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sieurs autres manières, toutes également bonnes peut-être.»

Rien de plus judicieux, en général, que ces observations, appliquées sur-tout à un sujet aussi étendu, aussi vague que l'Imagination; ajoutons, aussi stérile pour tout autre, par l'excès même de sa fécondité. Mais notre poëte se trouvoit là dans son élément; et l'on peut dire que la brillante déesse qui l'avoit si souvent et si bien inspiré, ne l'abandonna pas dans cette circonstance. L'un des critiques qui porta dans l'examen de cette magnifique composition le plus de goût, de justesse, et de sagacité, M. de Féletz, en donne une raison aussi vraie qu'ingénieuse. « C'étoit, dit-il, à la muse flexible et « brillante de Delille à s'emparer de ce sujet. « Il y a de grands traits de ressemblance entre « les caractères de sa poésie, et les divers em«blèmes sous lesquels on nous représente l'Imagination; personne ne pouvoit mieux que «<lui la revêtir de cette robe semée de mille « couleurs, et étincelante de brillants, que lui prête le poëte allemand Zacharie; il n'avoit << qu'à la revêtir de son style (').» «< Comme l'auteur d'Athalie, dit encore un critique que j'ai

"

(1) Voyez Le Spectateur françois, tom. IX, pag. 325 et suivantes

déja cité, Delille montre dans cet ouvrage des progrès qui surpassent tout ce qu'il avoit promis. On lui avoit reproché avec esprit de chercher à faire la fortune de chacun de ses vers: ici c'est la trame entière du style qui est magnifique: les ornements, choisis par un goût judicieux, l'embellissent, et ne la couvrent pas: c'est de l'or semé sur une étoffe de prix et d'un travail achevé. »>

Le poëme de l'Imagination parut précédé d'une dédicace en vers à madame Delille. C'étoit de la part du poëte l'expression pure et vraie d'une reconnoissance due à la compagne qui s'étoit courageusement associée à ses peines, à ses travaux, et qui a si souvent adouci les unes, si souvent contribué à nous faire jouir des autres.

Les ouvrages de Delille se succédoient dans le public avec une rapidité dont profitoit la malignité de ses ennemis pour accuser le poëte d'une dangereuse précipitation, ou d'une facilité malheureuse. On affectoit d'oublier qu'il rompoit alors un silence de trente ans, et qu'il ne publioit d'ailleurs que des ouvrages annoncés, ou connus même en partie depuis longtemps.

Les Trois Règnes, par exemple, qui suivirent de près l'Imagination, avoient été, comme

nous l'avons vu, commencés en 1794, et ils ne parurent que quatorze ans après, en 1808. On admira dans le nouveau poëme l'inépuisable fécondité d'une muse qui, après avoir déja prodigué tant de trésors dans les ouvrages précédents, en trouvoit encore à sa disposition; savoit reproduire les mêmes tableaux avec des couleurs nouvelles; se répéter, sans se copier servilement; et redire encore bien ce qu'elle avoit déja très bien dit. C'étoit la grace et la facilité du pinceau d'Ovide, avec plus de fermeté dans la touche, plus de variété dans le coloris, et de vérité dans l'expression. Quelques personnes regardent même le poëme des Trois Règnes comme le triomphe du genre descriptif, et le chef-d'œuvre de Delille dans ce même genre (1).

Tant et de si beaux titres de gloire, une renommée européenne, plaçoient Delille au premier rang des écrivains appelés à partager

(1) « L'aridité des principes disparoît sous la grace des formes avec lesquelles il les a exposés. Des comparaisons, tantôt riantes, tantôt majestueuses, rendent sensible à l'imagination ce que l'intelligence auroit pu ne pas saisir d'abord; et la prodigalité avec laquelle toutes les ressources de la poésie ont été employées dans cet ouvrage, étonne en raison de l'idée qu'on s'est faite de la pénurie et de la difficulté du sujet."

T. I. POÉS. FUG.

Rapport du Jury sur les prix décennaux.

d

l'honneur des prix décennaux. Les juges ne pouvoient avoir à son égard que l'embarras du choix : poëte original ou poëte traducteur, quel concurrent devoit-il redouter? Aussi le poëme de l'Imagination et la traduction de l'Enéide furent-ils désignés à la munificence impériale comme dignes du prix proposé('). Mais celui qui avoit refusé des chants à l'usurpateur, ne devoit ni ne pouvoit accepter ses récompenses; et quelque honorables que pussent d'ailleurs sembler à Delille les couronnes qu'on lui décernoit, la main qui se chargeoit de les distribuer les flétrissoit à ses yeux. Il étoit donc bien décidé à repousser ces nouvelles distinctions; et peut-être cette intention, hautement manifestée de sa part, entra-t-elle pour beaucoup dans l'ajournement indéfini des pompes dé

cennales.

Le poëme de la Conversation, publié en 1812, révéla dans Delille un autre genre de talent, celui de saisir et de peindre les travers de la société, avec la justesse de La Bruyère, la sûreté et la finesse caustique de son pinceau. On ne fut point étonné que l'écrivain qui venoit de nous donner un portrait si fidèle de l'auteur des Caractères (2), le reproduisît en quelque

() Voyez les rapports des 24 et 26 octobre 1810.
(2) Dans la Biographie universelle, tome VI, page 175.

sorte, et avec succès, dans ce nouvel ouvrage. Quant aux préceptes sur l'art de converser, personne encore n'étoit plus capable que lui de traiter la matière ex professo; et pour peindre le conteur aimable, l'esprit conciliant et tolérant, l'éloignement pour la malignité et la satire, il lui suffisoit de se peindre lui-même. Mais laissons parler ici un homme de lettres, qui, toujours digne et toujours honoré de l'amitié de Delille, a été plus à portée que nous de l'apprécier sous le rapport des qualités sociales. «Je ne «sais si je me trompe, dit M. de Féletz, mais « quelque amateur que je sois du talent flexi«ble, varié, et fécond de M. Delille, je m'é«< tonne peut-être plus encore des ressources inépuisables de sa conversation; et j'oserai «dire qu'il a été plus heureusement doué en<«<core comme homme d'esprit, que comme "grand poëte. Il me paroît avoir été unique <«<et sans rival dans l'art d'assaisonner une « conversation de tout ce qui en fait le char« me; de la varier à l'infini, de l'animer par «les saillies les plus heureuses, les propos « les plus légers, les reparties les plus vives et «<les plus inattendues; par des compliments «sans fadeur, des railleries sans amertume, « des anecdotes contées avec une grace parti«culière; et de la rendre souvent instructive

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