Seul je rêve avec vous, loin du trouble et du bruit; Par vous, en jour heureux je sais changer la nuit. Eh! comment résister au charme qui m'inspire? J'y vois leur successeur, qui, rival de leur gloire, (1) Ces vers sont un foible témoignage de la reconnoissance que je dois à la maison 'où j'ai le bonheur de vivre (le collège de Beauvais, à Paris). L'éloge d'un collège n'est peut-être pas bien intéressant pour ce qu'on appelle le beau monde; mais il peut l'être, je crois, pour ceux qui estiment ce qui est estimable. (2) M. Turquet, célèbre professeur de philosophie. (3) M. Thomas, qui vient de remporter, pour la troisième fois, le prix d'éloquence de l'Académie française. ÉPITRE A M. LAURENT, A l'occasion d'un bras artificiel qu'il a fait pour un soldat invalide. 1761. Archimede nouveau, qui, par d'heureux efforts, Pour dompter la nature, imites ses ressorts; Qui sers l'humanité, ton maître et ta patrie; Ma muse doit des vers à ta noble industrie. Assez d'autres sans moi souilleront leur encens: Qu'ils l'offrent à Plutus; je le dois aux talents. Les talents, de nos biens sont la source féconde; Ils forment les trésors et les plaisirs du monde. Sur cette terre aride, asile des douleurs, L'un fait naître des fruits, l'autre séme des fleurs. Pourquoi faut-il, hélas! que notre esprit volage N'aime que le brillant, dont nos mœurs sont l'image? J'aime à voir de Pigal l'industrieuse main Donner des sens au marbre, et la vie à l'airain. Je dévore des yeux ces toiles animées Où brillent de Vanloo les touches enflammées. Voltaire, tour-à-tour sublime et gracieux, Peut chanter les héros, les belles et les dieux. Je souris à Lani, qui, bergère ou déesse, Fait briller dans ses pas la grace ou la noblesse. Et toi, divin Rameau! par tes magiques airs, Non; ces arts bienfaiteurs sont respectés des sages; Oui, tu gagnes mon cœur, en étonnant mes yeux. Et maîtrise à son gré le feu, l'onde et les vents; Ton ame l'embrassa par l'instinct du génie. Du Lançoit sur l'ennemi des torrents déchaînés (1), Mais la gloire t'appelle à de plus grands miracles (3 Et le bronze et l'airain tonnant dans les combats; Heureux, qui sait briller par d'utiles prodiges! Un art qu'à nos besoins ont destiné les dieux. Pour leurs concitoyens, que produit leur adresse? Oui, dans eux le génie est un enfant badin; Mais dans toi, c'est un dieu propice au genre humain. (2) Ponts portatifs. (3) Dessèchement (1) Écluses. des mines. Tu sentis le pouvoir de ses mains bienfaisantes; Tu les mouilles encor de tes larmes touchantes, Infortuné mortel! heureux dans ton malheur, Par ses rares talents, plus encor par son cœur! Je crois voir le moment, où, des traits de la foudre, Tes bras au champ de Mars furent réduits en poudre; Je crois te voir encor, meurtri, défiguré, Traînant le reste affreux de ton corps déchiré, Te montrer tout sanglant à sa vue attendrie: La pitié qui lui parle enflamme son génie. O prodige! ton bras reparoît sous sa main: Ses nerfs sont remplacés par des fibres d'airain. De ses muscles nouveaux essayant la souplesse, Il s'étend et se plie, il s'élève et s'abaisse. Tes doigts tracent déja le nom que tu chéris ;, La nature est vaincue, et l'art même est surpris. Que ne peut point de l'art l'activité féconde! C'est par elle que l'homme est souverain du monde. De la nature en vain tu crois naître le roi: Mortel! sans le travail, rien n'existe pour toi. Ce globe n'est soumis à ta vaste puissance, Qu'à titre de conquête, et non pas de naissance; Et tu n'es distingué parmi les animaux Que par ton noble orgueil, ton génie et tes maux. Vois l'énorme éléphant, dont la masse effrayante Fait trembler les forêts dans sa course pesante: Près de ce mont vivant, que sont tes foibles bras? Mais sa force n'est rien; il ne la connoît pas. |