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royauté ? N'a-t-il pas une tout autre influence sur les populations et sur les chefs qu'elle se choisit, que sur les classes privilégiées et orgueilleuses des monarchies, et sur les princes infatués de vanité, qui, gouvernant en maîtres dans l'ordre temporel, n'ont jamais pu comprendre qu'ils ne sauraient exercer le même empire dans l'ordre purement spirituel?

Telles sont les questions toutes nouvelles que la révolution de février a posées aux catholiques. Qu'on ne s'y trompe pas en effet, ce n'est pas nous qui avons témérairement et arbitrairement soulevé ces questions. Elles ont surgi des événements naturellement et d'ellesmêmes; car, je le répète, des rapports nouveaux ne sauraient s'établir sans que du même coup des idées nouvelles ne remuent le monde des intelligences, et les croyants voudraient se taire, que les événements les forceraient à parler. L'Église occupe dans le monde une place si considérable et un rang si élevé qu'il ne peut se faire le moindre mouvement qu'elle n'en éprouve le contre-coup et qu'on ne soit obligé de compter avec elle. Il y a des esprits cauteleux qui disent Gardons-nous de nous prononcer de sitôt sur la valeur de la nouvelle forme de gouvernement; ne nous pressons pas; les événements vont si vite que peut-être ils nous dispenseront de nous expliquer. N'y aurait-il pas de l'imprudence à nous engager dans des voies qui ne seront peut-être pas celles de l'avenir? Et en attendant, l'humanité s'en va sans boussole, ballot

tée à tout vent de doctrine, livrée à la direction du premier venu qui a un peu plus de hardiesse, un peu plus de foi les autres. Le chrétien, je ne parle pas

que

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du clergé, il est le meilleur juge des ménagements qu'il a à garder, mais le chrétien qui est mêlé aux affaires publiques doit-il avoir une foi politique, oui ou non? S'il a cette foi, et si on ne comprime pas son élan, il peut sauver la société en faisant passer sa foi dans les âmes. Que s'il n'a pas, que s'il ne peut avoir cette foi sans se compromettre avec les chefs spirituels de l'Église, il faut qu'il renonce à toute action; il n'est plus dans la société qu'un vain et ridicule spectateur, sans portée, sans influence. Que si, ayant cette foi, ce feu sacré qui remue les masses quand il s'exprime librement et qu'il s'échappe de la poitrine en traits de flamme, il est néanmoins réduit à user de précautions oratoires pour ne pas blesser quelques pieux scrupules, pour ne pas encourir des censures, oh! alors, dans cette situation difficile, son langage est terne, et sa foi, qui devrait remuer les montagnes, va s'évanouir et se perdre au milieu du tumulte des passions, comme une voix timide dans une assemblée de tribuns.

Eh bien! nous croyons qu'il nous sera permis de dire, dans l'intérêt même de la religion, qui est inséparable de l'intérêt de la république, que les feuilles de la Gauche se trompent quand elles accusent le catholicisme d'être en opposition directe avec toutes les ten

dances de l'esprit moderne ; quand elles disent qu'il est un obstacle à toutes les améliorations, à tous les progrès de la société, qu'il est l'ennemi-né et naturel de la démocratie, que par conséquent il faut le détruire, comme on détruit un obstacle, sous peine de voir la civilisation s'abîmer dans l'immobilité du despotisme dont il aurait été, à les en croire, l'allié fidèle et dévoué.

Eh bien! nous n'hésitons pas à affirmer que ces assertions ne reposent sur aucun fondement solide. Le Christianisme, sans doute, est foncièrement conservateur, mais il est en même temps favorable à tous les progrès. Plein de respect pour les droits acquis, il appelle de ses vœux, de son influence, la réalisation de tout ce qu'il y a de praticable, de légitime dans les hardiesses de l'opinion.

Ceux qui accusent le catholicisme d'avoir fait son temps, sous prétexte qu'il ne peut vivre que sous des formes vieillies et usées, ne sauraient avoir raison contre les catholiques qui, se plaçant au-dessus de tous les partis, se font un devoir de conscience d'être équitables envers tout le monde, et surtout envers ceux qui les attaquent, en reconnaissant et en s'appropriant ce qu'il y a de vrai et de fécond dans le labeur des révolutions, qui ne saurait être stérile à tous égards.

Il ne faudrait pas croire, en effet, que le parti démocratique qui, depuis soixante ans, recherche avec une ardeur infatigable les moyens d'améliorer la condition

des masses, qui a toujours compté et compte encore dans son sein des hommes d'une valeur incontestable, n'ait sa raison d'être que dans de vagues et ridicules utopies, dans des mouvements anarchiques et criminels. Est-ce que ce n'est pas à l'idée démocratique que nous devons la liberté d'écrire et de penser, l'égalité devant la loi, la destruction des priviléges, le suffrage universel, le droit de réunion et d'association, et enfin la liberté d'enseignement inscrite dans la Constitution? Et cependant il fut un temps où il n'était pas permis de réclamer la plupart de ces droits sans passer pour un révolutionnaire, pour un factieux, pour un fauteur de désordre et d'anarchie! Les passions politiques sont toujours les mêmes. Il y a, il y aura toujours, comme il y a toujours eu, dans les pays de libre discussion, des conservateurs aveugles et des novateurs impatients. Mais entre ces deux extrémités, il y a ce que nous appelons le parti de la justice, de la véritable modération, le parti de ceux qui veulent faire passer dans les lois, dans les institutions, régulièrement, progressivement, sans secousse, sans révolution, toutes les réformes justes et réalisables, et augmenter ainsi successivement la somme du bien-être, au physique et au moral, en y faisant participer une plus grande masse de citoyens.

Eh bien! s'il nous est permis, à nous catholiques, d'embrasser et de suivre une pareille politique, sans porter le plus léger préjudice à notre foi, de quel droit, dirons-nous à ceux qui nous accusent, prétendre que

la religion chrétienne est inconciliable avec la démocratie ?

L'école catholique n'a jamais fait aucune difficulté de reconnaître par l'organe de ses docteurs, de ses évêques, et des souverains pontifes, que l'état républicain, au lieu d'être en opposition avec les maximes de l'Évangile, en serait la plus haute expression, si l'on pouvait amener les démocrates à la pratique de la religion et les hommes religieux à la pratique de la démocratie. Voici, à cet égard, ce qu'écrivait en 1797 le pape Pie VII, alors évêque d'Imola : « La forme du gouvernement démocratique n'est pas en opposition avec les maximes de notre sainte religion. Elle ne répugne pas à l'Évangile, elle exige au contraire des vertus sublimes qui ne peuvent s'acquérir qu'à l'école de Jésus-Christ. Une vertu ordinaire peut assurer la prospérité d'une autre forme de gouvernement. La nôtre demande davantage. Tâchez donc de conquérir la perfection de la vertu, et vous serez de vrais démocrates; accomplissez fidèlement les préceptes évangéliques, et vous serez la joie de la République. Soyez des chrétiens parfaits, et vous serez d'excellents démocrates. »>

Le principe fondamental, la grande base de la démocratie résident dans le principe de la souveraineté du peuple. Or, depuis bien des siècles, on s'occupe dans les écoles théologiques de cette grande question. Ici, sans doute, nous entrons dans le domaine des opinions humaines, et nous ne devons pas transformer en dogmes

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