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dans le cours d'une instruction, rempli les fonctions de juge d'instruction, pour qu'il soit atteint par la disposition de l'article 2571». C'est là la véritable règle de la matière : elle résume évidemment les motifs et le sens de la loi; mais il reste à savoir dans quels cas le juge momentanément délégué doit être réputé avoir rempli les fonctions de juge d'instruction.

1582. La Cour de cassation admet, ainsi qu'on vient de le voir, que l'accomplissement de quelques actes de l'instruction suffit pour motiver la prohibition; elle déclare « que la loi ne distingue pas le cas où le magistrat instructeur a présidé à toute l'instruction de celui où il n'en a fait qu'une partie; et que, dans l'un et l'autre cas, elle le frappe de l'incapacité de siéger comme juge, pour la même affaire, à la cour d'assises ». Ainsi le juge provisoire qui a procédé à une partie de l'instruction ne peut siéger à la cour d'assises. Mais que faut-il entendre par une partie de l'instruction?

Le rapport fait à la chambre du conseil à la place du juge titulaire rentrait-il dans cette qualification? Plusieurs arrêts ont répondu affirmativement, et cette solution paraît fondée. Le juge qui faisait le rapport d'une affaire étudiait tous ses détails, achevait, s'il y avait lieu, de la mettre en étať, s'en appropriait les actes et y puisait les éléments de la décision qu'il proposait à la chambre du conseil; il est évident qu'il remplissait les fonctions de juge d'instruction.

En est-il de même de la délivrance d'un mandat d'amener ou d'une commission rogatoire, de l'apposition ou de la levée des scellés sur les livres d'un prévenu ou de toute autre mesure de la même nature? La Cour de cassation a jugė, dans une première espèce, qu'un juge qui avait procédé à la levée des scellés apposés sur les livres d'un prévenu, à la reconnaissance et à la description de ces livres, et qui avait, en outre, entendu le prévenu dans ses explications sur l'usage des mêmes livres, était atteint par la prohibitions. Elle a décidé, dans une autre espèce, qu'un juge qui avait décerné un mandat d'amener et délivré une commission rogatoire pour entendre des témoins ne pouvait également siéger 1. Il est à remarquer que, dans ces deux espèces, le juge provisoire ne s'était pas borné à faire un seul acte d'instruction, tel que la délivrance du mandat ou la levée des scellės; qu'il avait, en outre, interrogé le prévenu ou décerné une commission rogatoire. Il y avait donc là une suite d'actes qui pouvait constituer réellement une partie de l'instruction. Mais la prohibition frapperait-elle le juge qui n'aurait procédé qu'à un seul acte d'instruction? Le principe absolu, posé dans l'arrêt du 1er août 1829, semble conduire la jurisprudence à l'affirmative, et toutefois aucun arrêt ne l'a jusqu'ici consacrée. Il semble difficile d'admettre qu'un acte isolé, surtout quand il est secondaire et matériel, puisse frapper de suspicion le juge spécialement délégué pour y procéder. Comment pourrait-il puiser dans ce fait isolé de la procédure une opinion qui pût gêner son impartialité? Une opinion ne peut se former que sur l'ensemble d'une instruction. Sans doute il ne faut pas diminuer, par une arbitraire distinction, la garantie que la loi a voulu assurer à l'accusé. Mais l'accusé a-t-il intérêt à ce que le juge qui a rempli un seul acte de l'instruction ne siège pas parmi ses juges? Peut-il craindre une impression qui lui soit défavorable? Est-il possible d'assimiler ce juge au juge d'instruction? Il faut se garder ensuite d'entraver la marche de la justice en exagérant les empêchements créés par la loi; il s'agit d'une exclusion, qu'il faut appliquer dans toute sa teneur, mais qu'il ne faut pas étendre au delà de ses termes *. II est permis de croire que lorsque la question se présentera ainsi formulée, c'est dans ce sens qu'elle sera résolue.

1 Arr. cass. 1er août 1829, cité suprà.

2 Même arrêt.

3 Arr. cass. 4 nov. 1838 (J. P., tom. XXIII, p. 815).

4 Arr. cass. 24 févr. 1813, 29 mai et 3 juillet 1834 (J. P., tom. XI, p. 161;

tom. XXVI, p. 571 et 794).

5 Arr. 1er août 1829, cité suprà.

1583. Au reste, l'incompatibilité du juge d'instruction reçoit une double limite: elle ne peut être puisée que dans le fait du concours à la première instruction, et elle ne s'applique qu'à l'audience de la cour d'assises où l'accusé est mis en jugement.

Elle ne peut être puisée que dans un concours à la première instruction. Ainsi le juge qui a concouru au jugement d'un procès civil pendant entre le failli et ses créanciers peut siéger ensuite à la cour d'assises pour statuer sur l'accusation en banqueroute

1 Arr. cass. 16 août 1844 (Bull., no 291).

2 Arr. cass. 30 oct. 1812 (J. P., tom. X, p. 769).

frauduleuse portée contre le failli'. Ainsi le juge qui n'a procédé à des actes d'instruction que sur la délégation du président des assises ne peut être écarté du jugement. En effet, c'est le président des assises qu'il remplace et non le juge d'instruction. La Cour de cassation a jugé dans ce sens « qu'il n'y a aucune assimilation à faire entre l'instruction primitive terminée par l'ordonnance de la chambre du conseil ou l'arrêt de la chambre d'accusation, et les actes ultérieurs d'instruction nécessaires pour la manifestation de la vérité, et auxquels le président de la cour d'assises, en vertu de la délégation spéciale qu'il a reçue de la loi, peut seul procéder ou faire procéder, conformément aux articles 303 et 304; que, dès lors, l'article 257 est sans application à un magistrat qui, après avoir procédé à des actes d'instruction, par suite de la délégation spéciale de la cour d'assises, a concouru au jugement définitif et aux débats qui l'ont précédé *. " Mais il n'en est plus ainsi lorsque les actes d'instruction auxquels procède le président des assises sont accomplis, non plus en vertu de l'article 303, mais en vertu de l'article 330 du Code d'instruction criminelle; lorsque ce magistrat agit, non plus pour compléter une instruction déjà faite, mais pour commencer une instruction nouvelle à l'égard du crime de faux témoignage commis à l'audience. Ce n'est plus alors comme président qu'il procède, c'est comme juge d'instruction, et il ne pourrait siéger ultérieurement dans la même affaire 3.

1584. La prohibition ne s'applique qu'à l'audience de la cour d'assises où l'accusé est mis en jugement. La Cour de cassation, par deux arrêts des 2 février et 20 octobre 18324, avait jugé que la prohibition s'étendait non-seulement à l'audience où s'ouvrent les débats, mais à l'audience d'ouverture de la session où se forme la liste des jurés de service; « attendu qu'il y a une corrélation nécessaire entre la formation de la liste des trente jurés et les affaires qui sont jugées dans la même session par le tirage au sort des jurés qui forment le jury de jugement ». Cette jurisprudence a donné lieu à une juste critique. La question n'était pas de savoir s'il existait une corrélation entre la formation du jury et le jugement de chaque affaire; mais si cette corrélation pouvait fonder l'incapacité du juge à l'audience où le jury était formé. Or, comment la prévention du juge pouvait-elle avoir une influence quelconque sur la formation de la liste? Comment pouvait-elle s'exercer sur l'admission des excuses des jurés ou le tirage des jurés complémentaires? Comment les garanties de la défense étaient-elles compromises par la présence du juge d'instruction à une opération toute matérielle, qui se rattache à toutes les affaires de la session, et lorsque cette présence ne peut lui occasionner aucun préjudice? La Cour de cassation n'a pas maintenu cette décision, et, par un arrêt du 17 octobre 1833', elle a reconnu, « qu'il résulte de la combinaison des articles 393 et 399 du Code d'instruction criminelle, que les arrêts des cours d'assises qui statuent sur les excuses des jurés et, par suite, sur l'appel des jurés supplémentaires et complémentaires, ont pour objet d'assurer le service général de la session; qu'en statuant ainsi, les cours d'assises n'ont point en vue telle ou telle affaire de la session en particulier, et que ces opérations diffèrent essentiellement de la formation du jury de jugement, puisqu'il y est procédé par la cour d'assises et non par le président seul, et que la présence des accusés n'y est pas requise; que si les accusés ne sont pas privés du droit de critiquer ces opérations, s'il y a eu violation de quelque formalité substantielle, il ne s'ensuit pas que les magistrats qui y ont pris part puissent être réputés avoir siégé comme juges dans leurs affaires particulières » .

1 Arr. cass. 22 juillet 1819 (J. P., tom. XV, p. 424).

2 Arr. cass. 12 juillet 1833 (J. du dr. crim., tom. V, p. 331, et conf. arr.

cass., 9 sept. 1819 (J. P., tom. XV, p. 528).

3 Conf. arr. cass. 7 oct. 1824 (J. P., tom. XVIII, p. 1055).

4 Journ. du droit crim., tom. V, p. 5 et 290.

1585. Par une conséquence de la même règle, il faut décider que le juge qui a instruit l'affaire peut être délégué par le président des assises pour procéder à l'interrogatoire de l'accusé. En effet, la prohibition, ne s'appliquant qu'aux débats, ne s'étend pas aux actes qui précèdent ces débats. La Cour de cassation a donc jugé avec raison « que, s'il n'est pas douteux qu'aux termes de l'article 257, le juge d'instruction qui a procédé à l'instruction du procès ne peut, dans la même affaire, ni présider les assises, ni assister le président à peine de nullité, on ne peut pas en induire que ce même juge n'ait pas qualité pour procéder par délégation du président à l'interrogatoire de l'accusé, lorsque 1 Journ, du Pal., tom. XXV, p. 903.

d'ailleurs il ne participe en rien à son jugement, puisque l'article cité ne fait évidemment résulter la nullité qu'il prononce que de l'incompatibilité de cette participation avec l'instruction ellemême1».

1586. Le juge d'instruction ne peut être récusé. Nous exposerons plus loin le principe et les formes du droit de récusation. Nous ne touchons ici cette matière que pour établir toutes les règles constitutives de la juridiction de ce juge*.

La loi romaine admettait le droit de récusation, mais seulement en ce qui concerne les juges qui prenaient part au jugement. Ayrault, après avoir constaté que durant l'instruction les récusations n'avaient point lieu, mais seulement lorsqu'on était prêt à donner jugement, en exprime nettement la raison : c'est que l'instruction se faisait par les parties, non par les juges; c'étaient les parties qui informaient, qui s'interrogeaient l'une l'autre et leurs témoins. Si bien que s'il y avait de la faute ou de l'aigreur, c'était à eux-mêmes qu'il s'en devaient prendre, non pas aux juges *. Et le même auteur déclare que, dans notre ancien droit, la forme nouvelle de l'instruction avait amené la récusation du juge chargé d'instruire: Notre style est bien autre : de façon qu'on peut véritablement dire qu'il y a quelque occasion aujourd'hui de récuser pendant l'instruction : parce que le juge, s'il a la matière affectée, peut ouïr les témoins plus à la charge ou à la décharge, et à l'interrogatoire de l'accusé, le peut presser ou choyer plus ou moins. »

Le principe de la récusation du juge d'instruction était, en effet, consacré par notre ancienne législation. L'article 118 de l'ordonnance de mai 1579 appliquait généralement ce principe à tous juges, tant des cours souveraines ou inférieures, qui avaient cause de suspicion ou récusation pertinente en leurs personnes. L'ordonnance de 1667, après avoir établi dans son titre XXIV les causes et les formes de la récusation générale, ajou

1 Arr. cass. 17 sept. 1835 (Bull., no 361).

2 Voy. aussi, sur la récusation des officiers du ministère public, suprà no 593. 3 L. 16, Cod., De judiciis: Apertissimi juris est licere litigatoribus judices delegatos, antequam lis inchoetur, recusare... quia sine suspicione omnes lites procedere debent. Nobis cordi est, liceat ei qui suspectum judicem putat, antequam lis inchoetur eum recusare...

4 Liv. II, 3e part, n. 51.

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