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sité, et Delambre, secrétaire perpétuel de l'académie des sciences, portoient les

quatre coins du drap mortuaire. Après la cérémonie religieuse, le cortège, marchant aux flambeaux, traversa constamment une foule considérable pour se rendre au cimetière du P. Lachaise, où l'avoit devancé un concours non moins nombreux. Le corps fut placé près du lieu destiné à lui servir de sépulture; et l'académie française, le Collège de France, l'université, et les éleves du célèbre professeur, saluèrent son ombre de leurs derniers adieux (').

Un nouvel hommage attendoit sa mémoire au sein de l'académie, où son successeur, M. Campenon, prononça son éloge, le 16 novembre 1814.

Delille avoit donné lui-même l'idée, et tracé le plan du monument où il desiroit que reposât un jour sa dépouille mortelle. Il disoit à madame Delille, en 1806:

Ma plus chère espérance et ma plus douce envie,
C'est de dormir au bord d'un clair ruisseau,

A l'ombre d'un vieux chêne ou d'un jeune arbrisseau :
Que ce lieu ne soit pas une profane enceinte :

Que la religion y répande l'eau sainte;

Et que de notre foi le signe glorieux,

Où s'immola pour nous le rédempteur du monde,

(1) Voyez le Moniteur du 8 mai 1813.

M'assure, en sommeillant dans cette nuit profonde,

De mon réveil victorieux (').

Ces pieuses intentions ont été remplies par sa veuve, aussi fidèlement que les circonstances locales l'ont permis; et le monument, digne en tout du grand poëte dont il renferme les cendres révérées, l'est aussi de l'épouse qui, en s'imposant tous les frais du mausolée, a voulu qu'aucun secours étranger ne pût réclamer sa part du devoir touchant dont s'acquittoit sa tendresse envers son époux. On y lit pour toute inscription ces simples mots :

JACQUES DELILLE.

Quel éloge ils renferment, et de quelle perte ils nous rappellent le souvenir! mais quelles consolations ils nous laissent, en retraçant en même temps à la pensée cette longue et brillante suite de titres de gloire qui porteront le nom de Jacques Delille à la postérité, avec ceux de J. Racine, de Boileau, de La Fontaine, et de Voltaire! Sans être précisément comparable à aucun d'eux pris en particulier, on reconnoît facilement dans la manière habituelle de Delille l'alliance quelquefois forcée, le plus souvent heureuse, des manières différentes de ces

(') Épître dédicatoire du poëme de l'Imagination.

quatre grands maîtres dans l'art d'écrire en vers. Il a tour-à-tour la touche ferme et sévère de Boileau; l'harmonieuse élégance de Racine; quelque chose des graces naïves de La Fontaine('); mais sur-tout l'abondance facile, et souvent trop facile de Voltaire. On conçoit sans peine qu'il est presque impossible qu'un style, qui se compose de la combinaison étudiée de tant d'autres styles, ait un cachet particulier, une certaine originalité de caractère; et qu'appliqué sur-tout à des sujets essentiellement diil n'en résulte pas fréquemment un contraste pénible pour le lecteur entre le fond des idées et les couleurs du langage. C'est un inconvénient que n'a pas toujours évité Delille, mais qu'il a su pallier avec un art infini; et quoique le chantre des Jardins se retrouve encore par intervalles dans le traducteur de l'Enéide, du Paradis, et même de l'Essai sur l'homme, on ne peut nier cependant, que chacune de ces grandes compositions poétiques se distingue

vers,

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(1) En voici un exemple entre autres: il s'agit du château de Meudon, et des bois qui l'environnoient:

Hélas! ces bois sacrés, ces bosquets ne sont plus!

Par le fer destructeur je les vois abattus;

Abattus au printemps!

Il me semble que ce dernier trait, et le tour qui l'exprime, sont bien dans le génie de La Fontaine.

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