Page images
PDF
EPUB

Et, quand sa main ne peut secourir l'indigence,
Il lui donne ses voeux, sa prière et ses pleurs.

« que je suis loin de vouloir aigrir des plaies qui saignent << encore! Disparoissent à jamais la discorde, le ressenti<< ment, la noire et cruelle vengeance, toutes les passions « haineuses, les plus cruels ennemis de l'homme et de son «< bonheur ! » Après cette profession du plus vrai patriotisme, on doit juger ce qu'il en dut coûter à M. Carron pour satisfaire à ce qu'il se devoit à lui-même, à ce que des établissements, qui pouvoient périr sans lui, sembloient exiger de son intarissable charité. M. Carron a publié plusieurs ouvrages où l'on remarque cette onction qui semble caractériser toutes les actions de sa vie. Ses Pensées chrétiennes, pour tous les jours de l'année, contiennent tout ce que la morale évangélique a de plus pur et de plus consolant. On y trouve par-tout le ton pathétique de Fénélon, réuni à la sublime doctrine des Pères de l'église. Cet ouvrage, qui a eu un grand succès hors de France, a ensuite été réimprimé à Paris avec le même succès.

A M. DE BOUFFLERS.

Honneur des chevaliers, la fleur des troubadours,
Ornement du beau monde, et délices des cours!
Tu veux donc, dans le sein de ton champêtre asile,
Vivre oublié? la chose est difficile

Pour toi que le bon goût recherchera toujours.
En vain, dans un réduit agreste,

Le campagnard mondain, le poëte modeste,
L'aimable paresseux veut être enseveli:
Toujours pour toi coulera le Permesse,
Et jamais le fleuve d'Oubli.

Ces vers pleins de délicatesse,

Où ta Muse présente au lecteur enchanté
La grace et la raison, l'esprit et la bonté,
La bonhomie et la finesse,
L'élégance avec la justesse,
La profondeur et la légèreté;

Souvent, avec un art extrême,

Prête au bon sens l'accent de la gaieté,

Et se calomnie elle-même

Par un air de frivolité :

Ces titres heureux de ta gloire

Seront toujours présents à la mémoire.

Digne à-la-fois des palais et des champs, Ton Aline toujours aura ces traits charmants Qu'elle reçut de ta Muse facile,

Lorsque ton pinceau séducteur,

Toujours brillant, toujours fertile,

Gai comme ton esprit, et pur comme ton cœur,
Entre le dais et la coudrette,

Entre le sceptre et la houlette,
Nous peint cet objet enchanteur,
Moitié princesse et moitié bergerette.
Malgré toi tout Paris répétera tes chants;
Et toujours tu joindras, dans ton aimable style,
A la simplicité des champs,

Toutes les graces de la ville.

Puis, quand il seroit vrai que tes modestes vœux
Pussent s'accommoder de ces rustiques lieux,
Pourrois-tu bien, au fond d'une campagne,
Contre les vœux des Graces, des Amours,
Enterrer l'aimable compagne

A qui nous devons tes beaux jours?
Si tu n'avois de ton doux hyménée
Reçu pour dot qu'un immense trésor,
Je te dirois: « Va dans la solitude
Cacher tes jours, et ta femme et ton or,
Et d'un triste richard l'avare inquiétude.

Mais l'esprit, la beauté, sont faits pour le grand jour; La ville est leur empire, et le monde leur cour:

Le sage créateur du monde

T. 1. POÉS. FUG.

7

Ensevelit les métaux corrupteurs
Au sein d'une mine profonde;
Il cache l'or, et nous montre les fleurs.
Si toutefois, dans ton humeur austère,
Las du monde et de ses travers,

Tu veux, dans le fond des déserts
Cacher ton loisir solitaire,

Avec tes goûts nouveaux permets-nous de traiter :
Prenons un temps pour nous quitter;
Attends que tu cesses de plaire,

Et tes vers de nous enchanter.
Alors, puisqu'il le faut, sois agricole, range
Tes fruits nouveaux dans tes celliers,
Tes blés battus dans tes greniers,

Tes blés en gerbes dans ta grange,

Dans tes caveaux tes choux

rouges ou verts.

Mais que m'importe ta vendange,

A moi qui m'enivrai du nectar de tes vers,
Et quelquefois de ta louange?

Plus d'un contrefacteur du vin le plus parfait,
Des pressoirs de Pomard et des cuves du Rhône,
Des crus de Jurançon, de Tavel et de Beaune,
Sait assez bien imiter le fumet;

Même d'un faux Aï la mousse mensongère,
En petillant dans la fougère,
Trompe souvent plus d'un gourmet:

Mais tes écrits ont un bouquet

Que nul art ne peut contrefaire.

A MADAME LA COMTESSE POTOCKA,

NÉE MICHELSKA.

Eh bien! puisque l'impatience

De revoir vos climats chéris,

Ainsi qu'à l'amitié vous ravit à la France;
Partez les nobles Potockis,

Dans l'aimable Français, digne sang de ses pères,
Comme les mœurs héréditaires

De tous ces vieux héros au champ d'honneur instruits,
De vos sages leçons reconnoîtront les fruits,

Et dans le modèle des fils

Verront l'ouvrage heureux du modèle des mères.
Pour nous, qui des vertus connoissons tout le prix,
(J'en jure ici par la reconnoissance),
L'Imagination, dont j'ai peint la puissance,

Saura bien vous atteindre aux plus lointains climats.
Pour nous rendre votre présence,

Elle va voler sur vos pas;

L'amitié franchit tout; le temps ni la distance
Des objets de ses vœux ne la sépare pas,

Et le doux souvenir ne connoît point l'absence.

« PreviousContinue »