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Et avoient lesditz Escossois pour chefz le comte de Boucan (1), connestable de France, filz du duc de Albanie, le comte de Douglas et le comte de Wincton. Et l'armée de France estoit conduite par le vicomte de Narbonne et messire Tanneguy du Chastel et le seigneur de Torcy.

Apres la mort du roy Charles sixieme, monseigneur le daufin se nomma roy, encore qu'il ne fust couronné à Reims. Et fut toujours loyalement servy par messire Tanneguy du Chastel, lequel il appeloit son pere. Et combien que par l'accord, traité et fait à Sablé (2), il fust expressement dit que le president de Provence, le bastard d'Orleans, comte de Dunois, dont sont issus les ducs de Longueville, Guillaume d'Avaugour et Frotier seroient chassés hors du royaume, pour avoir esté participans à la conjuration faite contre le duc de Bretaigne de le faire prisonnier à Chantoceaux (3), neanmoins ledit duc ne demanda que messire Tanneguy fust éloigné d'avec le roy, son maistre, connoissant sa fidelité, quoy qu'il en fust sollicité par le duc de Bourgongne. Mais Artus de Bretaigne, frere du duc, estant prié par le roy le venir servir en ses guerres, mesme qu'il luy vouloit donner l'estat de connestable de France, vaquant par la mort du comte de Boucan, avant qu'il voulust accepter cette charge, il requit que messire Tanneguy du Chastel vidast le royaume, disant que ayant epousé la fille du duc de Bourgongne, quy fut tué à Montreau-fault-Yonne par ledit du Chastel, ses parentz et amis luy pourroient imputer à quelque lacheté sy estans tous deux servans et residans en mesme cour, il ne luy couroit sus. A quoy le roy respondit que il luy seroit chose tres grieve de eloigner de luy ledit messire Tanneguy du Chastel, d'autant qu'il l'aimoit uniquement et le appeloit son pere, depuis qu'il le sauva de nuit et à la Bastille et depuis à Melun, et pour plusieurs

(1) Alfred Stewart, comte de Buchen.

(2) Le traité fut scellé à Sablé, le 8 mai 1421.

(3) Il s'agit du complot d'Olivier de Blois comte de Penthièvre et de sa mère Marguerite de Clisson, contre le duc Jean V, qui fut arrêté et renfermé à Champtoceaux (février 1420).

autres signalés services qu'il avoit reçus dudit du Chastel en ses plus grans et urgentz affaires. Mais, messire Tanneguy du Chastel connoissant ses suspicions que le duc de Bourgongne, ses parentz et amis avoient sur luy, pour le fait de Montreau, voyant d'autre part que la paix estoit necessaire pour le bien du roy et du public et que ledit duc de Bourgongne ne la consentiroit, s'il ne se retiroit d'aupres du roy, quy ne le vouloit nullement eloigner de luy, il va trouver le roy et luy dit : « Sire, j'ay sceu que vos parentz le duc de Bourgongne et monseigneur le connestable vous pressent de me envoyer hors de vostre cour et de vostre royaume, et connoy qu'ilz ne veulent approcher de vous, si je ne me en eloigne. Ne laissez pas, sire, pour sy petit personnage que je suis à recueillir près de vous les princes de vostre sang, car vous en avez à present affaire et necessité plus grande que jamais, pour vous estre aidans à dechasser vos ennemis; mais, me renvoyant d'aupres de vous, pourvoyez le bon vieil homme de quelque estat, dont il se puisse entretenir et surement preserver de choir au danger de ses ennemis; et en tous sens, envoyez-moy plustost hors du royaume que vos parents prennent sur moy leur excuse (1). » Alors, le roy, moult deplaisant de eloigner de luy ung tel personnage et sy loyal serviteur, lui dit : « Prevost de Paris, mon amy, je vous appelleray à jamais mon pere; puisque vous consentez aller hors le royaume, retirez-vous en la cité de Beaucaire et vous tenez là. Je vous en donne l'office de senechal (quy estoit ce que l'on appelle aujourd'hui gouverneur), quy chascun an vous vaudra six centz livres. Vous retiendrez aussy vostre estat de prevost de Paris, quy vous vaudra cinq centz livres, et vous en feray payer, encore que les Anglois y soient. En outre, vous donneray bon estat de pension par chascun an. Et pour la conservation de vostre personne, je veux que vous ayez quinze archers de nostre garde, telz que les voudrez elire, lesquelz je

(1) Grandes Chroniques de Bretagne, d'Alain Bouchart, livre IV, f. 183 vo.

feray payer par chascun an. S'il vous survient cependant quelque affaire, envoyez par devers moy, et je y pourvoiray (1). »

Atant, print messire Tanneguy congé du Roy et s'en alla à Beaucaire en Languedoc, sur la riviere du Rhosne, où il y a ung des fortz chasteaux de toute la France. Ce bon et vaillant chevalier s'y retira l'an 1425 et y passa en tout honneur, respecté et honoré de ung chascun, le reste de ses jours (2).

Or, ledit messire Tanneguy du Chastel laissa au service du Roy trois de ses neveux, enfans de son frere ainé (Olivier), savoir le seigneur du Chastel, dont le nom n'est rapporté(3) messire Guillaume et messire Tanneguy du Chastel.

L'an 1435, il y eut ung grand parlement en la ville d'Arras, où le duc de Bourgogne estoit, avec une grande noblesse, et les ambassadeurs de France et d'Angleterre, mesme du pape se trouverent, pour traiter de une paix finale entre les François, Anglois et Bourguignons. Les ambassadeurs pour le roy estoient le duc de Bourbon, Artur de Bretaigne comte de Richemont, connestable de France, tous deux beaux-freres du duc de Bourgongne, le comte de Vendosme, l'archevesque et duc de Reims, chancelier de France, messire Christophe de Harcourt, le seigneur du Chastel, neveu du surdit messire Tanneguy, le marechal de la Fayette et plusieurs autres chevaliers et grans seigneurs. La paix se conclut entre le roy et le duc de Bourgongne au grand regret et deplaisir de l'Anglois, auquel l'on continua la guerre. Ainsy se voit comme le seigneur du Chastel tenoit lieu entre les plus grans et signalés du royaume.

(1) Grandes Chroniques de Bretagne, livre IV, feuillet 184.

(2) D'après l'Histoire de Tanneguy Duchastel (par l'abbé du Chastel, 1760), publiée par H. Le Jannic de Kervizal, en 1894, Charles VII le fit grand maître de son hôtel, sénéchal de Beaucaire, puis gouverneur et sénéchal de Provence en 1446. Il fut envoyé, en avril 1448, en ambassade à Rome vers le pape Nicolas V. Il mourut en Provence, en 1449 (Voir Kerviler, Bio-bibliographie bretonne, IX, 27. On va voir plus loin que l'ambassade à Rome est attribuée, par Charles Gouyon, à Tanneguy du Chastel, grand écuyer de France, neveu du précédent. (3) François I, sire du Chastel.

GUILLAUME II DU CHASTEL

L'an mil quatre centz quarante et ung, le roy mint le siege devant la ville de Pontoise, où le duc de York, se disant regent de France et souverain gouverneur de Normandie pour le roy d'Angleterre, vint pour lever le siege et presenta la bataille au roy, quy estoit en personne en son armée. Là, apres plusieurs grandes escarmouches, il y en eut une où messire Guillaume du Chastel, très vaillant chevalier, neveu de messire Tanneguy, prevost de Paris, fut tué, apres avoir très vaillamment combattu en la presence du roy. Lequel, en temoignage de sa valeur et pour montrer le regret de la perte de ung sy vaillant homme, fit emporter le corps à St-Denis et l'y fit ensevelir et enterrer sous une sepulture de marbre, aupres du lieu qu'il avoit elu pour y mettre son corps, lorsque Dieu l'auroit retiré. Et se voit le nom dudit Guillaume du Chastel escrit sur sa sepulture. Et n'y a, outre les rois, que deux Bretons ensepulturés audit St-Denis, savoir messire Bertrand du Guesclin et messire Guillaume du Chastel.

TANNEGUY III DU CHASTEL (1) [GRAND ÉCUYER DE FRANCE]

Messire Tanneguy du Chastel, frere dudit Guillaume, tous deux neveux du susdit Tanneguy, comme dit est, fut des premiers et plus avancés aupres du roy Charles septieme. Apres le deces de Poton de Xaintraille, grand escuyer de France, ledit Tanneguy eut l'estat de grand escuyer de France. Et en l'an 1448, le roy envoya une solennelle ambassade devers le pape Nicolas [V] à son avenement à la papauté, et furent chefz de ladite ambassade messire Jaques des Ursins, archevesque de Reims, l'evesque d'Alet ou d'Arles, messire Tanneguy du Chastel et Jaques Coeur, maistre Guy Bernard, archidiacre de Tours, le

(1) Tanneguy IV, d'après les généalogistes.

duc et archevesque (évêque) de Langres (1). Et estoient bien trois centz chevaux. Messire Tanneguy et Jaques Coeur allerent par la mer, afin de faire ung avitaillement, et monterent sur des galeres et navires de guerre et descendirent au chasteau de Final qu'ils avitaillerent, que messire Galeot de Queret (2) tenoit pour le roy au territoire de Genes. Et faisoit ledit Galeot guerre aux Genevois pour le roy, lesquelz avoient mins le siege devant ladite place. Mais, voyans que ledit du Chastel l'avoit refraichie de vivres et munitions et que monseigneur le duc d'Orleans, quy estoit en sa comté d'Ast, venoit par terre pour combattre lesdits Genevois, ilz leverent, comme dit est, le siege, et ledit du Chastel poursuivit son voyage, ne menant que trois galeres et renvoya le reste. Et estant descendus à terre joignirent les susdits archevesques et entrerent à Rome en la plus grand pompe que eussent fait autres ambassadeurs avant iceux. Les plus honorables de la ville les allerent recueillir lors hors la ville. Lesditz ambassadeurs travaillerent sy dextrement au fait de leur commission et union de l'Eglize qu'ilz pacifierent entierement les schismes et divisions quy estoient en icelle entre les pape et antipape (3).

Depuis, l'an 1461, le XXII jour de juillet, le grand roy Charles septieme, dit le Conquerant, trespassa au chasteau de Mehun-sur-Yevre. Or, d'autant que pour lors il y avoit grand discorde entre iceluy roy et monseigneur le daufin, son filz, lequel à cette occasion se tenoit en Bourgongne. A cette cause, les officiers du roy Charles, quy estoient aupres de sa personne, connoissans sa fin approcher, le delaisserent et abandonnerent l'un apres l'autre de crainte de mondit seigneur le daufin, fors le

(1) L'évêque de Langres se nommait alors Philippe de Vienne. Comme on l'a vu dans une note précédente, ce serait Tanneguy II et non Tanneguy III qui aurait fait partie de cette ambassade, s'il faut en croire l'abbé du Chastel, dont l'opinion a été adoptée par M. Kerviler (Bio-bibliographie bretonne, t. IX, p. 27).

(2) Galiot du Garet (Monstrelet, vol. III, année 1448, éd. de 1595, p. 5 vo). (3) Monstrelet, ibid.

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