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vertueux, espèce d'original dont les copies deviennent plus rares de jour en jour; je crains même qu'on ne le regarde comme un caractère romanesque. Pour dissiper jusqu'au moindre doute sur ce point, je déclare que je fournirai aux incrédules des preuves décisives qu'il a existé : elles seront déposées en temps et lieu, rue Vivienne, no. 36, chez le notaire Bonnemain.

Quant au mérite de l'Ouvrage, il m'a paru médiocre. Je n'y ai point trouvé ces périodes nombreuses, ces pensées éclatantes, ces expressions de génie, qui font les délices des amateurs; et je ne crois pas qu'il se trouve en France un seul Athénée où l'on pût en supporter la lecture. Il a peu de force et peu de couleur; Freeman dit tout simplement ce qu'il veut dire : c'étoit un ignorant, qui n'entendoit pas les finesses de l'art.

Ce qui m'a le plus choqué dans ce Livre, c'est un ton présomptueux,

qui paroîtra bien extraordinaire dans ce siècle, où la modestie est devenue une qualité commune parmi les auteurs. Freeman ne doute pas un instant du succès de son ouvrage ; et il pousse même l'orgueil jusqu'à croire qu'il obtiendra les honneurs d'une seconde édition. Ces ébullitions d'amour-propre ne sont tolérables que chez les anciens; et quelque bien disposé que soit en sa faveur un écrivain moderne, il ne peut ainsi se louer lui-même sans prêter au ridicule. Il n'a que le privilége de se faire louer par des panégyristes complaisans. Ce qui me rassure sur le compte de mon ami, c'est qu'il est mort, et qu'on peut, sans inconvénient, le traiter comme un ancien.

On me demandera peut-être pourquoi, connoissant si bien les défauts de cet Ouvrage, j'ai pris le parti de le faire imprimer. Je répondrai à cette question, que j'ai pu croire, d'après les paroles échappées au ne

veu de Freeman; qu'en prenant cette résolution je me conformois à la dernière pensée de l'Auteur. S'il avoit voulu laisser ce livre dans l'oubli, pourquoi m'en auroit-il donné connoissance au moment où il alloit quitter la vie? Sans doute, il comptoit sur mon amitié pour le mettre au jour; et je ne me pardonnerois jamais d'avoir trompé son espérance. D'ailleurs je n'ai trouvé dans son Ouvrage nul principe dangereux nulle personnalité injurieuse, ni rien qui pût offenser les mœurs, et faire rougir la vertu. D'après cela, j'espère qu'on lui permettra de finir tranquillement sa destinée avec tant de traités de morale et de haute métaphysique, tant de romans historiques et d'histoires romanesques, tant de poëmes en prose, de comédies, de discours, d'opéras et de chansons, qu'un jour voit naître, briller et mourir.

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