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Chacun a sa marotte et tous leur ridicule.

L'un, à la suite d'un cartel,

Qui veut du sang, pour un mot, pour un geste,
Bien loin du séjour paternel,
Victime d'un orgueil funeste,

S'en va mourir d'ennui sur les bords du Texel:
Un coup d'épée eût été moins mortel.

L'autre, promeneur solitaire,

Et voyageur apothicaire,

Va chercher sur les rocs, sur la cime des monts,
Dans le fond des forêts, dans le creux des vallons,
La plante du centaure, ou l'herbe vulnéraire,
Ou le salubre capillaire:

Et, fier de son butin lentement recueilli,
Revient la tête vide, et son herbier rempli.

Cet autre, préférant les arts à la nature,
Va chercher la moderne ou vieille architecture.
Il est heureux, s'il sait, à la rigueur,
Combien Saint-Paul a de longueur,
Combien tous les temples du monde
Le cédent en hauteur à la grande rotonde
Qui, s'élevant eccessivamente,

Va porter jusqu'aux cieux le nom de Bramanté.

En maçon très chrétien il a couru la terre,

Vu tous les patrons goths, grecs, gaulois, ou romains, Les temples celtes ou germains.

Il part, revole en France, en Angleterre,
Il compte en masse, hélas ! et souvent en détail,
La nef d'Amiens, de Reims le célébre portail,
Et du chœur de Beauvais le superbe travail,
Et les vitraux de Tours, précieux à l'histoire,
Où plus d'une famille a retrouvé sa gloire;
Les forts de Valencienne et ceux de Luxembourg,
Et les rocs dentelés du clocher de Strasbourg;
L'Escurial, le Louvre, et Saint-Roch, et Saint-Pierre,
Leurs châsses, leurs cercueils, le mur qui les enserre,
La grille dont ils sont enceints;

Enfin ses longs discours, ses récits, ses dessins,
Pleins d'autels, de tombeaux, et de marbre et de pierre,
Même aux dévots font redouter les saints.

L'autre à bien festiner met sa philosophie;
Où l'on mange et boit bien est sa géographie;
Il voyage en gourmand; il compare en chemin
La truite de Genève et la carpe du Rhin:

Les pleurs du Christ (1) au cru de Chambertin,
Le Calabrois, le Santorin,

Dont un volcan féconda le terrain;

Les vins pourris dans les fosses d'Espagne (2),
Au vieux nectar qu'en plus d'une campagne

(1) Lacryma-Christi : excellent vin qui se récolte sur le revers du Vésuve.

(2) Le Rancio, du latin rancidus, parcequ'il mûrit dans des fosses creusées pour le recevoir.

Nos grenadiers français buvoient, le sabre en main, Dans les foudres (1) de l'Allemagne.

Tantôt son savoir bien nourri

S'en va, d'auberges en auberges,

Chercher dans quels climats, sous quel ciel favori, Les pois nouveaux et les asperges,

Pour complaire à sa volonté,
Préviennent le printemps, survivent à l'été.
Aux champs de la Romagne, aux îles de l'Attique,
Dans sa gourmandise classique,

Il demande en courant le Chio, le Massique,
Qu'Anacréon et qu'Horace avoient bus,
A qui leur verve poétique

Paya de si justes tributs.

Il veut savoir quel vin moderne

Remplace le Cécube, et tient lieu du Falerne.
Il ne s'étonne pas que les arts soient perdus,
Depuis que ces vins ne sont plus.

Il goûte, il juge tout, passe de halte en halte
Des vergers de Montreuil aux oranges de Malte,
Du lièvre sans saveur et du fade lapin,

Nourris des débris du jardin,

Aux gibiers du midi, dont la chair renommée
Est de lavande et de thym parfumée;
Ou de la bartavelle à la rouge perdrix,
Dont l'épagneul évente les esprits;
Parcourt tous les terroirs en oliviers fertiles,

(') Grands vaisseaux qui contiennent plusieurs muids de vin.

De Lucque et d'Aix va comparer les huiles, Rapporte enfin chez lui des indigestions

De tous pays, de toutes nations.

Tantôt, peu satisfait de nos serres françaises,
Il s'arrête en chemin, charmé par un beau fruit
Dont le parfum et le goût le séduit,

Prend là ses repas et ses aises.

La saison finit-elle, il appelle à grand bruit
Ses gens, ses postillons, fait atteler ses chaises,
Et disparoît tout juste avec les fraises.

D'autres, de l'avenir, du présent peu frappés,
Infatigables antiquaires,

Du passé seul sont occupés;

Dans les vallons, sur les monts escarpés
Vont déchiffrant des marbres funéraires,
Vont déterrant des urnes cinéraires,

Se pâment sur un mur bâti par Cicéron,

Ou sur un coin du jardin de Néron;

D'écus grecs ou romains, ou d'antiques médailles, Ils s'en vont ramassant des restes curieux;

Ils appliquent la loupe, ils fatiguent leurs yeux

Sur le vert-de-gris précieux

De ces augustes antiquailles;
Du vorace Vitellius

Cherchent les casernes royales,

Ou des Tibère, des Caïus,

Les cavernes prétoriales;

Comblent de leurs débris des chars et des vaisseaux ;
Puis fiers de ces rares morceaux,
Pour embellir leurs scènes romantiques,
Ils vont de cet amas de décombres antiques,
De colonnes sans base et de vieux chapiteaux,
Attrister leurs jardins, encombrer leurs châteaux ;
Doctes fouillis de la Grèce et de Rome,

Où logent cent consuls, et souvent pas un homme!
Antre nobiliaire, ambitieux donjon,

Où, comme les vivants, chez d'Hozier, chez Baujon, Les morts inscrits sur leurs regître

Présentent en entrant leurs dates et leurs titres.

Des cartons sous le bras, dans les mains des crayons,
L'autre s'en va chercher loin de nos régions

Des ruines, des paysages;
Dessiner quelques monts sauvages,
Quelques rochers bizarrement taillés,
Et d'arbrisseaux rampants richement habillés,
De beaux lointains, et de riches ombrages.
Au fond d'un porte-feuille il dépose enterrés
Des champs flétris, des monts décolorés.
Par-tout où s'est montré ce grand paysagiste,
Chaque lieu semble triste

De voir ainsi déshonorés

Ses bois, ses ruisseaux, et ses prés,

A qui le crayon des artistes

N'a pu laisser ce ciel

pur et vermeil,

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