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trouver dans l'hommage que l'auteur a rendu à la mémoire du célèbre et malheureux Cook; elles en ont trouvé enfin dans l'épisode touchant de cet Indien qui, regrettant au milieu des pompes de Paris les beautés simples des lieux qui l'avaient vu naître, à l'aspect imprévu d'un bananier offert tout à coup à ses yeux dans le jardin du Roi, s'élance, l'embrasse en fondant en larmes, et par une douce illusion de la sensibilité, se croit un moment transporté dans sa patrie.

D'ailleurs, il est deux espèces de sensibilité : l'une nous attendrit sur le matheur de nos égaux, puise son intérêt dans les rapports du sang, de l'amitié ou de l'amour, et peint les plaisirs ou les peines des grandes passions qui font ou le bonheur ou le malheur des hommes: voilà la seule sensibilité que veulent reconnaître plusieurs, écrivains. Il en est une beaucoup plus rare et non moins précieuse : c'est celle qui se répand, comme la vie, sur toutes les parties d'un ouvrage; qui doit rendre intéressantes les choses les plus étrangères à l'homme; qui nous intéresse au destin, au bon

heur, à la mort d'un animal, et même d'une plante, aux lieux que l'on a habités, où l'on a été élevé, qui ont été témoins de nos peines ou de nos plaisirs, à l'aspect mélancolique des ruines. C'est elle qui inspirait Virgile, lorsque, dans la description d'une peste qui moissonnait tous les animaux; il nous attendrit presque également, et sur le taureau qui pleuré la mort de son frère et de son compagnon de travail, et sur le laboureur qui laisse en soupirant ses travaux imparfaits.

C'est elle encore qui l'inspire, lorsqu'au sujet d'un jeune arbuste qui prodigue imprudemment la luxuriance prématurée de son jeune feuillage, il demande grâce au fer pour sa frèle et délicate enfance. Ce genre de sensibilité est rare, parce qu'il n'appartient pas seulement à la tendresse des affections sociales, mais à une surabondance de sentiment qui se répand sur tout, qui anime tout, qui s'intéresse à tout; et tel poëte, qui a rencontré des vers tragiques assez heureux, ne pourrait pas écrire six lignes de ce genre.

Des personnes, d'ailleurs très-estimables, ont

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fait à ce poëme un reproche peut-être encore plus sérieux; c'est de n'avoir été écrit que pour les riches. Ainsi l'on s'est armé contre cet ouvrage de l'intérêt qu'inspire la pauvreté, et on a prétendu que l'auteur avait donné des préceptes inexécutables pour elle. S'il s'agit de la pauvreté absolue, elle a autre chose à faire que d'embellir des paysages: s'il s'agit de la médiocrité, je répondrai que j'ai vu des jardins charmans, du genre que je recommande, dont la dépense était très-inférieure à celle qu'ont nécessitée des jardins beaucoup plus magnifiques et moins agréables. La plus grande partie de ces préceptes, ayant pour objet le plus heureux emploi des beautés de la nature, peut être exécutée avec les moyens les plus médiocres, lorsque la situation et les accidens du paysage favorisent le goût du propriétaire. D'ailleurs, comment peut-on imaginer qu'un poëte, pour qui la campagne a eu tant d'attraits qu'elle a été l'objet de ses trois premiers ouvrages, ait dédaigné les hommes utiles à qui l'on doit ses richesses? Il suffirait, pour toute réponse, de citer ces vers du premier chant :

Mais ce grand art exige un artiste qui pense,
Prodigue de génie et non pas de dépense.

On m'a accusé aussi d'avoir exigé du décorateur des jardins l'imitation des grands effets de la nature, et particulièrement des montagnes, et l'on a oublié que j'ai dit, en parlant des montagnes factices:

Un humble monticule

Veut être pittoresque, et n'est que ridicule.

A l'égard des rochers, on trouvera ma rédans ces vers:

ponse

Du haut des vrais rochers, sa demeure sauvage,
La nature se rit de ces rocs contrefaits,
D'un travail impuissant avortons imparfaits.

S'il s'agit de ce qu'on appelle des bâtimens ou des fabriques, le grand luxe des jardins d'aujourd'hui, on peut se rappeler les vers

suivans:

Mais j'en permets l'usage, et j'en proscris l'abus.
Bannissez des jardins tout cet amas confus
D'édifices divers prodigués par la mode,
Obélisque, rotonde, et kiosk, et pagode,
Ces bâtimens romains, grecs, arabes, chinois,
Chaos d'architecture, et sans but et sans choix,
Dont la profusion, stérilement féconde,
Enferme en un jardin les quatre parts du monde

J'avais également proscrit une manie plus ridicule, celle des ruines factices, en disant

Mais loin ces monumens dont la ruine feinte
Imite mal du temps l'inimitable empreinte,
Tous ces temples anciens récemment contrefaits,
Ces débris d'un château qui n'exista jamais,
Ces vieux ponts nés d'hier, et cette tour gothique
Ayant l'air délâbré sans avoir l'air antique;
Simulacre hideux, artifice grossier!

Je crois voir cet enfant tristement grimacier,
Qui, jouant la vieillesse et ridant son visage,
Perd, sans paraître vieux, les grâces du jeune âge..

Pour ce qui regarde les ruines véritables, on sait qu'il n'y a qu'à laisser faire au temps, qui les dessine et qui les perfectionne mieux que tous les efforts de l'art.

Enfin, la manie dispendieuse des fleurs et de la propriété exclusive des plus rares a trouvé une leçon dans ces vers:

Je sais que dans Harlem plus d'un triste amateur
Au fond d'un cabinet s'enferme avec sa fleur;
Pour voir sa renoncule, avant l'aube s'éveille;
D'une anémone unique adore la merveille;

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