Page images
PDF
EPUB

L'e héros lui sourit, et ce front triomphant

Se courbe avec plaisir sous la main d'un enfant;
Il le prend, il t'embrasse, et, fixant son visage,
Dans ses destins futurs aime à voir son ouvrage :
Il part enfin, s'éloigne, et s'arrache à regret
A ce couple innocent qu'il envie en secret;
Il s'éloigne indigné de sa grandeur cruelle
Qui traîne le ravage et le deuil après elle,
Prend pitié de sa gloire, et sent avec douleur
Qu'il a conquis le monde, et perdu le bonheur;
Mais ce jour le console: il éprouve en lui-même
Ce plaisir pur qui fuit l'orgueil du diadème,
Qu'ignore la victoire, et quitte ces beaux lieux,
Fier d'un plus beau triomphe, et plus grand à ses yeux.
Le vieillard tout le soir suit sa tâche innocente;
Il va de fleur en fleur, erre de plante en plante,
Se hâte de jouir, et dans le fond du cœur
Recueille avidement un reste de bonheur.

A peine l'horizon avait rougi l'aurore,

Que, pressant dans ses bras cet enfant qu'il adore:
Je vais régner, dit-il, et ce terrible emploi,

Mon fils, après ma mort,

retombera şur toi :

Que je te plains! ces bois, ces fleurs, sujets fidèles,
Ne m'étaient point ingrats, ne m'étaient point rebelles;
Qu'un sort bien différent nous attend aujourd'hui !
Viens donc, ô cher enfant! viens, & mon doux appui!
Du malheur de régner viens consoler ton père.
Et vous, objets charmans, toi, cabane si chère,
Vous que je cultivais, vergers délicieux,
Arbres que j'ai plantés, recevez mes adieux.
Hélas! coulant ici mes heures fortunées,

Heureux, par vos printemps je comptois mes années;
Ces fastes valaient bien les annales des rɔis.
Puisse du moins l'empire être heureux sous mes lois,
Et, me dédommageant de vos pures délices,
Par le bonheur commun payer mes sacrifices!
Il dit, promène encor ses regards attendris
Sur ses bois, sur ses fleurs, ses élèves chéris,
Et part environné d'une brillante escorte.
Mais du palais à peine il a touché la porte,
Mille ressouvenirs se pressent sur son cœur :
Dans un confus transport de joie et de douleur
En silence il parcourt le séjour de ses pères,
Témoin de leur grandeur, témoin de leurs misères.

Leur ombre l'y poursuit : il pense quelquefois

Entendre autour de lui leur gémissante voix :
Mais les flots d'un vin pur, et le sang des victimes
Achève d'effacer la trace de ces crimes;

Il règne, et l'équité préside à ses projets :
Son sceptre est moins pesant, chéri par ses sujets.
Cependant quelquefois, loin d'un monde profane,
Il revient en secret visiter sa cabane,

Revient s'asseoir encore au pied de ses ormeaux,
De ses augustes mains émonde leurs rameaux ;
Et s'occupant en roi, se délassant en sage,
D'un bonheur qu'il n'a plus adore encor l'image."

FIN DU QUATRIÈME CHANT.

Les Jardins.

15

NOTES

DU PREMIER CHANT.

I Dont le charme autrefois avait tenté Virgile.

LE lecteur ne me saura peut-être pas mauvais gré de rapporter ici l'esquisse rapide que Virgile a tracée des jardins, qu'il regrette de ne pouvoir chanter.

Si mon vaisseau, long-temps égaré loin du bord,
Ne se hâtait enfin de regagner le port,
Peut-être je peindrais les lieux chéris de Flore;
Le narcisse en mes vers s'empresserait d'éclore ;
Les roses m'ouvriraient leurs calices brillans,
Le tortueux concombre arrondirait ses flancs;
Du persil toujours vert, des pâles chicorées,
Ma muse abreuverait les tiges altérées ;

Je courberais le lierre et l'acanthe en berceaux,
Et du myrte amoureux j'ombragerais les eaux.

On voit que cette composition de jardin est trèssimple et très-naturelle. On y trouve mêlés l'utile et l'agréable; c'est à la fois le verger, le potager et le

« PreviousContinue »