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qu'il est saisi, à satisfaire au réquisitoire. » Cette délibération a été cassée : « attendu que si la chambre d'accusation avait chargé un de ses membres de vaquer à cette information, ce magistrat aurait eu, par les articles 236 et 237, le droit de commettre un juge de première instance pour faire cette instruction ou complément d'instruction; que la chambre d'accusation avait à priori le droit de commettre un juge de première instance pour le même objet, et qu'en chargeant de le faire le tribunal composé d'autres juges que ceux qui avaient rendu l'ordonnance sur laquelle il s'agissait de statuer, elle n'a violé ni pu violer aucune loi; que l'article 58 était inapplicable à l'espèce 1. »

Le tribunal peut désigner, pour remplacer le juge d'instruction, soit le président ou le vice-président, soit l'un des juges, soit même un juge suppléant; car les juges suppléants sont de véritables juges, et d'ailleurs le décret du 1er mars 1852 et la loi du 17 juillet 1856 disposent que les fonctions de juge d'instruction peuvent leur être conférées.

Mais ne peut-on arriver à un suppléant qu'autant que les juges titulaires sont empêchés? L'article 51 du décret du 30 mars 1808 porte: « Le directeur du jury sera, en cas d'empêchement, remplacé par le juge qui le suivra dans l'ordre du tableau; il ne pourra l'être par un suppléant qu'à défaut de tous les autres juges. » Cette disposition peut encore être invoquée. Le principe de la désignation du juge par le choix a été substitué à la désignation par tour de rôle par le décret du 1er mars 1852; mais la loi du 17 juillet 1856, en ne faisant concourir que subsidiairement les juges suppléants à ce choix, a nécessairement confirmé le règlement qui ne les appelait qu'en second ordre *.

§ IV. Cas d'incompatibilité, de récusation et d'abstention.

1578. Le juge d'instruction n'est pas exclusivement affecté au service de l'instruction; il conserve, aux termes de l'article 55 du Code d'instruction criminelle, « séance au jugement des affaires civiles, suivant le rang de sa réception ».

En conséquence, il est attaché, comme les autres juges, à l'une des chambres du tribunal, et il siége aux audiences'; il est assujetti au roulement et participe à tous les actes de sa compagnie. Sa position diffère de celle des autres membres sous un seul rapport: il n'a point de vacances * et ne peut dès lors s'absenter que par congé. Néanmoins, le service spécial dont il est chargé est sa fonction principale; il doit y vaquer d'abord et faire passer les actes de l'instruction avant tous les autres. Il ne siége aux audiences qu'à la condition de concilier ce service avec l'accomplissement de la mission qui est son premier devoir, et de n'imposer aucun retard aux procédures qui sont entre ses mains.

1 Arr. cass. 10 sept. 1831 (J. P., tom. XXIV, p. 238).

2 L. 20 avril 1810, art. 41; Décr. 18 août 1810, art. 7 et 13.

3 Voy. dans ce sens Legraverend, tom. I, p. 173; Mangin, tom. I, p. 6; et

en sens contraire, Carnot, tom. I, p. 206, et Duverger, tom. I, p. 79.

Le juge d'instruction peut-il siéger à la chambre correctionnelle aussi bien qu'à la chambre civile? Les lois qui l'appellent à prendre part aux audiences ne font aucune distinction ; elles le placent en dehors de l'instruction, dans la même position que les autres juges; il doit donc en faire tout le service. Et pourquoi d'ailleurs écarter du jugement des affaires correctionnelles le magistrat qui a acquis dans ses fonctions spéciales le plus d'expérience de ces affaires? La capacité serait-elle donc un titre à l'exclusion?

1579. Mais peut-il siéger dans les affaires qu'il a lui-même instruites? La question devient plus grave. On peut objecter que les motifs qui ont établi l'article 257 et écarté le juge d'instruction du jugement des affaires criminelles qu'il a instruites s'appliquent avec non moins de force aux affaires correctionnelles ; qu'il y a lieu, dans ce dernier cas aussi bien que dans l'autre, de craindre que l'impression puisée dans les premiers errements de la procédure, ne soit pas effacée de son esprit; qu'il cherche les éléments du jugement dans l'instruction écrite, au lieu de les prendre dans l'instruction orale; et que, s'étant en quelque sorte associé aux recherches et à l'action du ministère public comme officier de police judiciaire, il n'apporte à l'audience une certaine préoccupation qui peut égarer son impartialité. Ces considérations sont graves en toute matière. Il est certain que, dans toutes les poursuites dans lesquelles il a fait des actes d'instruction, le juge a pu prendre à l'avance et conserver une opinion prématurée qui peut exercer une influence sur l'opinion définitive qu'il est appelé à se former ensuite. Cependant ce danger, il faut le reconnaître, est moindre en matière correctionnelle qu'en matière criminelle : la simplicité des faits, leur importance secondaire, l'instruction brève et peu compliquée qui précède le jugement, ne donnent pas aux impressions du juge, en admettant qu'il les ait conservées, les mêmes inconvénients. Il ne s'agit plus de ces procédures ardues, où les preuves matérielles manquent, où l'opinion ne se forme que sur des données fugitives, des indices diversement appréciables, des faits différemment observés; ce n'est que là qu'un système conçu au moment de la première constatation de ces faits peut devenir réellement funeste à la manifestation ultérieure de la vérité. Que si, dans quelques cas, l'instruction d'un procès correctionnel peut, par ses difficultés et son importance, produire les mêmes effets, ces cas sont rares et ne peuvent motiver une prohibition absolue. Il serait d'ailleurs préférable que le juge d'instruction pût soit demeurer attaché à la chambre civile, soit se faire remplacer dans les affaires dont il a dirigé l'instruction. Mais comment concilier l'une ou l'autre de ces prescriptions avec une organisation judiciaire qui a établi des tribunaux de trois ou de quatre juges? Tels sont sans doute les motifs qui ont dicté les dispositions de la loi.

1 Décr. 18 août 1810, art. 13 et 36.

2 Décr. 30 mars 1808, art. 50; Ord. 11 oct. 1820.

3 Décr. 30 mars 1808, art. 75; Décr. 18 août 1810, art. 36.

4 Décr. 30 mars 1808, art. 31; 18 août 1810, art. 13.

Notre Code, en effet, imitant sur ce point la réserve du Code du 3 brumaire an IV1, n'a interdit par aucun de ses textes au juge d'instruction de connaître comme juge des affaires correctionnelles qu'il aurait instruites. A la vérité, l'article 55 se borne à déclarer qu'il conservera séance au jugement des affaires civiles; mais ces mots ne sont point restrictifs, et les articles 12 et 13 du décret du 18 août 1810, comme l'article 51 de celui du 30 mars 1808, supposent qu'il peut éire successivement attaché par le roulement aux diverses chambres du tribunal. Il faudrait d'ailleurs une restriction expresse; car il est de principe que les incompatibilités sont de droit étroit, et qu'elles ne peuvent être étendues au delà des cas prévus par la loi. La Cour de cassation a consacré cette opinion en déclarant, « que l'article 179 attribue en général la connaissance des affaires de police correctionnelle aux tribunaux civils d'arrondissement; que, d'après l'article 55, les juges d'instruction sont nécessairement membres de ces tribunaux; que ce dernier article, en conservant à ces magistrats le droit de concourir au jugement des affaires civiles, ne leur défend pas de prendre part au jugement des affaires correctionnelles; que si l'article 257 interdit au juge d'instruction de présider les assises ou d'y assister, cette disposition exceptionnelle doit être restreinte au cas pour lequel elle a été portée, et que l'étendre à d'autres cas, ce serait ajouter à la loi et usurper les fonctions législatives 1. »

1 Deux arrêts des 28 messidor an VIII et 16 messidor an IX avaient fait sortir une prohibition de la combinaison des articles 15 et 150 de ce Code; mais cette jurisprudence avait été abandonnée sur les conclusions de Merlin, Quest. de droit, vo Directeur du jury, 82; Arr. cass. 29 oct. 1808 (J. P., t. VII, p. 186).

1580. En matière criminelle, la prohibition est, au contraire, formellement exprimée. L'article 257 du Code d'instruction criminelle porte: « Les membres de la cour qui auront voté sur la mise en accusation ne pourront, dans la même affaire, ni présider les assises, ni assister le président, à peine de nullité. Il en şera de même à l'égard du juge d'instruction. » L'orateur du gouvernement s'est borné à motiver cette disposition en ces termes : << Une disposition formelle défend aux juges de la cour qui ont concouru à l'accusation, ainsi qu'au juge instructeur du procès, de remplir, dans la même affaire, aucune fonction à la cour d'assises, Cette disposition porte en elle-même sa justification. » Ainsi, le juge d'instruction ne peut siéger aux assises dans les affaires qu'il a instruites. Quel est le sens de cette disposition? à quels cas doit-elle être appliquée? Quelques difficultés se sont élevées à ce sujet.

On doit admettre, en premier lieu, que la prohibition s'étend aussi bien au juge qui est temporairement chargé de l'instruction, qu'au juge d'instruction titulaire. Ce n'est pas, en effet, à raison de sa qualité que la loi exclut le juge d'instruction, puisqu'il peut siéger dans les affaires qu'il n'a pas instruites; c'est parce qu'elle craint qu'il n'apporte au débat les impressions de la procédure écrite. Ce motif s'applique donc au juge, quel qu'il soit,

1 Arr. cass. 30 oct. 1812 (J. P., tom. X, p. 769); et conf. Arr. cass. 17 août 1811 et 22 nov. 1816 (J. P., tom. IX, p. 569, et tom. XIII, p. 687); Legraverend, tom. I, p. 172; Dalloz, Rép., vo Organisation judiciaire; Duverger, tom. I, p. 83.

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qui a procédé à l'instruction. La Cour de cassation a reconnu, en conséquence, « que les expressions contenues en l'article 257 sont générales et absolues; que cet article ne fait aucune distinction entre le juge d'instruction titulaire et celui des juges qui en aurait provisoirement exercé les fonctions; qu'en effet, l'incompatibilité prononcée par cet article entre les fonctions de juge d'instruction et celles des membres des cours d'assises, prend sa source dans le caractère essentiel du juge d'instruction, qui, rangé par l'article 9 du Code d'instruction criminelle parmi les officiers de police judiciaire, se trouve en quelque sorte associé à l'action et à la recherche du ministère public dans les poursuites où il fait acte d'instruction 1. »

1581. Cette décision s'étend même au cas où le juge n'aurait agi qu'en vertu d'une délégation, non-seulement temporaire, mais partielle et limitée, comme par exemple s'il était accidentellement chargé de procéder à tel ou tel acte de l'instruction. La Cour de cassation a jugé dans ce sens « qu'on ne saurait admettre qu'en présence de la disposition absolue de l'article 257, il soit permis de distinguer, quant à l'application de cet article, entre les cas où les actes d'instruction auxquels a pu procéder un juge d'instruction provisoire sont plus ou moins nombreux, plus ou moins décisifs dans la cause; qu'admettre cette distinction, ce serait substituer une disposition discrétionnaire et facultative à une disposition formellement prohibitive, dans une matière qui est d'ordre public, puisqu'elle touche à l'ordre des juridictions». Et on lit dans d'autres arrêts « que les expressions de l'article 257 sont absolues; qu'il n'y est fait aucune distinction entre le juge titulaire et le juge qui, dans le cours de la procédure, en a rempli accidentellement les fonctions ». Cette interprétation, considérée en principe, est parfaitement conforme à l'esprit de la loi; mais la difficulté commence quand il s'agit de l'appliquer.

Tout acte quelconque d'instruction doit-il faire écarter le juge qui l'a fait? Aucune distinction n'est-elle prescrite à cet égard? La Cour de cassation a posé la règle « qu'il suffit qu'un juge ait,

1 Arr. cass. 1er août 1829 (J. P., tom. XXII, p. 1308); et conf. 24 juin 1813

et 11 août 1820, tom. XI, p. 493, et tom. XVI, p. 112.

2 Arr. cass. 1er août 1829 (J. P., tom. XXII, p. 1308).

3 Arr. cass. 29 mai et 3 juillet 1834 (J. P., tom. XXVI, p. 578 et 794).

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