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à leurs époux et à leurs enfans. Je ne le pense pas, et je pourrois vous citer, à ce sujet, une anecdote singulière qui vient à l'appui de mon sentiment, mais je crains d'abuser de la complaisance que vous avez déjà eue de m'écouter si long-temps.

Nous l'assurâmes tous que nous serions charmés de l'entendre; et il nous raconta l'histoire suivante :

Histoire de dona Elvire (1).

« Dona Elvire étoit la fille unique de don Francisco de Leyva, dernier vice-roi du Mexique. Ce seigneur, doué d'un esprit juste, et plus instruit que la plupart de ses compatriotes, avoit donné des soins particuliers à l'éducation de cette fille chérie. Parvenue à l'âge de dix-huit ans, elle faisoit les délices de la société, par les charmes de sa figure, par la bonté de son caractère, et par les talens agréables qu'elle cultivoit avec succès; elle avoit un goût décidé pour les arts la musique, la peinture et la danse, occupoient ses loisirs. Elle parloit le français et l'italien avec facilité. Naturellement enjouée, pieuse sans superstition, Elvire étoit citée à Madrid, où elle résidoit encore après le

(1) Le fond de cette aventure est véritable.

départ du marquis de Leyra, comme la personne la plus accomplie de la cour.

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Appelée à Mexico par les ordres du viceroi, elle quitta l'Europe avec regret. Elle devoit s'embarquer à Cadix, sur le bâtiment l'Immaculée Conception, destiné pour la VeraCruz. Ce fut le 4 juin 1794, qu'elle se rendit à bord de ce vaisseau avec sa tante Isabelle, et une suite convenable à sa naissance et à son rang. Vers les neuf heures du soir, le vent devint favorable; les matelots levèrent l'ancre, les voiles furent tendues, et le vaisseau sortit heureusement du port. Elvire, debout sur le tillac, tenoit ses regards fixés sur les côtes d'Epagne. La vue de quelques pêcheurs qui, dans leurs frêles esquifs chantoient de vieilles romances en retournant vers le rivage, où ils étoient attendus par leurs femmes et par leurs enfans, lui causa une émotion involontaire. Un pressentiment confus sembloit l'avertir que, moins heureuse que ces pauvres pêcheurs, elle alloit s'exiler pour jamais du pays où elle avoit passé ses premières années dans l'innocence et le bonheur.

» L'Immaculée Conception ne mit que cinquante-neuf jours pour se rendre de Cadix à la Vera-Cruz, et cependant le capitaine avoit touché à Porto-Rico pour se procurer des vivres et d'autres rafraichissemens. Don Francisco de Leya fut ins

truit par un courier de l'arrivée d'Elvire. Il vint lui-même au devant d'elle, jusqu'à la Vera-Cruz, qui est à soixante et douze lieues de Mexico. La première entrevue fut touchante : don Francisco ne pouvoit se lasser de regarder sa fille, dont les graces, l'esprit et la beauté lui rappeloient l'image de dona Maria son épouse, qu'il avoit eu le malheur de perdre quelques années avant sa promotion à la dignité de vice-roi.

L'arrivée de dona Elvire à Mexico fut marquée par des fêtes où la galanterie espagnole déploya tout ce qu'elle peut avoir d'agréable et d'ingénieux. Dans le nombre des seigneurs qui assistoient à ces fêtes, on distinguoit don Alphonse de Villa-Réal, qui jouissoit d'une haute. considération à la cour du vice- roi. Il joignoit à une naissance illustre, de la fortune, de l'esprit et de la bravoure : ajoutez à cela une tournure élégante, de la jeunesse, et vous ne serez pas étonné que les dames mexicaines eussent pour lui une estime particulière.

» Il y avoit long-temps que le vice-roi songeoit à don Alphonse pour en faire son gendre. Il étudia sans affectation l'impression que la vue et les charmes d'Elvire causoient sur ce jeune seigneur; et il fut bientôt convaincu que cette impression étoit telle qu'il pouvoit la desirer. Une des remarques qui le confir

mèrent dans cette opinion, c'est que les dames qui, jusqu'alors, ne tarissoient pas sur les louanges de don Alphonse, commencèrent à parler de lui un peu légèrement; les unes disoient qu'il étoit trop présomptueux, d'autres qu'il n'avoit pas autant de goût qu'elles l'avoient d'abord imaginé. Le vice-roi conclut de ces propos que ce jeune seigneur étoit moins occupé d'elles, et qu'un nouveau sentiment s'étoit emparé de son cœur. Il ne se trompoit pas dans ses conjectures.

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Cependant Elvire, qui s'étoit prêtée avec toute la vivacité de son âge aux plaisirs que la tendresse de son père lui avoit procurés, se fit un genre de vie fort agréable. Tantôt elle esquissoit un paysage, tantôt elle essayoit sur son piano forté les belles sonates d'Haydn et de Mozart. Quelquefois, elle dessinoit une élégante broderie sur une mousseline des Indes, ou lisoit quelques pages du Tasse et de Racine. Sa raison et son goût se fortifioient de jour en jour; elle aimoit à parler de la littérature et des arts, surtout avec don Alphonse.

>> Celui-ci se présenta un jour chez le viceroi, et lui fit demander une audience particulière. Don Francisco se douta du motif de cette démarche; et lorsque don Alphonse, après tous les complimens d'usage, lui avoua

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qu'il aspiroit à la main d'Elvire, le vice-roi lui dit que rien ne pouvoit lui être plus agréable que cette alliance; mais qu'il ne vouloit point se séparer de sa fille, dont il attendoit la consolation de ses vieux jours. Vous logerez dans mon palais, ajouta-t-il, et vous serez traité comme mon fils. Don Alphonse, au comble de la joie, promit de se conformer à tous ses desirs, et se retira rempli d'amour et d'espérance.

» Il fallut communiquer cette nouvelle à Elvire. Le vice-roi imagina de faire sonder les sentimens de sa fille par dona Isabelle, cette tante dont j'ai déjà parlé. Il n'y a rien dans le monde qui soit plus agréable aux femmes d'un certain âge que ces sortes de commissions. Cela leur rappelle toujours quelques précieux souvenirs; et elles y attachent beaucoup d'importance. Soyez tranquille, mon frère, répondit. gravement dona Isabelle au vice-roi, lorsqu'il lui fit sa proposition: je vais, de ce pas, chez ma nièce; quelqu'effort qu'elle fasse pour déguiser ses sentimens, je lirai dans son cœur, et vous serez instruit de ce que vous desirez savoir. Alors elle se rendit dans l'appartement d'Elvire, qu'elle trouva dans l'enthousiasme de la composition, occupée à mettre en musique une ancienne romance espagnole. Ma fille, lui dit-elle, allons faire un tour de promenade; j'ai besoin

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