfuter les critiques trop rigoureuses que ce poëme a essuyées.

On a vu que, dans la préface de l'Homme des Champs, j'avais déjà réfuté quelques-unes de ces critiques qu'il me soit permis de répondre aux principales objections que l'on a a faites sur cette nouvelle production.

On m'a reproché, comme une chose fort grave, de n'avoir pas annoncé dans les premiers vers le plan de cet ouvrage. On pourrait réfuter d'un mót cette critique, en observant que le législateur de la poésie française, dans le plus régulier et le plus justement célèbre des poëmes didactiques, n'a présenté aucun plan.

Cette autorité est tellement respectable, que je n'en connais pas qu'on puisse lui opposer : mais, ce qui est bien plus extraordinaire, c'est que des censeurs plus sévères encore ont prétendu que ce plan n'existait pas, parce qu'il n'était pas annoncé. Je me crois donc obligé de rappeler ici que le poëme a pour objet, 1o. l'art de se rendre heureux à la campagne, et de répandre le bonheur autour de soi par tous les moyens possibles; 2o. de cultiver la campagne de cette culture que j'ai appelée merveilleuse, et qui s'élève au-dessus de la routine ordinaire; 3o. de voir la campagne et les phénomènes de la nature avec des yeux observateurs; 4°. enfin de répandre et d'entretenir le goût de ces occupations et de ces plaisirs champêtres en les peignant d'une manière intéressante. Ainsi le sage, l'agriculteur, le naturaliste, le paysagiste, sont les quatre divisions de ce poëme. Cette seule exposition doit suffire à ceux qu'il n'est pas impossible de contenter.

On a prétendu que ces divisions ne tenaient pas essentiellement les unes aux autres. Si on a voulu dire que chacune pouvait être traitée séparément, on a eu raison, sans rien prouver

pu

contre le plan de l'auteur. Virgile aurait faire un poëme sur les vignes, un autre sur les moissons, d'autres encore sur les vergers et sur les abeilles. Quoique ces objets puissent se séparer, cela ne prouve point qu'il ait eu tort de les réunir dans ses Géorgiques.

C'est surtout du quatrième chant que l'on a dit qu'il était étranger à l'ouvrage : mais, quand on a intitulé un poëme l'Homme des Champs, on a le droit d'y rassembler tout ce que le titre peut admettre; et le poëte champêtre ne devait pas y être oublié. Si j'avais omis cette dernière partie, n'entendez-vous pas les critiques s'écrier: Quoi! vous parlez de l'art de se rendre heureux dans les champs, d'en perfectionner la culture, d'en observer les beautés et les richesses, et vous oubliez celui de les chanter! vous oubliez les Virgile, les Thomson, les Gesner, qui ont fait des peintures si intéressantes et si délicieuses, que sans elles il semblerait manquer quelque chose à la nature! C'est faire injure à la fois à la campagne et à la poésie.

Au lieu de multiplier ainsi ces sortes de cri

tiques, dont je crois avoir prouvé l'injustice sans être aigri contre leurs auteurs, peut-être eût-il été plus équitable et plus naturel de remarquer que tous les chants de ce poëme sont parfaitement distincts les uns des autres, et que le sujet en est absolument neuf dans toutes les langues, et particulièrement dans la nôtre.

Au reste, je ne suis pas étonné de la sévérité avec laquelle cet ouvrage a été traité par une partie de la société. On sait que les derniers ouvrages d'un auteur sont toujours l'objet de la critique; mais, par une sorte de compensation, les premiers obtiennent alors un degré d'estime qu'on leur avait refusé à leur première apparition. Ce n'est point un effet de la justice ni de la bienveillance; c'est la malveillance au contraire qui, des premiers ouvrages d'un écrivain, fait les accusateurs des derniers. Il semble que, dans l'empire des lettres, les premières produc tions naissent déshéritées, jusqu'à ce qu'un nouvel ouvrage leur ait rendu leur droit d'aî nesse. Lorsque la traduction des Géorgiques parut, elle fut accueillie par une foule de critiques. La publication du poëme des Jardins rendit à cet ouvrage une estime qu'on ne lui

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