taient des ténèbres visibles qui servaient seulement à découvrir des scènes de désolation, des régions de misère, de tourments et d'horreur; désert battu sans relâche d'un déluge de soufre enflammé, séjour de perpétuelles tortures, dont jamais n'approchèrent le repos ni la paix, où ne pénétra jamais l'espérance, qui pénètre partout ailleurs. Telle est la place que l'éternelle justice a destinée à ces esprits rebelles: c'est dans la profondeur des plus épaisses ténèbres qu'est creusée leur prison; trois fois aussi loin de la lumière céleste et de son auteur, que le centre du monde l'est de l'extrémité du pôle. Oh! combien cette demeure est différente de celle qu'ils ont perdue! Là sont les compagnons de sa chute, ensevelis au sein des vagues et dans des tourbillons de flammes orageuses; il les aperçoit, et bientôt il voit rouler à ses côtés cet Esprit, le premier, après lui, en pouvoir ainsi qu'en crime, longtemps après connu dans la Palestine sous le nom de Belzébuth. A cet aspect, le chef ennemi, qui depuis sa révolte est nommé Satan dans le ciel, élevant une voix arrogante, rompt ainsi l'effroyable silence. << Est-ce toi!... mais o combien tu es dégradé! combien tu es différent de celui qui, couronné de rayons éblouissants, éclipsait, dans l'heureux empire de la lumière, des millions de brillants chérubins! Si c'est toi cependant qu'une parfaite conformité de vue et d'opinion, de danger et d'espérance, unit naguère à ma fortune dans une glorieuse entreprise, et qu'aujourd'hui l'adversité plonge avec moi dans une ruine commune, tu vois de quelle hauteur, dans quel abîme nous sommes tombés! tant son tonnerre lui donna de supériorité ! Et qui connaissait, jusqu'à ce moment, la force de cette arme cruelle? Mais quels que soient nos malheurs, quelque changement qu'ait éprouvé l'éclat dont je brillais jadis, dût le vainqueur dans sa rage frapper encore de plus terribles coups, mon âme immuable est incapable de faiblesse ou de repentir. Je sens toujours en moi ce ferme courage, ce superbe orgueil né du ressentiment de mon mérite offensé, sujet de ma querelle avec le puissant monarque, de cette terrible querelle qu'accoururent soutenir, les armes à la main, d'innombrables bataillons d'immortels. Préférant mon empire à celui de mon ennemi, qu'ils osèrent abjurer, leurs forces s'élevèrent contre les siennes, tinrent la victoire en suspens dans les plaines célestes, et firent chanceler son trône. Eh! qu'importe la perte du champ de bataille! Non, tout n'est pas perdu, puisqu'il me reste, avec la soif de la vengeance, avec une haine immortelle, un courage intrépide, une "That glory never shall his wrath, or might, So spake th' apostate angel, though in pain, Vaunting aloud, but rack'd with deep despair : And him thus answer'd soon his bold compeer : "O Prince! O chief of many throned Powers! "That led the embattled seraphim to war "Under thy conduct; and, in dreadful deeds "Fearless, endanger'd heav'n's perpetual King, "And put to proof his high supremacy, "Whether upheld by strength, or chance, or fate; "Too well I see, and rue the dire event, "That with sad overthrow and foul defeat "Hath lost us heaven; and all this mighty host " In horrible destruction laid thus low, "As far as gods and heav'nly essences "Can perish; for the mind and spirit remains "Invincible, and vigour soon returns, "Though all our glory extinct, and happy state "Here swallow'd up in endless misery. "But what if He our Conqueror (whom I now " Of force believe almighty, since no less " Than such could have o'erpower'd such force as ours) "Have left us this our spirit and strength entire, "Strongly to suffer and support our pains, "That we may so suffice his vengeful ire; "Or do him mightier service, as his thralls "By right of war, whate'er his business be "Here in the heart of hell to work in fire, " Or do his errands in the gloomy deep? : What can it then avail, though yet we feel "Strength undiminish'd, or eternal being, "To undergo eternal punishment?" Whereto with speedy words th' Arch-fiend replied: fermeté inébranlable, tout ce qu'il faut enfin pour être à jamais invincible. Voilà mon appui, voilà ma gloire: jamais ni sa colère, ni sa puissance ne pourront m'en dépouiller. Moi ramper! moi fléchir le genou! moi rendre hommage à celui que ce bras formidable a fait trembler pour sa couronne! C'est là que serait en effet la bassesse; c'est là ce qui serait un opprobre, une infamie plus avilissante que notre chute. Puisque, par la loi du destin, les êtres célestes sont immortels, puisque l'expérience de ce grand événement a augmenté nos lumières sans diminuer nos forces, c'est maintenant que, remplis d'un espoir mieux fondé que jamais, il faut reprendre les armes : ennemis implacables, surprenons par la ruse, ou renversons par la force ce superbe despote, tandis qu'il jouit d'un vain triomphe, tandis que seul maître et transporté de joie, il accable les cieux de sa tyrannie. >> Tel fut, au milieu des tourments, le discours de l'Ange apostat: déchiré par le profond désespoir, il exhalait une bruyante audace. Son fier compagnon lui répondit ainsi : « O prince, ô chef des nombreux et puissants monarques qui, sous tes ordres, guidèrent aux combats tant de bataillons de séraphins; guerrier intrépide au milieu des dangers dont tu assiégeas le perpétuel roi des cieux ; qui mis à l'épreuve sa haute souveraineté, soit qu'elle ait pour soutien la force, le hasard ou le sort! je ne vois que trop notre chute épouvantable; je vois toute l'horreur de cet affreux destin qui nous fit perdre l'empire céleste, et qui tient tous ces vaillants guerriers renversés dans de profonds abîmes, anéantis autant que peuvent l'être des essences divines. Car, quoique notre gloire soit éteinte, quoique notre bonheur soit englouti dans une éternelle misère, il nous reste un esprit invincible, une vigueur renaissante aussitôt qu'abattue. Mais si le vainqueur, que son triomphe me force à croire tout-puissant, puisque aucun autre n'aurait eu cet avantage; s'il ne nous a laissé cette intégrité de force et de courage, qu'afin de nous rendre plus capables de résister à l'excès de nos maux, et de supporter le poids de son courroux vengeur; ou si, nous considérant comme de robustes esclaves que vient de lui donner le droit de la guerre, il nous condamne aux plus rudes travaux dans le sein du brasier infernal, ou aux plus humiliants messages dans la profondeur des ténèbres, que nous sert de conserver des forces indestructibles, une substance éternelle tourmentée par d'éternels châtiments? » « Chérubin vraiment dégradé, lui répliqua vivement Satan, la "Fall'n Cherub! to be weak is miserable, "Doing, or suff'ring; but of this be sure, "To do aught good never will be our task, "But ever to do ill our sole delight, "As being the contrary to His high will, "Whom we resist. If then his providence "Out of our evil seek to bring forth good, "Our labour must be to pervert that end, "And out of good still to find means of evil; "Which oft-times may succeed, so as perhaps "Shall grieve him, if I fail not, and disturb "His inmost counsels from their destin'd aim. "But see! the angry Victor hath recall'd "His ministers of vengeance and pursuit "Back to the gates of heay'n: the sulph'rous hail, "Shot after us in storm, o'erblown hath laid "The fiery surge, that from the precipice "Of Heav'n receiv'd us falling; and the thunder, 66 66 Wing'd with red lightning and impetuous rage, Perhaps hath spent his shafts, and ceases now "To bellow through the vast and boundless deep : "Let us not slip th' occasion, whether scorn, "Or satiate fury, yield it from our foe. "Seest thou yon dreary plain, forlorn and wild, "The seat of desolation, void of light, "Save what the glimm ring of these livid flames "Casts pale and dreadful? Thither let us tend "From off the tossing of these fiery waves; "There rest, if any rest can harbour there; And, reassembling our afflicted pow'rs, "Consult how we may henceforth most offend "Our enemy-our own loss how repair"How overcome this dire calamity"What re-enforcement we may gain from hope"If not-what resolution from despair." Thus Satan, talking to his nearest mate, faiblesse est le comble de la misère pour tout être condamné soit à travailler, soit à souffrir. Mais, crois-moi, notre destination ne sera jamais de faire le bien; nos seules délices seront de faire toujours le mal, parce qu'il est contraire à la volonté de notre impérieux ennemi. Si donc sa providence cherche à tirer quelque bien de nos maux, il faut traverser ce projet, et tâcher de tirer le mal du sein même du bien. Peut-être obtiendrons-nous souvent cet avantage; nous pourrons du moins, si je ne me trompe, porter le chagrin dans le cœur de notre adversaire, en détournant de leur but ses plus secrètes entreprises. Mais regarde : les ministres de sa vengeance sont rappelés aux portes de son empire; la grêle de soufre, lancée par torrents à notre poursuite, a calmé les vagues enflammées qui nous reçurent tombant du haut des cieux; et la foudre brûlante, aux ailes de tempêtes et d'éclairs, maintenant peut-être désarmée de ses traits épuisés, cesse de retentir dans l'immensité du sombre abîme. Ne perdons pas l'occasion que nous laissent le mépris ou la rage assouvie de notre ennemi. Vois-tu là-bas cette plaine aride, sombre, déserte et sauvage, le séjour de la désolation, que ces livides flammes frappent à peine de quelques lueurs pâles et terribles? C'est là qu'il faut nous rendre; c'est là qu'échappés aux secousses de ces vagues brûlantes, nous pourrons nous reposer, si le repos se trouve dans ces demeures. Rassemblons-y nos puissances abattues; consultons avec elles de quelle manière il convient d'attaquer notre ennemi, comment réparer notre perte, comment surmonter notre affreuse adversité, quel secours nous pouvons espérer; ou, s'il n'est plus d'espérance, quel conseil nous prendrons du désespoir. >>> Ainsi parla Satan au plus proche de ses compagnons, la tête élevée au-dessus des flots, et les yeux roulant un feu étincelant; le reste de son corps, étendu et flottant sur le fleuve, couvrait plusieurs stades de son énorme surface. Telle fut la monstrueuse stature de ces géants si fameux dans la Fable, qui firent la guerre à Jupiter, de ces Titans, enfants de la terre, Briarée ou Typhon, dont le lit immense remplissait la caverne voisine de l'ancienne Tarse; ou plutôt, ainsi paraît Leviathan, le plus grand des animaux que l'Eternel créa pour nager dans l'Océan. Souvent, nous disent les navigateurs, le pilote de quelque petit esquif, surpris par la |