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époque où la forme monarchique était réellement la meilleure et même la seule possible, et où l'on aurait été traité, non sans raison, d'insensé et de visionnaire, si on avait parlé de république à un peuple à demi policé, et toujours prêt à donner pour ses rois ses biens et sa vie. Qu'elles songent encore que ces mêmes théologiens ne faisaient aucune difficulté de reconnaître en même temps, que la forme démocratique était quasi de droit naturel, de droit divin, ce qui implique, selon nous, qu'elle est la meilleure, en supposant les circonstances favorables. Et c'est sans doute ce qu'ils ont voulu dire, quand ils ont avancé que cette forme était bonne, utile et même nécessaire, l'état d'une société étant donné. Ils ont donc été aussi hardis qu'on pouvait l'être alors; et ce qui le prouve, ce sont les attaques dont ils ont été l'objet de la part des parlements et de tous les défenseurs du droit divin des rois, qui ne leur ont jamais pardonné d'avoir enseigné avec persévérance et unanimité, et aussi avec toute l'autorité de la science et de la raison, que la souveraineté royale n'était pas inamissible, et que, dans des cas donnés, les peuples avaient le droit de déposer les rois.

Nous n'ajouterons qu'un mot : c'est que ces feuilles se font plus de mal qu'elles ne pensent, quand elles reprochent au catholicisme de ne pouvoir s'allier à la démocratie. Indépendamment qu'elles sont en cela en contradiction avec les plus grands docteurs du moyen âge et des seizième et dix-septième siècles, et, comme

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nous allons le voir, avec l'épiscopat de 1848, elles s'exposent à se faire dire que leur république doit être de bien mauvaise composition, si tant est qu'elle ne puisse s'accommoder d'une religion qui a détruit l'esclavage et civilisé toutes les nations qui lui ont donné droit de cité. Eh bien! ces feuilles ne trouveront pas mauvais que nous leur disions que leur république, — je parle de la bonne république, de cette république démocratique aussi sage que libérale, qui est aussi la nôtre, est plus chrétienne qu'elles ne pensent peutêtre, à en juger par leurs attaques incessantes contre une croyance à l'esprit de laquelle on a pourtant emprunté tout ce qu'il y a de grand et d'élevé dans la Constitution.

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Le rapporteur de la commission de Constitution, M. Marrast, qui autrefois, dans la presse, a été un de ceux qui ont le plus reproché à la religion son incompatibilité avec l'esprit des institutions modernes, M. Marrast a écrit dans son rapport sur la Constitution ces religieuses paroles : « La loi chrétienne avait dit depuis longtemps: Les hommes sont égaux, les hommes sont frères. Quand la loi politique, à son tour, a proclamé ces deux maximes, ce n'était pas pour étaler de beaux sentiments, mais pour créer de sérieux devoirs. Ces devoirs obligent les citoyens envers la société, la société envers les citoyens; tout homme se doit aux autres, et les pouvoirs représentant l'ensemble social se doivent à tous; entre l'État, la famille, l'individu, s'é

tablissent ainsi les liens d'une solidarité, religieuse dans son principe, politique dans son action. »

Notre Constitution, notre démocratie sont donc religieuses dans leur principe. Aussi voyez comme tout révèle, dans cette Constitution, et surtout dans ce préambule qui a été l'objet de si nombreuses attaques, la pensée chrétienne de ceux qui en ont été les auteurs.

Le législateur, après avoir invoqué Dieu, proclame le dogme républicain, duquel il fait émaner tous les droits, tous les devoirs. Ce dogme, c'est la liberté, l'égalité, la fraternité (art. 4 du préambule). La république française ne reconnaît pas l'esclavage (art. 6); elle ne doit entreprendre aucune guerre dans des vues de conquête, ni employer ses forces contre la liberté d'aucun peuple (art. 5); elle proclame des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives (art. 3); les citoyens de cette république doivent concourir au bien-être commun en s'entr'aidant fraternellement les uns les autres (art. 7). La république doit, par une assistance fraternelle, assurer l'existence des citoyens nécessiteux, etc. (art. 8). La peine de mort en matière politique est abolie par l'art. 5 de la Constitution, et l'art. 7, non-seulement assure à chacun le libre exercice de sa religion, mais il lui garantit encore aide et protection contre ceux qui viendraient le troubler dans cet exercice; le même article place le traitement du clergé sous l'égide de la Constitution. L'art. 8 consacre le droit d'association, l'art. 9 la li

berté d'enseignement, et l'art. 1er assure à tous les citoyens des droits égaux à la souveraineté nationale, etc., etc.

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Ou je me trompe fort, ou la religion chrétienne, la religion de Fénelon est parfaitement en rapport avec ces grands principes. Si les feuilles auxquelles nous faisons allusion pouvaient encore conserver quelques doutes sur l'alliance possible du catholicisme et de la démocratie, nous les engagerions à lire les mandements publiés par les évêques de France quelques jours après la révolution de février. Les évêques, en effet, dans ces mandements, ne se sont pas bornés à reconnaître que l'Église peut et doit s'accommoder à tous les régimes et se plier à toutes les formes de gouvernement, cela est incontestable et incontesté, mais ils sont allés plus loin, et, au lieu de dire qu'il n'y avait aucun accord possible entre la religion et l'état républicain, ils se sont empressés de déclarer d'une voix unanime, que, à la prendre dans son essence même, dans sa pureté et sa sincérité, la démocratie repose sur des bases essentiellement chrétiennes, et que sa devise politique n'est qu'un emprunt fait à la morale évangélique, de sorte que son avénement dans le monde moderne ne serait qu'une application faite à l'ordre politique des principes moraux que le christianisme a enseignés aux hommes.

Voici, à cet égard, ce qu'un des prélats les plus élevés en dignité de l'Église de France, M. le cardinal Dupont, archevêque de Bourges, écrivait à tous les curés de son

diocèse : « Les principes dont le triomphe doit com<mencer une ère toute nouvelle, sont ceux que l'Église <a toujours proclamés et qu'elle vient encore de pro<clamer à la face du monde entier par la bouche de son auguste chef, l'immortel Pie IX (Lettre circulaire du 6 mars).

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Avant même son collègue de Bourges, M. le cardinal archevêque de Cambrai n'avait pas été moins formel: « La première, disait-il dès le 1er mars 1848, l'Église << proclamé dans le monde les idées de liberté, de justice,

d'humanité, de fraternité universelle. Elle les pro« clame de nouveau, en présence de tous les peuples, « par la voix de son auguste chef. Elle ne peut donc <qu'accueillir avec confiance des institutions qui ont « pour but d'assurer le triomphe de ses saintes lois. »> A ces déclarations des deux cardinaux, faut-il ajouter celles d'archevêques ou d'évêques ? Nous n'avons l'embarras du choix. M. l'évêque de Gap, par exemple, dans son mandement pour les élections, déclare que,

que

au point de vue religieux, les institutions qu'on nous donne aujourd'hui ne sont pas des institutions nou« velles; qu'elles ont été publiées sur le Golgotha, et « que les apôtres et les martyrs les ont cimentées de << leur sang en les défendant contre les tyrans des divers « siècles. » M. l'archevêque d'Aix, dans une circulaire faite aussi à l'occasion des élections, tient un langage tout pareil : « Prions Dieu, s'écrie-t-il, de faire triom«pher partout les principes d'ordre, de liberté, de

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