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jour autour de moi l'élite des jeunes Athéniens renommés par les grâces de leur esprit et par leur amour pour le plaisir. Des mets exquis couvrent ma table, des vins précieux circulent dans la coupe amie de la joie, et les parfums de l'Arabie rendent voluptueux l'air même que nous respirons. Des joueuses de flûte, des danseuses de Lesbos et les prêtresses les plus distinguées de Vénus Aphrodite, augmentent nos plaisirs en les partageant. Tout conspire à mon bonheur, et cependant je ne suis point heureux. J'éprouve un vide dans mon cœur dont je ne saurois pénétrer la cause; un dégoût mortel s'est emparé de moi, ma santé s'altère, et je suis las de vivre.

THEOPHRASTE.

Comment, avec tant de moyens de félicité, pouvez-vous connoître l'ennui?

MÉNÉDÈME.

Je ne suis pas moins surpris que vous de cette bizarrerie de ma destinée. Il faut que quelque magicienne de Thessalie ait jeté sur moi un charme infernal, ou qu'un dieu dont j'aurai par hasard négligé le culte, se plaise à me persécuter.

THEOPHRASTE.

Croyez vous qu'il n'y ait au monde d'autres

moyens
de me parler?

de bonheur

que ceux dont vous venez

MÉNÉDÈME.

Votre question m'étonne. Peut-on établir un doute sur une chose aussi évidente? L'homme le moins instruit vous répondra que les richesses et les plaisirs sont les élémens du bonheur.

THEOPHRASTE.

Ainsi, des palais somptueux, des lits couverts de poupre, une table bien servie, un choix de jolies esclaves, rendent nécessairement heureux celui qui les possède.

Sans doute.

MÉNÉDÈME.

THEOPHRASTE.

Quoi! si vous donniez toutes ces choses à Lycomède, votre voisin, il ne pourroit manquer d'être heureux.

MÉNÉDÈME.

Lycomède est déjà vieux; ses sens sont émoussés; les vins de Chypre lui paroîtroient insipides; les regards même de Laïs, ou de Phryné, ne pourroient exciter dans son cœur la moindre émotion.

THEOPHRASTE.

Que je plains ce pauvre homme! il est donc bien malheureux?

MENÈDÈME.

Ne le plaignez pas il est d'une gaîté charmante; son visage est toujours serein, et il n'éprouve aucune des infirmités de la vieillesse. Il s'estime fort heureux dans le sein de sa nombreuse famille qui lui prodigue les soins les plus touchans, et je ne crois pas qu'il y ait dans Athènes un homme plus satisfait de sa destinée. THEOPHRASTE.

Vous me surprenez ! Si le bonheur consiste dans une suite continuelle de plaisirs, tels que ceux dont vous avez fait l'énumération, comment Lycomède peut-il être content de son sort?

MÉNÉDÈME,

Peut-être me suis-je trompé. Il existe sans doute des plaisirs que je ne connois pas, et qui ne causent aucune satiété,

THEOPHRASTE.

Vous croyez donc que les plaisirs de la table, les jouissances du luxe, les caresses intéressées des courtisanes amènent quelquefois la satiété ? MÉNÉDÈME.

Je suis forcé de le croire, puisque je l'éprouve moi-même depuis long-tems.

THEOPHRASTE,

Regarderiez-vous comme un avantage d'é

changer ces plaisirs qui peuvent engendrer le dégoût contre des jouissances plus solides, et que l'ennui n'accompagne jamais?

MÉNÉDÈME.

Je croirois faire un marché très avantageux. THEOPHRASTE.

Si cela est ainsi, je m'engage à vous les faire connoître.

MÉNÉDÈME.

Un moment. Je vois que vous allez me débiter les maximes fastueuses de Zénon. Renoncez, me direz-vous, à ces habitudes de luxe que vous avez contractées, et ne pensez plus qu'à vous perfectionner par l'étude de la sagesse. Le sage se sépare du vulgaire, méprise toutes les voluptés, s'élève au-dessus de la douleur, et se rend semblable aux Dieux. Mon cher Théophraste, je suis homme, et sujet à toutes les foiblesses humaines. Je n'aspire point aux honneurs de l'apothéose, et je crois les promesses de la philosophie aussi peu solides que la faveur populaire et le patriotisme de nos orateurs.

THEOPHRASTE.

Vous êtes donc bien versé dans la philosophie ? MÉNÉDÈME.

Qui, j'ai eu long-temps à mon service un

stoïcien et un disciple de Pythagore. J'avois la patience d'écouter leurs réveries, et je n'y ai trouvé rien d'applicable à ma situation dans le monde. Ils étoient en contradiction perpétuelle l'un avec l'autre, et se disoient souvent des injures avec une fureur qui me faisoit pitié. La conduite de ces deux hommes étoit d'ailleurs directement opposée à leurs préceptes. Le secta teur de Pythagore mourut chez moi des suites d'une indigestion; et le stoïcien s'enfuit un jour de mon palais, accompagné de Zoé, la plus jeune et la plus jolie de mes esclaves qu'il avoit séduite. Depuis ce temps-là, j'ai de l'humeur contre tous les philosophes.

THEOPHRASTE.

Vous pensez donc que la doctrine professée par ces deux hommes étoit la vraie sagesse?

MÉNÉDÈME.

Je conviens que j'ai pu me tromper.

THEOPHRASTE.

Je n'entrerai point avec vous dans des abstractions qui fatigueroient votre esprit sans l'éclairer; mais je vous montrerai un vrai philosophe.

MÈNÉDÈME.

Je ne demande pas mieux. Dites-moi où se trouve ce phénix?

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