tait dans l'article 26 de ce titre: : « Lorsqu'il sera question de procéder à quelque descente, information ou enquête, le juge récusé ne pourra passer outre. » Les légistes avaient induit du mot information le droit de récuser le juge d'instruction', et cette interprétation s'appuyait d'ailleurs sur l'article 2 du même titre, qui portait : « Le juge pourra être récusé en matière criminelle s'il est parent on allié de l'accusé... » La jurisprudence allait même jusqu'à frapper de nullité la procédure instruite par un juge récusable, lors même que la récusation n'avait pas été proposée: Si un juge, dit Serpillon, est obligé en matière civile de déclarer les causes qu'il sait avoir pour se récuser, il est encore plus étroitement obligé au criminel, parce que, toute l'instruction étant faite par le juge, son autorité est plus grande qu'au civil. Ainsi, par arrêt du Parlement de Paris, du 7 juillet 1702, tune procédure criminelle faite par un juge parent de l'une des parties, quoique non récusé, fut cassée. » 1587. Notre législation criminelle est muette sur le droit de récusation. Une loi du 23 vendémiaire an IV avait accordé à chaque partie civile et à chaque accusé le droit de récuser l'un des juges du tribunal péremptoirement et sans motifs, sauf à proposer contre les autres des récusations fondées sur des motifs légitimes. Cette loi, abrogée par l'article 594 du Code du 3 brumaire an IV, n'a été suivie, ni dans ce Code, ni dans notre Code d'instruction criminelle, d'aucune disposition sur la même matière. La jurisprudence a suppléé à cette lacune en déclarant les règles du Code de procédure civile relatives à la récusation applicables en matière criminelle. Les motifs de cette jurisprudence sont : « que le droit de récusation se lie essentiellement au droit de défense; que les causes qui donnent ouverture à ce droit et les conséquences qu'entraîne son exercice sont communes à toutes les juridictions; qu'à défaut d'un texte spécial qui, en matière criminelle, en ait limité les conditions et déterminé les formes, il 1 Jousse, tom. III, p. 160; Serpillon, tom. II, p. 299; Muyart de Vouglans, Instit., p. 126. 2 Serpillon, tom. II, p. 299. 3 C. proc. civ., art. 44 et suiv, 378 et suiv; Arr. cass. 24 oct. 1817, 8 oct. 1819, 15 oct. 1829, 14 oct. 1824, 6 janv. et 3 oct. 1835, 3 août 1838, 17 août 1839, 13 févr. 1846; Carnot, sur l'art. 257 du C. instr. crim., n. 5; Legraverend, tom. II, p. 45; Mangin, De l'instr. écrite, tom. I, p. 41. y a lieu de recourir aux dispositions du titre XXVIII du Code de procédure civile1. » Cette jurisprudence n'est qu'une application forcée du principe de justice qui veut qu'en toute matière la récasation du juge qui a un intérêt personnel au procès puisse librement s'exercer. Or, comment admettre que ce droit, que l'article 378 du Code de procédure civile consacre en matière civile, ne puisse être invoqué en matière criminelle, et qu'une partie qui n'agite qu'un intérêt pécuniaire puisse faire descendre un juge de son siége, tandis que l'accusé qui lutte pour son honneur, sa liberté ou sa vie, ne le pourrait pas? C'est là une règle qui s'applique nécessairement à toutes les juridictions, parce qu'elle est la condition essentielle de la distribution de la justice. Elle s'applique donc au juge d'instruction. « Quelque bien fondée que soit l'opinion qu'on a de l'intégrité d'un juge, a dit un ancien criminaliste, on ne doit pas mépriser les scrupules d'un accusé qui craint que la faiblesse humaine, la vertu même ne vienne à succomber par l'activité ou la séduction quelquefois insensible des passions et de l'intérêt. Il est naturel que dans des affaires aussi importantes que celles où l'honneur et la vie sont en péril, tout soupçon soit écarté de l'esprit du prévenu2. » A la vérité, le juge d'instruction se borne en général, ainsi que le fait remarquer Ayrault, à recueillir sans les apprécier les charges de la procédure : « L'instruction est de fait: tout ce qui est dépend des réponses de l'accusé et du dire et déposition des témoins. Le juge n'y sert que d'auditeur ou de témoin ou notaire authentique *. » Mais cet auteur n'a vu que l'un des caractères du juge d'instruction. Sans doute ce magistrat a pour mission de recueillir et de constater fidèlement tous les éléments de la procédure, tous les faits qui se rattachent à la poursuite; mais lorsqu'il procède aux actes de l'instruction, lorsqu'il interroge les inculpés, lorsqu'il pose aux témoins les questions auxquelles ils doivent répondre, lorsqu'il décerne les mandats d'arrestation, qu'il vérifie l'état des lieux, qu'il qualifie les faits et qu'il ordonne toutes les mesures qu'il juge utiles, ne fait-il donc que dresser des procèsverbaux? Il est investi d'un véritable pouvoir qui lui permet de diriger la procédure, de lui tracer sa voie, de lui indiquer le but 3 1 Arr. cass. 13 oct. 1846 (Bull., no 48). 2 Éléments de la proc. crim., tom. 1, p. 66. 3 Liv. II, 3o part., no 51. qu'elle doit atteindre; et ce pouvoir, s'il n'en abuse pas, ne pourrait-il pas du moins en abuser1? N'a-t-il pas plusieurs moyens d'exercer sur le sort du prévenu une influence quelconque? II importe donc d'écarter toutes les causes qui pourraient altérer son impartialité, telles que son intérêt personnel, son affection, son inimitié ou même ses préventions. L'impartialité est l'attribut nécessaire de sa fonction, et le droit de récusation, placé entre les mains du prévenu, en est la garantie. 1588. De l'application aux juges de la juridiction criminelle du principe de la récusation posé par le Code de procédure civile, il suit nécessairement que les causes de récusation sont les mêmes à l'égard des juges qui siégent soit dans les tribunaux civils, soit dans les tribunaux criminels. En effet, il ne peut exister aucun motif de modifier dans une juridiction les règles établies dans une autre, lorsque ces règles sont puisées, non dans la spécialité de la matière, mais dans la justice elle-même; lorsqu'elles sont fondées, non sur la composition particulière d'une juridiction, mais sur la nature même de l'esprit humain et sur la connaissance des causes qui influencent ses déterminations. C'est ainsi que l'ordonnance criminelle de 1670, qui, comme notre Code, avait gardé le silence sur les causes de récusation des juges, était réputée s'être référée au titre XXIV de l'ordonnance civile de 1667, dont les dispositions ont été à peu près reproduites par le titre XXI du Code de procédure civile. On peut ajouter, en ce qui concerne les juges d'instruction, que les causes de récusation que ce Code permet d'opposer aux membres des tribunaux qui n'ont qu'une opinion à émettre au sein d'une compagnie doivent s'appliquer plus impérieusement à des juges qui, à cux seuls, forment une juridiction, et dont la décision isolée influe puissamment sur le sort du prévenu 3. 1589. Mais si le principe et les causes de la récusation sont les mêmes dans les deux juridictions, il n'en est plus ainsi relativement à la forme suivant laquelle elle est proposée. Cette forme, en effet, qui n'est plus que l'application du principe, doit se mettre en harmonie avec la forme générale de la juridiction 1 Rossi, Traité de droit pénal, tom. I, p. 77. 2 Bérenger, De la just. crim., p. 425. $ Conf. arr. cass. 3 août 1838 (Bull., no 259), et 13 févr. 1846 (Bull., no 48). qui l'applique. C'est par ce motif que la Cour de cassation a reconnu, par son arrêt du 3 août 1838, « qu'il faut suivre les formes tracées par le Code de procédure civile, pour le jugement des récusations, en tout ce qui est compatible avec la célérité qu'exige le jugement des affaires correctionnelles »; et, par son arrêt du 13 février 1846, « qu'il y a lieu de recourir aux dispositions du titre XX du même Code, en tant que ces dispositions se concilient avec la nature des actions portées devant les tribunaux de répression et avec les règles qui leur sont propres » . En ce qui concerne le juge d'instruction, ces règles sont toutes spéciales. Le juge d'instruction, en effet, exerce, ainsi que nous l'établirons plus loin', une véritable juridiction; il rend des ordonnances qui ont la même force que si elles émanaient d'un tribunal. La récusation qui s'élève contre lui doit donc être considérée comme s'élevant contre un tribunal entier. Or, une récusation formée contre un tribunal n'est autre chose qu'une demande en renvoi pour cause de suspicion légitime; car elle a le même but et les mêmes effets. Dès lors c'est à la Cour de cassation, aux termes de l'article 542 du Code d'instruction criminelle, qu'il appartient de prononcer sur cette demande. « L'article 542, a dit un éminent magistrat, en attribuant à la Cour de cassation le droit de renvoyer la connaissance d'une affaire d'un juge d'instruction à un autre juge d'instruction pour cause de suspicion légitime, sur le pourvoi du ministère public ou des parties intéressées, n'a pas excepté le cas où le demandeur invoque, pour établir cet état de suspicion légitime, des faits positifs allégués par lui contre le juge d'instruction. L'allégation de pareils faits, loin d'être un motif pour que la demande en renvoi ne puisse avoir lieu, est au contraire une raison pour l'accueillir et y faire droit, si les faits sont fondés, et constituent réellement le juge en état de suspicion *. » La Cour de cassation a jugé, dans ce sens, « que la récusation proposée contre un juge d'instruction est une véritable demande en renvoi, pour cause de suspicion légitime, d'un juge d'instruction à un autre juge d'instruction, dont l'effet, si elle est fondée, est de changer la juridiction»; et, qu'en conséquence, elle a seule le droit d'y statuer 1. 1 Voy. le chapitre suivant. 2 Réquisitoire de M. Dupin qui a précédé l'arrêt du 12 janv. 1832. 3 Arr. cass. 12 janv. 1832 (J. P., tom. XXV, p. 34). 4 Arr. cass. 19 mai et 11 août 1827 (J. P., tom. XXI, p. 452 ct 729). Toutefois, si le juge d'instruction était récusé, non comme juge d'instruction, mais comme membre du tribunal correctionnel, l'article 542 n'aurait plus d'application, puisque la récusation n'atteindrait plus une juridiction entière, mais seulement l'un de ses membres. Il y aurait lieu dès lors de recourir aux règles établies par le Code de procédure civile. Ce serait donc au tribunal dont fait partie le juge récusé, et qui est saisi de la cause à l'occasion de laquelle la récusation est formée, à statuer sur cette récusation. Une autre observation est que si toutes les causes de récusation constituent nécessairement une cause de suspicion légitime contre le juge d'instruction, il ne s'ensuit pas que la suspicion légitime elle-même soit exclusivement enfermée dans les causes de récusation. La loi, en effet, ne l'a point définie; elle a déféré à la Cour de cassation le pouvoir discrétionnaire d'apprécier les faits et les circonstances qui peuvent l'établir, et d'ordonner, quand elle le juge convenable, le renvoi qui lui est demandé. Toute cause de suspicion peut donc être proposée, même en dehors des causes de récusation, et le droit de la Cour pour y statuer n'a d'autres limites que celles que lui imposent sa conscience et ses lumières. 1590. Le juge d'instruction, lors même qu'aucune récusation n'est dirigée contre lui, peut s'abstenir, s'il croit avoir des motifs de ne pas procéder à l'instruction d'une procédure. Cette règle s'appliquait à tous les juges dans notre ancien droit. L'article 118 de l'ordonnance de mai 1579 portait : « Tous juges, tant de nos cours souveraines ou inférieures, qui sauront causes de suspicion ou récusation pertinente et admissible en leurs personnes, pour lesquelles ils pourraient être valablement récusés par les parties plaignantes, seront tenus les déclarer par-devant les juges, sans attendre que l'on les leur propose... » Mais il n'appartenait qu'à Ja juridiction d'apprécier les causes de l'abstention et de décider si elles étaient fondées. L'article 17, titre XXIV, de l'ordonnance de 1667 ajoutait, en effet : « Aucun juge ne pourra se déporter du rapport et jugement des procès qu'après avoir déclaré à la chambre les causes pour lesquelles il ne peut demeurer 1 Conf. arr. cass. 24 oct. 1817 (J. P., tom. XIV, p. 488). 2 Conf. Mangiu, n. 22, |