1574. Le pouvoir exécutif, aux termes de l'article 56, choisit parmi les juges et les suppléants du tribunal civil le magistrat qui doit remplir les fonctions de juge d'instruction. Dans la législation antérieure au Code, le directeur du jury était pris à tour de role tous les six mois parmi les juges du tribunal'. Dans les tribunaux de trois juges, chacun de ces juges remplissait successivement ces fonctions pendant trois mois *. Il ne paraît pas que le gouvernement, lors de la première rédaction du Code, eût la pensée de se réserver la désignation des juges d'instruction 3. L'empereur voulait laisser ce choix au tribunal ; il disait : « que, le juge instructeur n'étant que le rapporteur du tribunal, sa désignation est du nombre de ces petits détails intérieurs dans lesquels l'empereur ne doit pas intervenir. Il faut laisser le tribunal nommer lui-même ses rapporteurs. » Le conseil d'État pensa que ces fonctions exigeaient une aptitude et des qualités spéciales, et que l'intervention du gouvernement était nécessaire pour en faire la délégation. Il est certain que les fonctions du juge d'instruction supposent des qualités que tous les juges ne possèdent pas : la connaissance des lois pénales, la science du cœur humain, la sagacité de l'esprit, l'indépendance du caractère, l'activité corporelle. Il est donc nécessaire que le choix intervienne pour les déléguer. Mais ce choix doit-il émaner du pouvoir exécutif? Ce n'est point parce que ce juge ne serait qu'un simple rapporteur des procès criminels, comme le disait l'empereur, que le doute peut s'élever; il est autre chose qu'un rapporteur, il exerce un pouvoir indépendant du tribunal, il est investi d'une véritable juridiction; mais ce pouvoir, qui n'est qu'un démembrement de ses fonctions de juge, une des attributions attachées au siége qu'il occupe, doit-il l'exercer à un autre titre que ses autres attributions? La loi, en réservant au pouvoir exécutif le droit de lui conférer et de lui retirer l'instruction, ne semble-t-elle pas l'assimiler, en ce qui concerne cette fonction, aux simples agents de ce pouvoir? Le juge d'instruction ne continue-t-il pas d'être juge en procédant à tous les actes de l'information, et le pouvoir qu'il exerce, pouvoir d'impartiale protection du droit, pouvoir modérateur qui ne suit l'impulsion de l'action publique que pour l'éclairer et quelquefois pour la contenir, ne doit-il pas être empreint de la plus haute indépendance? Était-il donc impossible de faire sortir la délégation du pouvoir judiciaire lui-même? n'est-ce pas là que tous les éléments du choix, tous les besoins du service, toutes les exigences locales sont le mieux connues et appréciées? Et si cette attribution eût pu soulever dans les compagnies quelques susceptibilités, quelques embarras, n'aurait-elle pas racheté ces faibles inconvénients en restituant à la fonction déléguée son caractère exclusivement judiciaire, en lui imprimant surtout l'apparence extérieure d'une indépendance qu'elle n'abdique jamais sans doute, mais qui doit briller à tous les yeux? 1 L. 16 sept. 1791, 2o part., tit. I, art. 2; C. 3 brum. an IV, art. 171 et 212; L. 27 vent. an VIII, art. 15; Décr. 30 mars 1808, art. 51. 2 L. 27 vent, an VIII, art. 15; Décr. 30 mars 1808, art. 51. 3 Locré, tom. XXIV, p. 180. 4 Séance du conseil d'État du 15 brum. an XIII (Locré, tom. XXIV, p. 459). 1575. Le juge d'instruction est nommé, suivant les termes de l'article 55, pour trois ans. M. Mangin explique ainsi ce texte : « Cela ne veut pas dire qu'il soit interdit au gouvernement de lui retirer ces fonctions avant l'expiration du terme de trois ans ; cela signifie seulement qu'il peut, après trois ans, demander d'en être déchargé 1. » Telle est, en effet, la pratique, et il faut reconnaître que ces mots du même article: il pourra être continué plus longtemps, lui donnent un appui; car la loi ne paraît assigner aucune limite précise à la durée de l'instruction après le terme de trois ans. Néanmoins, on peut se demander si c'est bien là le sens de cet article. La période triennale n'a été établie que pour remédier au vice des lois antérieures qui, comme on l'a vu tout à l'heure, n'avaient fixé à l'exercice des fonctions du juge d'instruction qu'une durée de trois ou de six mois. Notre législateur a pensé avec une haute raison que la mutation incessante du juge nuit à la bonne administration de la justice; que ce magistrat, quand il n'est investi que par une courte délégation, ne peut acquérir une suffisante expérience, et qu'il importe, d'un autre côté, qu'il puisse conduire à fin les affaires qu'il a commencées. Tels sont les seuls motifs qui ont déterminé ce terme, car il n'était pas nécessaire apparemment que la loi avertit le juge qu'après trois ans il pouvait demander son remplacement. Or ces motifs ne semblent-ils pas s'opposer à ce que cette délégation 1 De l'instr, écrite, tom. I, p. 5. puisse être abrégée ? Le délai qui a été établi, soit pour former l'expérience du juge, soit pour empêcher qu'il ne fût dessaisi des affaires qu'il a commencées, et par conséquent, pour assurer à la fois son instruction et son indépendance, n'est-il pas une condition de l'exercice de ces fonctions? Si la délégation est révocable, ne faut-il pas du moins que cette révocation ne puisse être motivée sur la conduite du juge dans telie ou telle affaire ? N'estce pas assez que ces fonctions puissent lui être retirées après trois ans? A la vérité, la loi dispose qu'il pourra être continué plus longtemps, sans fixer aucun terme à cette prorogation; mais ne semble-t-il pas que le terme est sous-entendu; que cette seconde disposition se réfère nécessairement à la première; que, nommé pour trois ans, le juge ne peut être continué que pour trois ans ? Ainsi seraient conciliés le droit du gouvernement de retirer l'instruction au juge qui compromet les affaires par son inhabileté et sa négligence, et le droit du juge lui-même d'exercer ces fonctions, avec une pleine indépendance, pendant toute la durée de la délégation. La prorogation du juge au delà du terme de trois ans est de plein droit quand ce terme est expiré et qu'il n'a pas été remplacé; il est réputé maintenu, sans qu'une nouvelle commission soit nécessaire pour le déclarer. S'il en était autrement, le service de l'instruction, qui ne doit jamais être interrompu, le serait sans cesse'. 1576. Ce n'est qu'au cas d'empêchement du juge d'instruction que la loi confère au tribunal le droit de déléguer l'un de ses membres pour le remplacer. L'article 58 du Code d'instruction criminelle porte : « Dans les villes où il n'y a qu'un juge d'instruction, s'il est absent, malade ou autrement empêché, le tribunal de première instance désignera l'un des juges de ce tribunal pour le remplacer. » C'est la nécessité de pourvoir immédiatement à la vacance qui a dicté cette disposition; il était impossible de recourir à l'intervention du gouvernement, car les cas d'empêchement sont instantanés, et il faut qu'il y ait toujours un juge d'instruction. Cet article ne parle que des villes où il n'y a qu'un juge d'instruction D'où il suit que dans celles où il y en a plusieurs ils 1 Conf. arr. cass. 8 mai 1807 (J. P., tom. VI, p. 79). doivent, en cas d'empêchement, se suppléer les uns les autres 1. Néanmoins, quelques auteurs ont pensé que ce texte est purement énonciatif, et qu'il y a lieu de l'appliquer, quel que soit le nombre des juges d'instruction, si les besoins du service rendent le remplacement nécessaire. Il paraît douteux que tel soit le sens de l'article, qui ne prévoit qu'un seul cas, celui de l'empêchement du juge dans la ville où il est seul, parce que là seulement il y a urgence; dans les autres villes, le service n'est pas immédiatement interrompu, et dès lors le gouvernement peut apprécier les besoins du service et les moyens d'y pourvoir. Dans les villes qui n'ont qu'un seul juge d'instruction, ce n'est même qu'au cas d'empêchement que le tribunal peut désigner un autre juge. Il faut donc que l'impossibilité où se trouve le juge titulaire de remplir ses fonctions soit constatée pour que le tribunal puisse exercer ce droit; car l'instruction n'appartient qu'au juge spécialement délégué, et il faut une cause légitime d'empêchement pour qu'elle puisse, même temporairement, passer en d'autres mains. Ainsi, la délibération par laquelle un tribunal désignerait à l'avance un juge pour instruire dans les procès auxquels le juge d'instruction ne pourrait suffire serait une usurpation de pouvoir3; car, d'une part, c'est le fait de l'empêchement qui ouvre le droit du tribunal, et d'une autre part, le nombre des affaires ne constitue pas une cause d'empêchement. 1577. Le tribunal ne pourrait même désigner à l'avance celui de ses membres qui devrait remplacer le juge d'instruction, au cas où celui-ci viendrait à être réellement empêché; car la loi ne lui donne point ce pouvoir; il ne peut pourvoir qu'au cas qui se présente, il ne peut pourvoir à l'avenir; il ne lui appartient point de placer, à côté du juge désigné par le gouvernement, un autre juge prêt à le suppléer sans cesse, et auquel serait attaché dès lors une sorte de caractère permanent. M. Mangin a cependant approuvé une telle désignation : « Elle n'a pour objet, dit cet auteur, que de pourvoir au cas où le titulaire sera dans l'impossibilité de s'acquitter de sa mission. C'est une mesure sage de la part des tribunaux qui n'ont qu'un juge d'instruction; l'empêchement de celui-ci peut tenir à des causes très-subites, survenues dans un moment où il est difficile de réunir le tribunal1. » La Cour de cassation n'a pas adopté cette opinion, et elle a jugé avec raison : « que le pouvoir accordé par l'article 58 aux tribunaux, dans les villes où il n'y a qu'un juge d'instruction, de désigner l'un des juges pour le remplacer, ne peut être exercé que dans les cas spécifiés par cet article, d'absence, maladie ou autre empêchement, et que les tribunaux n'ont reçu, ni de cet article, ni d'aucune autre disposition de la loi, le pouvoir de nommer, d'une manière générale, et pour des cas indéterminés, un remplaçant permanent du juge d'instruction*, » 1 Mangin, De l'instr. écrite, tom. I, p. 5; Duverger, tom. I, p. 77. 2 Carnot, tom. I, p. 286; Duverger, tom. I, p. 77. 3 Arr. cass. 17 oct. 1823 (Bull., no 403); Dalloz, tom. III, p. 432; Journ. du Pal., tom. XVIII, p. 171. Le tribunal doit être convoqué en entier pour faire cette désignation, soit qu'il soit composé d'une seule ou de plusieurs chambres; car l'article 58 ne délégue cette mission qu'au tribunal. Toutefois, si c'est la chambre d'accusation qui, après avoir ordonné une information nouvelle, délègue à l'une des chambres du tribunal le soin de désigner un de ses membres pour procéder à cette information, la chambre ainsi déléguée est compétente, car elle n'agit plus en vertu de l'article 58, mais en vertu des articles 236 et 237; et le juge qu'elle désigne, chargé de l'instruction d'une seule affaire, ne peut être assimilé au juge qui reçoit une compétence générale pour instruire toutes les affaires; c'est l'exécution d'une commission rogatoire plutôt que la délégation de l'instruction. C'est aussi dans ce sens que cette question a été jugée par la Cour de cassation. Un tribunal s'était déclaré incompétent par le motif: « qu'aux termes de l'article 58, il n'appartient qu'au tribunal entier et non à une chambre du tribunal de commettre un juge d'instruction pour rem placer l'ordinaire empêché; que ce qu'une fraction du tribunal ne peut faire d'office, pour des besoins de service, elle ne peut le faire en vertu d'une délégation qui ne peut créer un droit dont le principe n'existe pas légalement; que les juges d'instruction forment de véritables juridictions qui ne peuvent être établies, exclues, remplacées qu'en vertu de la loi et dans les termes qu'elle a établis, et qu'aucun texte n'autorise le tribunal, tel 1 De l'instr. écrite, tom. I, p. 5. 2 Arr, cass., ch. req., 21 juillet 1836 (J. P., tom. XXVII, p. 1511). |