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nement plus funeste aux hommes que l'athéisme de Spinosa. Il est encore vrai que des nations agitées par le fanatisme se sont livrées par intervalles à des excès et à des horreurs qui font frémir.

Mais la question de préférence entre la religion et l'athéisme, ne consiste pas à savoir si, dans une hypothèse donnée, il n'est pas plus dangereux qu'un tel homme soit fanatique qu'athée, ou si, dans certaines circonstances, il ne vaudrait pas mieux qu'un peuple fût athée que fanatique; mais si, dans la durée des temps et pour les hommes en général, il ne vaut pas mieux que les peuples abusent quelquefois de la religion que de n'en point avoir.

L'effet inévitable de l'athéisme, dit un grand homme, est de nous conduire à l'idée de notre indépendance, et conséquemment de notre révolte. Quel écueil pour toutes les vertus les plus nécessaires au maintien de l'ordre social!

Le scepticisme de l'athée isole les hommes autant que la religion les unit; il ne les rend pas tolérants, mais frondeurs ; il dénoue tous les fils qui nous attachent les uns aux autres; il se sépare de tout ce qui le gêne, et il méprise tout ce que les autres croient; il dessèche la sensibilité; il étouffe tous les mouvements spontanés de la nature; il fortifie l'amour-propre, et le fait dégénérer en un sombre égoïsme; il substitue des doutes à des vérités; il arme les passions, et il est impuissant contre les erreurs; il n'établit aucun système, il laisse à chacun le droit d'en faire; il inspire des prétentions sans donner des lumières; il mène par la licence des opinions à celle des vices; il flétrit le cœur il brise tous les liens; il dissout la société.

L'athéisme aurait-il du moins l'effet d'éteindre toute superstition, tout fanatisme? il est impossible de le penser.

La superstition et le fanatisme ont leur principe dans les imperfections de la nature humaine.

La superstition est une suite de l'ignorance et des préjugés. Ce qui la caractérise, est de se trouver unie à quelqu'un de ces mouvements secrets et confus de l'âme, qui sont ordinaire

ment produits par trop de timidité ou par trop de confiance, et qui intéressent plus ou moins vivement la conscience en faveur des écarts de l'imagination ou des préjugés de l'esprit. On peut définir la superstition une croyance aveugle, erronée ou excessive, qui tient presque uniquement à la manière dont nous sommes affectés, et que nous réduisons, par un sentiment quelconque de respect ou de crainte, en règle de conduite ou en principe de mœurs.

Avec une imagination vive, avec une âme faible, ou avec un esprit peu éclairé, on peut être superstitieux dans les choses naturelles, comme dans les choses religieuses. Il n'est pas contradictoire d'être à la fois impie et superstitieux; nous en prenons à témoin les incrédules du moyen âge et quelques athées de nos jours.

D'autre part, toute opinion quelconque, religieuse, politique, philosophique, peut faire des enthousiastes et des fanatiques. De simples questions de grammaire nous ont fait courir le risque d'une guerre civile. On s'est quelquefois battu pour le choix d'un histrion.

D'après le mot d'un célèbre ministre, la dernière guerre, dans laquelle la France a si glorieusement soutenu le poids de l'univers, a-t-elle été autre chose que la guerre des opinions armées, et y a-t-il une guerre religieuse qui ait fait répandre plus de sang?

On ne saurait donc imputer exclusivement à la religion des maux qui ont existé et qui existeraient encore sans elle.

Loin que la superstition soit née de l'établissement des religions positives, on peut affirmer que, sans le frein des doctrines et des institutions religieuses, il n'y aurait plus de terme à la crédulité, à la superstition, à l'imposture. Les hommes, en général, ont besoin d'être croyants, pour n'être pas crédules; ils ont besoin d'un culte, pour n'être pas superstitieux.

En effet, comme il faut un code de lois pour régler les intérêts, il faut un dépôt de doctrine pour fixer les opinions. Sans cela, suivant l'expression de Montaigne, il n'y a plus rien de certain que l'incertitude même.

La religion positive est une digue, une barrière, qui seule peut nous rassurer contre ce torrent d'opinions fausses et plus ou moins dangereuses, que le délire de la raison humaine peut inventer.

Craindrait-on de ne remédier à rien, en remplaçant les faux systèmes de philosophie par de faux systèmes de religion? La question sur la vérité ou sur la fausseté de telle ou telle autre religion positive, n'est qu'une pure question théologique qui nous est étrangère. Les religions, même fausses, ont au moins l'avantage de mettre obstacle à l'introduction des doctrines arbitraires; les individus ont un centre de croyance; les gouvernements sont rassurés sur des dogmes, une fois connus, qui ne changent pas; la superstition est, pour ainsi dire, régularisée, circonscrite et resserrée dans des bornes qu'elle ne peut ou qu'elle n'ose franchir.

Il n'y a point à balancer entre de faux systèmes de philosophie et de faux systèmes de religion. Les faux systèmes de philosophie rendent l'esprit contentieux et laissent le cœur froid; les faux systèmes de religion ont au moins l'effet de rallier les hommes à quelques idées communes et de les disposer à quelques vertus. Si les faux systèmes de religion nous façonnent à la crédulité, les faux systèmes de philosophie nous conduisent au scepticisme; or, les hommes en général, plus faits pour agir que pour méditer, ont plus besoin, dans toutes les choses pratiques, de motifs déterminants que de subtilités et de doutes. Le philosophe lui-même a besoin, autant que la multitude, du courage d'ignorer et de la sagesse de croire, car il ne peut ni tout connaître, ni tout comprendre.

nos

Ne craignons pas le retour du fanatisme : nos mœurs, lumières empêchent ce retour. Honorons les lettres, cultivons les sciences, en respectant la religion, et nous serons philosophes sans impiété, et religieux sans fanatisme.

Ce qui est inconcevable, c'est que dans le moment même où l'on annonce que la protection donnée aux institutions religieuses pourrait nous replonger dans des superstitions fana

tiques, on prétend, d'un autre côté, que l'on fait un trop grand bruit de la religion, et qu'elle n'a plus aucune sorte de prise sur les hommes.

Il faut pourtant s'accorder: si les institutions religieuses peuvent inspirer du fanatisme, c'est par le ressort prodigieux qu'elles donnent à l'âme, et dès lors il faut convenir qu'elles ont une grande influence, et qu'un gouvernement serait peu sage de les mépriser ou de les négliger.

Avancer que la religion n'arrête aucun désordre dans les pays où elle est le plus en honneur, puisqu'elle n'empêche pas les crimes et scandales dont nous sommes les témoins, c'est proposer une objection qui frappe contre la morale et les lois elles-mêmes, puisque la morale et les lois n'ont pas la force de prévenir tous les crimes et tous les scandales.

A la vérité, dans les siècles même les plus religieux, il est des hommes qui ne croient point à la religion, d'autres qui y croient faiblement ou qui ne s'en occupent pas. Entre les plus fermes croyants, peu agissent conformément à leur foi; inais aussi ceux qui croient à la religion la pratiquent quelquefois, s'ils ne la pratiquent pas toujours; ils peuvent s'égarer, mais ils reviennent plus facilement. Les impressions de l'enfance et de l'éducation ne s'éteignent jamais entièrement chez les incrédules mêmes. Tous ceux qui paraissent incrédules ne le sont pas ; il se forme autour d'eux une sorte d'esprit général qui les entraîne malgré eux-mêmes, et qui règle jusqu'à un certain point, sans qu'ils s'en doutent, leurs actions et leurs pensées. Si l'orgueil de leur raison les rend sceptiques, leurs sens et leur cœur déjouent plus d'une fois les sophismes de leur raison.

La multitude est d'ailleurs plus accessible à la religion qu'au scepticisme; conséquemment les idées religieuses ont toujours une grande influence sur les hommes en masse, sur les corps de nation, sur la société générale du genre humain.

Nous voyons les crimes que la religion n'empêche pas; mais voyons-nous ceux qu'elle arrête? Pouvons-nous scruter les consciences et y voir tous les noirs projets que la religion

y étouffé, et toutes les salutaires pensées qu'elle y fait naître? D'où vient que les hommes, qui nous paraissent si mauvais en détail, sont en masse de si honnêtes gens? Ne serait-ce point parce que les inspirations, les remords auxquels des méchants déterminés résistent, et auxquels les bons ne cèdent pas toujours, suffisent pour régir le général des hommes dans le plus grand nombre de cas, et pour garantir, dans le cours ordinaire de la vie, cette direction uniforme et universelle sans laquelle toute société durable serait impossible?

D'ailleurs, on se trompe si en contemplant la société humaine on imagine que cette grande machine pourrait aller avec un seul des ressorts qui la font mouvoir; cette erreur est aussi évidente que dangereuse. L'homme n'est point un être simple; la société, qui est l'union des hommes, est nécessairement le plus compliqué de tous les mécanismes. Que ne pouvons-nous la décomposer, et nous apercevrions bientôt le nombre innombrable de ressorts imperceptibles par lesquels elle subsiste. Une idée reçue, une habitude, une opinion qui ne se fait plus remarquer, a souvent été le principal ciment de l'édifice. On croit que ce sont les lois qui gouvernent, et partout ce sont les mœurs. Les mœurs sont le résultat lent des circonstances, des usages, des institutions. De tout ce qui existe parmi les hommes, il n'y a rien qui embrasse plus l'homme tout entier que la religion.

Nous sentons plus que jamais la nécessité d'une instruction publique. L'instruction est un besoin de l'homme; elle est surtout un besoin des sociétés, et nous ne protégerions pas les institutions religieuses, qui sont comme les canaux par lesquels les idées d'ordre, de devoir, d'humanité, de justice, coulent dans toutes les classes de citoyens ! La science ne sera jamais que le partage du petit nombre; mais avec la religion on peut être instruit sans être savant. C'est elle qui enseigne, qui révèle toutes les vérités utiles à des hommes qui n'ont ni le temps ni les moyens d'en faire la pénible recherche. Qui voudrait donc tarir les sources de cet enseignement sacré, qui sème partout les bonnes maximes, qui les

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