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qu'il vient infecter; bien différent d'Asmodée, que la fumée d'un poisson mit en fuite, quoique vivement épris des charmes de la bru de Tobie, et que la vengeance céleste poursuivit du pays des Mèdes jusqu'au fond de l'Égypte, où elle le chargea de chaînes.

Satan était arrivé au pied de la montagne, lentement et pensif; mais il ne put aller plus avant, tant était épais et serré le rempart d'arbustes et d'épines qui fermait le chemin : ni l'homme, ni le moindre animal n'aurait pu s'y frayer un passage. Une seule ouverture était pratiquée vers l'Orient, au côté opposé. L'intrépide scélérat dédaigne une entrée ordinaire; et, dans son orgueil, s'élançant, d'un saut léger, au-dessus des buissons touffus et de la haute palissade, il tombe sur ses pieds dans l'enceinte du Paradis : tel un loup dévorant, que la faim excite à chercher une nouvelle proie, observe l'enclos placé au milieu des champs, où le berger sans défiance renferme le soir son troupeau, et franchit avec facilité les remparts du parc; ou tel un brigand qui, brûlant de s'emparer du trésor de quelque riche citoyen, dont la porte épaisse et garnie de fortes barres ne redoute aucun assaut, grimpe et s'introduit dans la maison par la fenêtre ou au travers du toit. Ainsi s'introduisit dans l'enclos du Seigneur le plus insigne des brigands; ainsi de sacriléges mercenaires se sont glissés depuis dans son temple sacré. Il prend son vol, et s'arrêtant à l'arbre de vie, le plus haut de tous, planté au milieu du jardin, il s'y repose sous la forme d'un cormoran; il s'y repose; non pour recouvrer la véritable vie, mais pour méditer les moyens de l'éteindre dans ceux qu'elle animait. Indifférent à la vertu salutaire de cet arbre, dont un bon usage eût été pour l'Homme le gage de l'immortalité, il ne s'en servit que pour découvrir un plus vaste horizon, tant la créature est bornée, incapable d'apprécier les biens qui sont sous ses yeux; tant elle en méconnaît ou pervertit l'utilité! Dieu seul connaît le prix de ses

œuvres.

Satan est saisi d'un nouvel étonnement, en contemplant toutes les richesses de la nature, réunies dans un étroit espace pour les délices de l'Homme. Il voit le ciel sur la terre; car cet heureux Paradis était le jardin de Dicu, planté par lui-même à l'orient d'Eden.

Of God the garden was, by him in th' east
Of Eden planted: Eden stretch'd her line
From Auran eastward to the royal towers
Of great Seleucia, built by Grecian kings,
Or where the sons of Eden long before
Dwelt in Telassar: in this pleasant soil
His far more pleasant garden God ordain'd.
Out of the fertile ground he caus'd to grow
All trees of noblest kind for sight, smell, taste;
And all amid them stood the tree of life,
High eminent, blooming ambrosial fruit
Of vegetable gold; and next to life,

Our death, the tree of knowledge, grew fast by-
Knowledge of good, bought dear by knowing ill!
Southward through Eden went a river large,
Nor chang'd his course, but through the shaggy hill
Pass'd underneath ingulf'd; for God had thrown
That mountain as his garden-mould, high-rais'd
Upon the rapid current, which, through veins
Of porous earth, with kindly thirst up-drawn,
Rose a fresh fountain, and with many a rill
Water'd the garden; thence united fell
Down the steep glade, and met the nether flood,
Which from his darksome passage now appears;
And, now divided into four main streams,
Runs diverse, wandering many a famous realm
And country, whereof here needs no account;
But rather to tell how, if art could tell—
`How from that sapphire fount the crisped brooks,
Rolling on orient pearl, and sands of gold,
With mazy error under pendent shades
Ran nectar, visiting each plant; and fed
Flowers worthy of Paradise, which not nice art
In beds and curious knots, but nature boon
Pour'd forth profuse on hill, and dale, and plain,
Both where the morning sun first warmly smote
The open field, and where the unpierc'd shade
Imbrown'd the noontide bowers. Thus was this place
A happy rural seat of various view;

Groves whose rich trees wept odorous gums and balm :
Others whose fruit, burnish'd with golden rind,
Hung amiable, (Hesperian fables true,

If true, here only,) and of delicious taste:
Betwixt them lawns, or level downs, and flocks
Grazing the tender herb, were interpos'd;
Or palmy hillock, or the flowery lap

Of some irriguous valley spread her store

:

Eden s'étendait depuis Auran jusqu'aux superbes tours de la grande Séleucie, que fondèrent les rois de la Grèce, et jusqu'à Thélassar, cité bien plus anciennement habitée par les enfants d'Eden. Dans ce délicieux paysage, un jardin plus délicieux encore avait eu Dieu lui-même pour ordonnateur à sa voix, du sein de la terre fertile étaient sortis tous les arbres les plus propres à charmer la vue, l'odorat et le goût. Au milieu d'eux, et par-dessus leurs cimes, s'élevait l'arbre de vie, d'où pendaient des fruits d'ambrosie, remplis d'un or liquide. Près de ce germe de la vie était celui de la mort; l'arbre de la science, de cette science du bien, que la connaissance du mal a fait payer si cher. Une large rivière traversait, au midi, la campagne d'Eden, et, sans détourner son cours, allait se perdre dans un gouffre au pied de la montague; le Seigneur avait posé cette montagne pour servir de fondement à son jardin; le torrent rapide qu'elle couvrait tout entier, pénétrant doucement dans les entrailles de la terre altérée et poreuse, se relevait au milieu du jardin et formait une claire fontaine d'où découlaient plusieurs ruisseaux qui en arrosaient la surface; tous ces ruisseaux se réunissaient pour se précipiter du haut de la montagne en superbes cascades, et couraient retrouver leur source ténébreuse : là les eaux se divisaient en quatre grands fleuves qui, par des routes différentes, allaient serpenter au sein de plusieurs fameux empires alors inconnus. Il serait inutile de suivre leur cours; j'aimerais bien mieux décrire, si ce travail était possible à l'art, les filets de nectar échappés de cette fontaine de saphir, serpentant sous de vastes ombrages dans un lit de perles orientales et de sable d'or, animant toutes les plantes et nourrissant des fleurs dignes du Paradis. Loin d'être rangées par un art minutieux en jolis compartiments, en élégantes bordures, la nature généreuse les avait répandues avec profusion sur les collines et dans les vallons, sur les champs découverts que le soleil levant frappe de ses premiers rayons, et sous les frais bocages dont tout l'éclat du midi ne peut percer l'obscurité. Cet heureux et champêtre séjour charmait les yeux par la variété des sites et le mélange des bosquets et des arbres précieux ; des uns coulaient le baume et la gomme odorante; aux autres, étaient élégamment suspendus des fruits dorés d'une saveur délicieuse et s'il est quelque réalité dans ce que la fable raconte du jardin des Hespérides, c'est dans ce lieu seul qu'elle a pu se trouver. Entre ces arbres paraissaient, ici de riantes prairies, des troupeaux paissant l'herbe tendre; là, des collines ombragées de palmiers, des ruisseaux serpentant dans les frais vallons, dont le sein, paré de mille fleurs, offrait la rose sans épines. On voyait d'un autre côté de sombres grottes et de profondes

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Flowers of all hue, and without thorn the rose:
Another side, umbrageous grots and caves
Of cool recess, o'er which the mantling vine
Lays forth her purple grape, and gently creeps
Luxuriant: meanwhile murmuring waters fall
Down the slope hills, dispers'd; or in a lake,
That to the fringed bank with myrtle crown'd
Her crystal mirror holds, unite their streams.
The birds their quire apply; airs-vernal airs,
Breathing the smell of field and grove, attune
The trembling leaves, while universal Pan,
Knit with the Graces and the Hours in dance,
Led on the eternal Spring. Not that fair field
Of Enna, where Prosérpine gathering flowers-
Herself a fairer flower, by gloomy Dis

Was gather'd, which cost Ceres all that pain

To seek her through the world; nor that sweet grove
Of Daphne by Orontes, and the inspir'd
Castalian spring, might with this Paradise
Of Eden strive; nor that Nyseian isle

Girt with the river Triton, where old Cham,
(Whom Gentiles Ammon call, and Libyan Jove,)
Hid Amalthea, and her florid son

Young Bacchus, from his stepdame Rhea's eye;
Nor where Abassin Kings their issue guard,
Mount Amara (though this by some suppos'd
True Paradise) under the Ethiop line
By Nilus' head, enclos'd with shining rock,
A whole day's journey high; but wide remote
From this Assyrian garden, where the fiend
Saw, undelighted, all delight-all kind
Of living creatures, new to sight, and strange.
Two of far nobler shape, erect and tall,
Godlike erect, with native honour clad,
In naked majesty seem'd lords of all;
And worthy seem'd; for in their looks divine
The image of their glorious Maker shone,
Truth, wisdom, sanctitude severe and pure-
Severe, but in true filial freedom plac'd ;
Whence true authority in men. Though both
Not equal, as their sex not equal seem'd :
For contemplation he, and valour form'd;
For softness she, and sweet attractive grace;
He, for God only; she, for God in him.
His fair large front, and eye sublime, declar'd
Absolute rule; and hyacinthine locks

Round from his parted forelock manly hung

cavernes où régnait une agréable fraîcheur; elles étaient couvertes des grappes pourprées d'une vigne généreuse qui étendait de toutes parts ses nombreux rameaux ; on entendait le murmure des ruisseaux descendant en cascades le long des collines; une partie se dispersait dans la campagne; l'autre allait former un lac dont le cristal pur et tranquille réfléchissait, le long de ses rives, l'image découpée des myrtes qui les couronnaient. L'air retentissait des concerts des oiseaux; et les zéphyrs, les doux zéphyrs printaniers, exhalant le parfum des bois et des prairies, soupiraient sous la feuille tremblante, tandis que Pan, souverain de l'univers, dansant avec les Grâces et les Heures, menait à sa suite un printemps éternel. Rien ne peut être comparé à ce magnifique jardin : ni la riante campagne d'Enna, où la fille de Cérès fut enlevée par le sombre dieu des enfers, partageant le destin des fleurs qu'elle cueillait, et dont elle était la plus belle, nymphe chérie que sa mère éplorée chercha si longtemps en vain sur la terre; ni le charmant bocage de Daphné sur les bords de l'Oronte, près de la fontaine inspiratrice de Castalie; il surpassait également, et l'île de Nysée, entourée du fleuve Triton, où le vieux Cham, l'Ammon des Gentils et le Jupiter de Libye, cacha loin des yeux de sa marâtre Rhée, et sa maîtresse Amalthée, et son fils brillant, le jeune Bacchus; et le mont Amara, situé sous la ligne éthiopique, près des sources du Nil, où les rois abyssins font garder leurs enfants. Cette montagne fameuse, environnée de rochers d'albâtre qui se perdent dans les nues, a quelquefois été prise pour le Paradis; mais elle était loin d'égaler la beauté du jardin d'Assyrie. Cependant le sombre roi des enfers y vit sans plaisir tous les plaisirs réunis.

Parmi les êtres animés de toute espèce qui paraissent pour la première fois à ses yeux, son attention s'arrête sur deux créatures d'une forme plus noble. Leur stature droite et élevée comme celle des habitants du ciel, l'innocence primitive qui couvre leur majestueuse nudité, tout annonce qu'elles commandent aux autres créatures, et qu'elles sont dignes de leur empire. Dans leurs divins regards, respirent, avec l'image de leur glorieux Créateur, ce qui constitue sur la terre une légitime puissance, la vérité, la sagesse, la piété pure et même austère, mais de cette austérité que tempèrent la confiance et la liberté filiale. La différence de leur sexe met cependant entre elles quelque inégalité; l'un est formé pour le courage et la méditation, l'autre pour la mollesse et les grâces, dont l'empire est si doux ; celui-ci pour Dieu seul, celle-là pour l'homme et pour Dieu. Un front grand et superbe, un œil sublime annon

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