En achevant ces paroles, elle prend à sa ceinture la clef fatale, triste instrument de tous nos maux, et roulant vers l'entrée sa croupe monstrueuse, elle élève soudain la herse énorme, qu'aucune des puissances de l'abîme n'eût été capable d'ébranler. La clef chasse ensuite dans la serrure les gardes compliquées; et sans peine, au premier mouvement de sa main, cèdent les forts verrous, les pesantes barres de fer et de rochers. Tout à coup, sur les gonds mugissant comme un bruyant tonnerre, roulent impétueusement en arrière les portes infernales; l'Érèbe en frémit jusqu'au fond de ses eaux. Elle ouvrit ces portes, mais il ne fut plus en son pouvoir de les fermer. Dans leur vaste ouverture eût passé une armée marchant en bataille sous ses enseignes flottantes, avec ses ailes et sa cavalerie déployées de chaque côté sur le même front; telle était leur large ouverture: il en jaillit, comme de la bouche d'une fournaise, d'épais tourbillons de flammes et de fumée. Soudain à leurs regards se découvrent les secrets de l'antique abîme, océan ténébreux, sans rivages et sans fond, où sont engloutis et le temps et l'espace; où le Chaos et la Nuit primitive, ancêtres de la nature, règnent par la confusion et maintiennent une perpétuelle anarchie au milieu des rugissements d'une éternelle guerre. C'est là que quatre fougueux adversaires, le froid et le chaud, le sec et l'humide, combattent pour la domination, à la tête de leurs atomes embryons. Des étendards différents rallient les guerriers de chaque différent parti, soit légèrement, soit pesamment armés, unis ou raboteux, vifs ou lents; fourmilière empressée, aussi nombreuse que les sables des brûlants déserts de Cyrène ou de Barca, qui s'élèvent pour lester les ailes trop légères des vents belliqueux. Il règne un moment, celui des combattants à qui ses atomes sont le plus fortement unis. Arbitre de leurs discordes, le Chaos les redouble encore, et ce désordre est son triomphe. Près de lui est le Hasard, qui les tient tous asservis sous son empire suprême. Debout sur le bord des enfers, Satan plonge un moment ses regards dans le vaste abîme, le berceau de la nature et peut-être son tombeau. Il n'aperçoit ni mer, ni rivage, ni feu, ni air. Confusément épars dans leurs germes féconds, ces éléments se livrent d'éternels combats, jusqu'à ce que le tout-puissant Créateur emploie leurs noirs éléments à former d'autres mondes. En contemplant cet effroyable gouffre, il pèse tous les dangers du voyage, et mesure dans sa pensée le 1 Unless the Almighty Maker them ordain Fluttering his pennons vain, plumb down he drops O'er bog, or steep, through strait, rough, dense, or rare, vaste espace qu'il lui faut franchir. Ni Bellone en fureur, écrasant de ses foudres quelque ville capitale, si l'on peut comparer les petites choses aux grandes; ni la voûte des cieux croulant en ruines; ni tous les éléments mutinés renversant la terre de son axe, où elle est si solidement fixée, ne feraient entendre le bruit épouvantable dont son oreille est frappée. Enfin, déployant ses ailes, semblables aux larges voiles d'un vaisseau, il frappe du pied le seuil de l'abîme, et s'élève dans un tourbillon de fumée. Il monte, l'audacieux, porté sur ce sombre trône; il monte ainsi pendant plusieurs milles; mais bientôt la vapeur se dissipe et l'abandonne au milieu d'un vide immense; il tombe tout à coup, comme une masse de plomb, à dix. mille brasses de profondeur', en agitant vainement ses rapides ailes; il tomberait encore, si par un funeste hasard la violente explosion d'une nue chargée de nitre et de feu ne l'eût repoussé mille fois plus haut; la tempête le porte, et s'éteint dans des syrtes mouvantes qui ne sont ni mer ni terre ferme : il sonde, il traverse ce sol informe; ici à pied, là sur ses ailes, et tantôt se servant de rames et de voiles. Tel, au fond des déserts de la Scythie, franchissant, dans sa course ailée, les montagnes et les humides plaines, un griffon poursuit l'Arimaspe qui vient de dérober l'or confié à sa garde vigilante. Tel, et non moins ardent, franchissant et lacs et précipices, à travers l'espace étroit, raboteux, dense ou rare; de la tête, des mains, des ailes ou des pieds, l'ennemi poursuit sa route, et nage, plonge, guée, rampe ou yole. Enfin, de la vaste profondeur des ténèbres s'élève et vient assaillir son oreille avec la plus impétueuse violence un horrible tumulte de voix et de clameurs confuses. Intrépide, c'est là qu'il dirige sa route, résolu d'aborder la puissance ou l'esprit du noir abîme qui réside au milieu de ce bruit, et de lui demander quel chemin le plus court conduit à la lumière; quand tout à coup voilà le trône du Chaos et son immense et lugubre pavillon étendu sur le gouffre désolé. Avec lui, sur le même trône, s'assied, vêtue de noir, la Nuit, compagne de son règne, et la plus ancienne de tout ce qui existe. Près d'eux sont Orcus et Adès, et ce Démogorgon, > Sat sable-vested Night, eldest of things, To whom Satan, turning boldly, thus: "Ye Powers, "And Spirits of this nethermost abyss, "Chaos and ancient Night! I come no spy, "With purpose to explore, or to disturb "The secrets of your realm; but, by constraint "Wandering this darksome desert, as my way "Lies through your spacious empire up to light, "Alone, and without guide, half lost, I seek "What readiest path leads where your gloomy bounds "Confine with heaven; or if some other place, "From your dominion won, the ethereal King "Possesses lately, thither to arrive " I travel this profound: direct my course : "Directed, no mean recompense it brings "To your behoof, if I that region lost, "All usurpation thence expell'd, reduce "To her original darkness, and your sway; " (Which is my present journey;) and once more "Erect the standard there of ancient Night: "Yours be the advantage all, mine the revenge!" Thus Satan; and him thus the Anarch old, With faltering speech, and visage incompos'd, Answer'd: "I know thee, stranger, who thou art;"That mighty leading angel, who of late "Made head against heaven's King, though overthrown. " I saw, and heard; for such a numerous host "Fled not in silence through the frighted deep, "With ruin upon ruin, rout on rout, "Confusion worse confounded; and heaven-gates "Pour'd out by millions her victorious bands "Pursuing. I upon my frontiers here "Keep residence; if all I can will serve "That little which is left so to defend, "Encroach'd on still through your intestine broils "Weak'ning the sceptre of old Night: first hell, "Your dungeon, stretching far and wide beneath; "Now lately heaven and earth, another world, "Hung o'er my realm, link'd in a golden chain "To that side heaven from whence your legions fell. "If that way be your walk, you have not far; "So much the nearer danger: go, and speed! d'un nom si redouté; ensuite, la Rumeur, le Hasard et le Tumulte, et la Confusion tout en désordre, et la Discorde aux mille bouches. Satan les regardé fièrement : « Puissances, dit-il, Esprits de ce profond abîme, Chaos, et vous, Nuit antique, je ne viens point épier et trahir les secrets de votre empire; mais le chemin qui mène à la lumière traverse vos vastes états; et seul, égaré, sans guide, j'erre dans ces sombres déserts, en cherchant quelque sentier qui me conduise promptement aux limites qui séparent vos obscures frontières de la clarté des cieux : ou s'il est quelque portion de votre royaume dont le céleste monarque se soit récemment emparé, c'est là que sera le terme de ma course périlleuse. Dirigez-la; vos soins ne resteront pas sans récompense. Arracher à l'usurpate ur le domaine qu'il vous a ravi, le faire rentrer sous vos lois et dans ses premières ténèbres, y relever enfin l'étendard de l'antique Nuit; voilà le seul but où j'aspire. Que ma conquête soit votre partage; le mien, c'est la vengeance. » Ainsi parla Satan. Le visage en désordre, la langue embarrassée, le vieux Anarque lui répondit: «O étranger! je te connais; tu es ce chef puissant qui, naguère révolté contre le roi des cieux, fut expulsé de leur enceinte. Je vis, j'entendis tes nombreux bataillons, précipitant leur fuite tumultueuse à travers l'abîme épouvanté, accumuler ruines sur ruines, déroute sur déroute, et porter la confusion à son comble. Les portes célestes lancèrent par millions leurs légions victorieuses à votre poursuite. Ici sont les frontières de mon empire. J'y fixe ma demeure, résolu de défendre de toute ma puissance le peu que m'ont laissé les usurpations produites par vos discordes intestines. Elles ont brisé plusieurs fleurons de la couronne de l'antique Nuit; par elles j'ai perdu l'enfer, votre prison, vaste et profond espace; et tout récemment ce nouveau monde, ce globe terrestre entouré d'une voûte étoilée, que tient suspendu sur mes états une chaîne d'or attachée à cette partie du ciel qui vit tomber ton armée. Si c'est là que tu veux aborder, le chemin n'est pas long; mais il est semé de périls; vole et prospère: le désordre, le ravage et la destruction sont mon triomphe. >> |