Saturne, traversa le golfe Adriatique, l'Hespérie et la Celtique, et ne s'arrêta qu'aux îles les plus reculées. Telle et plus nombreuse encore était la foule des princes. Leurs mornes et tristes regards parurent animés d'une sombre lueur de joie, en observant que leur chef n'était pas livré au désespoir, en voyant qu'eux-mêmes n'étaient pas détruits dans le sein de la destruction. A l'aspect de leur trouble, Satan est un moment troublé lui-même; mais rappelant bientôt sa fierté naturelle, par un discours exalté qui avait l'apparence mais non la solidité de la raison, il dissipe leurs craintes et relève par degrés leur courage abattu. Il ordonne qu'au son belliqueux des trompettes et des clairons son puissant étendard soit élevé. Azazel, chérubin de haute stature, qui réclame ce précieux honneur comme un de ses droits, déroule aussitôt de son bâton éclatant l'enseigne impériale. Semblable à un brillant météore, elle avance, déployant au gré des vents les armes et les trophées des séraphins, magnifiquement tracés dans une broderie de perles et d'or. Cependant le métal sonore ne cesse de retentir de sons guerriers. L'armée entière y répond par un cri qui perce le gouffre des enfers, et va porter l'épouvante jusque dans l'empire du Chaos et de l'antique Nuit. Au même instant, dix mille bannières flottantes déploient leurs couleurs brillantes sur le sombre horizon; une vaste forêt de lances s'élève, et une multitude de casques et de boucliers se range en colonnes pressées, d'une immense profondeur. Formée en phalange, l'armée s'avance en réglant ses pas sur le mode dorien, que font entendre les flûtes et les hautbois. C'est à ces sons gravement cadencés que les héros des temps antiques durent ce courage sublime qui les anima dans les combats; cette valeur réfléchie, toujours ferme et tranquille, qui, bien différente de l'aveugle fureur, ne fut jamais flétrie ni par la honte d'une fuite, ni par la crainte de la mort. Ces accents solennels jouissent aussi du pouvoir d'adoucir les peines de l'inquiétude; ils chassent le doute, et la peur, et le chagrin, et l'anxiété, du cœur des mortels et des dieux. C'est ainsi que brûlant du même courage et respirant les mêmes projets, les rebelles s'avancent en silence à la douce harmonie des instruments; elle charme leur marche douloureuse sur le sol embrasé. Arrivés devant leur général, ils présentent à ses yeux un front large et terrible d'armes étincelantes; rangés en bataille comme de vieux guerriers blanchis sous les drapeaux, ils attendent ses ordres souverains. Satan lance le coup d'oeil de l'expérience sur ces redoutables bandes; il traverse les bataillons; il observe le .28 Had to impose. He through the armed files Their number last he sums. And now his heart Met such embodied force, as, nam'd with these, The fellows of his crime,-the followers rather,- bon ordre des guerriers, leur contenance, leur stature semblable à celle des dieux; enfin, il en fait le dénombrement. A l'aspect d'une telle puissance, sa confiance s'affermit et l'orgueil exalte son âme. Toutes les armées de la terre réunies et comparées à celle-ci, ne paraîtraient que comme cette petite infanterie en guerre avec les grues; quand même on y joindrait les géants de Phlègre, les héros qui combattirent à Thèbes et à Ilion, avec les dieux auxiliaires des deux partis, les chevaliers armoriques et bretons qui entourèrent les fils d'Uther, suivant le roman fabuleux, et tous ceux, soit chrétiens, soit infidèles, qui se signalèrent à Apremont, à Montauban, à Damas, à Maroc, à Trébisonde, ou ceux encore que Bizerte envoya de la côte d'Afrique, et qui, près de Fontarabie, firent mordre la poussière à Charlemagne et à tous ses pairs. Telle était l'extrême supériorité de ces guerriers célestes. Audessus d'eux cependant, fixant tous les regards attentifs, leur chef redoutable élevait sa taille et sa tête altière, semblable à une tour. Il conservait encore plusieurs marques de sa brillante origine. C'était un archange foudroyé qui n'avait perdu que la supériorité de sa gloire. Ainsi l'astre du jour, montant sur l'horizon nébuleux, paraît privé de ses rayons; ainsi, éclipsé par la lune, il répand une lueur funèbre sur la moitié de la terre, et jette dans le cœur des rois les terreurs d'une révolution. Tel l'archange obscurci effaçait encore tous les esprits de l'abîme. La foudre a sillonné son front de profondes cicatrices; sur ses joues flétries siége l'inquiétude; mais sous son fier sourcil est le courage intrépide, l'orgueil indompté qui ne respire que la vengeance. De son œil cruel s'échappent cependant des marques de douleur et de remords, à l'aspect des complices, ou plutôt des imitateurs de son crime; de cette foule innombrable d'Esprits jouissant naguère du bonheur suprême, tous condamnés à partager le châtiment de sa révolte, chassés des cieux, expulsés, pour sa perfidie, de l'éternelle clarté, et qui, malgré la perte de leur gloire, lui sont restés fidèles. Ainsi, lorsque le feu du ciel a frappé les chênes des forêts, ou les pins des montagnes, on voit ces arbres soutenir au-dessus de la bruyère dévorée leur tête encore superbe, quoique dépouillée de feuillage et à demi consumée. Il se dispose à parler; aussitôt les ailes de l'armée se replient et forment un cercle autour du général et de ses pairs. L'attention leur impose un profond silence. Trois fois il ouvre la bouche, et trois fois, en dépit de sa fierté, des larmes étouffent sa voix, des larmes telles que de purs esprits peuvent en répandre. A la fin il fait entendre ces mots entrecoupés de soupirs: 1 With singed top their stately growth, though bare, Stands on the blasted heath. He now prepar'd To speak: whereat their doubled ranks they bend From wing to wing, and half enclose him round With all his peers; attention held them mute: Thrice he assay'd, and thrice, in spite of scorn, Tears, such as angels weep, burst forth; at last Words, interwove with sighs, found out their way. "O myriads of immortal spirits! O pow'rs "Matchless, but with the Almighty! and that strife "Was not inglorious; though the event was dire, "As this place testifies, and this dire change "Hateful to utter! But what power of mind, 66 Foreseeing, or presaging, from the depth "Of knowledge, past or present, could have fear'd "How such united force of gods,-how such "As stood like these, could ever know repulse? "For who can yet believe, though after loss, "That all these puissant legions, whose exile "Hath emptied heaven, shall fail to reascend, "Self-rais'd, and repossess their native seat? "For me,-be witness all the host of heav'n, "If counsels different, or dangers shunn'd "By me, have lost our hopes! But He who reigns "Monarch in Heav'n, till then as one secure "Sat on his throne, upheld by old repute, 66 Consent, or custom; and his regal state "Put forth at full, but still his strength conceal'd, "New war, provok'd. Our better part remains "At length from us may find, who overcomes "Space may produce new worlds; whereof so rife "Long under darkness cover. But these thoughts "Full counsel must mature: peace is despair'd; « O légions innombrables d'Esprits immortels! Puissances qui n'avez d'égal que le Tout-puissant! non, ce n'est point sans gloire que nous avons combattu; cette triste demeure et notre affreuse dégradation ne prouvent que le malheur de nos armes. Eh! quel génie capable de lire l'avenir dans le passé, en voyant notre union et nos forces, nous eût menacés d'une pareille défaite? Mais, malgré nos revers, ne sommes-nous pas encore une puissance formidable? Et quand ce ciel, notre commune patrie, est devenu désert depuis notre exil, pour qui peut-il être douteux que nous y ferons bientôt une rentrée glorieuse? J'en atteste du moins l'armée céleste; qu'elle déclare hautement si le malheur qui a trompé notre attente doit être imputé à quelque inconstance de ma part dans les résolutions, ou à quelque faiblesse dans les combats. Tranquillement assis sur un trône qui ne paraissait soutenu que par une antique renommée ou de vieux préjugés, le monarque du ciel n'étalait que la pompe de la royauté ; il en cachait les forces. C'est là l'erreur qui nous a séduits, et qui a causé notre chute. Maintenant nous connaissons trop bien sa puissance, nous connaissons trop bien la nôtre, pour lui susciter une nouvelle la craindre si elle nous est suscitée. Le plus sage parti qui nous reste à prendre, c'est d'essayer la ruse, où la force a été employée sans succès. Qu'il apprenne de nous, à son tour, qu'un ennemi vaincu par la force n'est vaincu qu'à demi. L'espace doit enfanter de nouveaux mondes; de là cette tradition, si accréditée dans le ciel, qu'il avait dessein de créer bientôt une terre, et d'y placer une race choisie qui partagerait avec ses enfants célestes les plus tendres de son amour. C'est cette nouvelle création qu'il faut aller soumettre ou du moins reconnaître. Là sera peut-être notre demeure, là ou dans tout autre lieu, car des esprits célestes ne peuvent languir éternellement dans ces profondes ténèbres. Mais d'aussi grands projets demandent à être mûris dans un conseil général. Plus d'espérance de paix ! Car qui de nous voudrait un maître? La guerre, done! la guerre ! et décidons si elle doit être ouverte ou cachée. » pour marques guerre, ou |