justice: c'est quand, retenu par les relations de la famille, par les habitudes du foyer, par les nécessités du travail, par tous les liens qui emprisonnent la vie de chaque individu, il ne peut songer à une fuite qui serait l'exil, la misère et le malheur; c'est quand les faits poursuivis n'ont pas de complices ou ne sont pas de nature à se répéter; c'est quand ces faits n'ont pas un caractère tellement odieux que la présence de l'inculpé soit un scandale dans la cité. 1995. La loi exige d'ailleurs quelques conditions qui ont une certaine importance. Elle n'accorde, en premier lieu, la mise en liberté que sur la demande de l'inculpé. Il en était de même dans notre ancien droit. « Les accusés, dit Jousse, peuvent être élargis par provision sur une requête présentée à cet effet et communiquée à la partie publique et à la partie civile '. » C'est là une première différence qui sépare le cas prévu par cet article du cas prévu par l'article 94: le juge, dans cette dernière hypothèse, agit d'office lorsqu'il laisse l'inculpé en liberté ou donne mainlevée du mandat, tandis qu'il ne prononce dans la première que sur la requête qui lui est adressée. La loi veut, en second lieu, que la mise en liberté ne soit prononcée que sur les conclusions du procureur impérial. On trouve ici une deuxième différence avec l'hypothèse de l'article 94, dans laquelle la mainlevée du mandat n'est donnée que sur les conclusions conformes du procureur impérial. Pourquoi cette différence? Pourquoi le juge qui est lié par les conclusions dans l'article 94 ne l'est-il plus dans l'article 113? La raison en est simple: dans le cas de l'article 94, le juge qui agit de lui-même et sans être provoqué par aucune demande ne fait qu'un acte d'instruction, et la loi a pu, dans ce cas, subordonner cet acte à la double adhésion du juge et du ministère public. Dans le cas de l'article 113, le juge, statuant sur la requête de l'inculpé, fait acte de juridiction, et son ordonnance peut être frappée d'opposition devant la chambre d'accusation. Il n'est donc plus arrêté par les conclusions, il se borne à les prendre et prononce ensuite, quelle que soit leur teneur, dans toute l'indépendance de sa juridiction sur la requête. La loi exige, en troisième lieu, que l'inculpé prenne l'engagement de se représenter à tous les actes de la procédure et pour l'exécution du jugement. Cet engagement, qui fait revivre l'ancienne caution juratoire, ne nous paraît point une forme vaine et dénuée de toute efficacité. L'inculpé, à qui la loi témoigne quelque confiance, n'a point d'intérêt à la tromper, et doit tenir à s'en montrer digne. S'il est fidèle à la promesse solennelle qu'il a faite, il prouve qu'il ne redoute pas la justice et il s'attire quelque droit à sa bienveillance. S'il y est infidèle, ce manque de foi ne fait qu'aggraver sa position. 1 Tom. II, p. 565. 1996. Le pouvoir discrétionnaire du juge rencontre une limite. Le deuxième paragraphe de l'article 113, dont nous avons relaté le texte no 1968, édicte, en faveur des inculpés de délits passibles d'un emprisonnement inférieur à deux ans, la mise en liberté de droit cinq jours après l'interrogatoire. Cette innovation a été une transaction avec l'opinion, très-fortement soutenue, qui demandait l'application absolue de la liberté provisoire à tous les inculpés de faits qualifiés délits. Le rapporteur a fait remarquer avec raison que la détention préventive, qui ne doit point avoir le caractère d'une peine préalable, mais qui constitue seulement une mesure de précaution, n'est nécessaire qu'à l'égard des înculpés qui, à raison de la gravité du délit, peuvent être présumés vouloir se dérober soit à l'instruction, soit à l'application de la peine. Or, cette présomption n'existe pas en ce qui concerne les inculpés qui ne sont menacés que d'une peine dont le maximum n'atteint pas deux années d'emprisonnement, et dont le minimum peut descendre à six jours. Comment croire, en effet, que pour fuir une telle prévention l'inculpé va quitter son foyer, sa famille, toutes ses ressources? La présomption de la comparution en justice est si forte qu'elle fonde un véritable droit à la liberté, car il n'y a, répétons-le, qu'une nécessité absolue d'ordre ou de justice qui puisse le suspendre. Nous ajouterons à tous les motifs qui ont été apportés à l'appui une considération morale qui nous semble importante: c'est qu'il importe de ne pas jeter inutilement dans les prisons des personnes dont la criminalité est encore incertaine et auxquelles la justice n'impute que des actes d'une valeur secondaire. Il importe de ne pas entacher leur vie de cette note d'infamie avant que la justice ait déclaré qu'elle était méritée. Les détentions, si courtes qu'elles soient, sont toujours funestes à ceux qu'elles frappent, soit en privant la famille des ressources de leur travail, soit en leur infligeant une flétrissure encore imméritée, soit en jetant dans leur âme des semences de corruption, soit enfin en l'abaissant par une humiliation dont elle ne peut se relever. Ce droit à la liberté provisoire est d'ailleurs soumis à plusieurs conditions. Il ne s'exerce que cinq jours après l'interrogatoire, c'est-à-dire après six jours, à compter du jour de l'arrestation, car il a été formellement reconnu dans la discussion de la loi que l'interrogatoire que mentionne l'article 113 est celui qui doit avoir lieu dans les vingt-quatre heures. Le délai de cinq jours après cet interrogatoire a été donné pour que le juge puisse prendre tous les renseignements qui lui sont nécessaires, et il le peut facilement dans ce délai, puisque la voie télégraphique a été mise à la disposition des parquets et puisqu'il n'a pas décerné le mandat de comparution sans avoir déjà procédé à un commencement d'information. Que s'il reconnaît, même avant les cinq jours expirés, que l'inculpé doit profiter du droit, il ne doit pas attendre l'échéance du délai, car la loi a voulu que l'application de cette liberté de droit fût sérieuse et réelle et que le juge se pénétrât de son esprit pour la mettre en action. Une seconde condition est que les inculpés soient domiciliés. La mise en liberté de droit emporte, en effet, comme celle qui n'est que facultative, la condition de se représenter à tous les actes de la procédure et pour l'exécution du jugement. Or, cette condition, dès qu'elle n'a plus pour garantie de son accomplissement l'appréciation libre du juge, doit en trouver une autre qui est le domicile. De quel domicile s'agit-il ici? Nous l'avons déjà défini (no 1679): c'est le domicile de fait, le lieu où l'inculpé réside habituellement, où il a son établissement et ses ressources, où il travaille, où il est fixé. C'est cette demeure fixe, cette résidence cimentée par un certain temps, qui constitue la garantie légale. Mais on ne doit pas la confondre avec la dernière habitation, qui n'est qu'un fait isolé quand elle ne s'est pas continuée suffisamment pour manifester l'intention de s'y fixer. La loi n'a voulu exclure que ceux qui ne sont attachés à aucun lien par la famille et par le travail, qui n'ont aucun foyer, aucune demeure continue et habituelle, aucun établissement, d'abord parce qu'ils ne fournissent aucun gage de leur moralité, ensuite parce que les réquisitions de la justice ne sauraient où s'adresser et n'auraient aucune assurance d'être obéies. 1 Circulaire du garde des sceaux du 10 août 1865. Une dernière condition est que les inculpés ne soient en récidive ni de crime ni de délit. Nous avons déjà indiqué par quel motif cette exclusion ne s'applique qu'aux inculpés passibles d'un emprisonnement inférieur à deux ans: la liberté n'étant que facultative à l'égard de tous les autres, il n'a pas paru nécessaire d'imposer des limites au pouvoir discrétionnaire du juge, tandis qu'étant ici de droit, il était indispensable d'indiquer les individus auxquels elle ne s'appliquait pas. Ces individus sont « les prévenus déjà condamnés pour crime, et ceux déjà condamnés à un emprisonnement de plus d'une année; » ce qui doit s'interpréter en ce sens que la loi a voulu exclure: 1° tous les condamnés pour crime, quelle que soit la peine encourue; 2o tous les condamnés pour délit à un emprisonnement de plus d'un an. 1997. Il nous reste à parler de la mise en liberté sous caution. Cette mise en liberté n'est plus qu'un assurement subsidiaire. Elle n'intervient que lorsque l'arrestation a été jugée nécessaire, que le mandat a été mis à exécution, et que le juge n'a pas pensé, après l'interrogatoire de l'inculpé, pouvoir le remettre en liberté sans que sa représentation soit assurée; le cautionnement est la garantie de cette représentation. L'inculpé ne recouvre qu'une liberté conditionnelle; le lien du cautionnement l'attache et le retient dans le ressort du tribunal saisi; il est rendu à ses travaux, à ses affaires, mais la justice n'a fait que relâcher la chaîne dont elle tient le bout; il reste à sa disposition. La loi garantit ainsi, sans déployer une inutile rigueur, les droits de la justice; elle assure, en laissant l'inculpé en liberté, l'exécution du jugement. Il suit de là que le caractère général de la mise en liberté sous caution est de remplacer la garantie de l'emprisonnement préalable par la garantie du cautionnement, de substituer à la détention qui, appliquée aux prévenus, est une mesure de sûreté, une autre mesure de sûreté, de changer le gage dont la justice a besoin sans en diminuer la valeur. Ainsi cette institution n'affaiblit point l'action publique. Elle ne supprime une détention rigoureuse qu'en la remplaçant par une garantie non moins efficace. De ce principe on peut déduire deux conséquences: la première, que la mise en liberté sous caution ne doit être appliquée que dans les cas où la détention préalable serait jugée nécessaire; la deuxième, que la condition de son application est qu'elle présente une garantie analogue à celle de l'emprisonnement. Le premier point ne peut soulever aucune contestation. Si la détention préalable de l'inculpé à raison de sa moralité, de sa position sociale ou du peu de gravité du fait, n'est pas indispensable à la poursuite, le cautionnement, qui n'est que l'équivalent de l'emprisonnement, est évidemment superflu. Le second donne lieu à plus de difficultés. Comment assimiler la perte de la liberté et la perte d'une somme pécuniaire? Comment être assuré que, pour éviter l'exécution d'une peine corporelle, le prévenu ne sacrifiera pas le cautionnement qui a été déposé? Il est clair que la solution du problème ne peut être que dans le taux du caution nement. Le cautionnement doit être proportionné aux moyens pécuniaires du prévenu et il doit être en rapport avec la gravité du fait imputé. La liberté sous caution, en effet, puise ses garanties dans trois sources différentes: dans la position personnelle du prévenu, dans ses ressources pécuniaires, dans le caractère plus ou moins grave du fait qui lui est imputé. Elle le retient par le lien de la résidence, par le dépôt d'une partie de sa fortune, par l'intérêt réel qu'il a de purger la prévention, quelle qu'en soit l'issue. La résidence est la première condition de toute liberté provisoire. La mise en liberté suppose l'engagement de se représenter, et par conséquent une résidence fixe. Le taux du cautionnement doit être une garantie sans être un obstacle à la liberté; il doit être un lien pour tous et non un privilége pour quelques-uns. Il faut donc qu'il soit proportionné aux ressources du prévenu. L'égalité de la somme conduirait à l'inégalité de la loi; elle créerait parmi les inculpés des classes qu'elle admettrait à participer à ses bienfaits et des classes qu'elle en éloignerait. Elle serait pour les uns inaccessible et pour les autres inefficace. M. Livingston, dans le Code de la Louisiane, a parfaitement précisé la difficulté : « Le montant du cautionnement ne saurait être proportionné par la loi aux circonstances de chaque cas particulier; c'est un des points les plus importants et les plus délicats de l'exercice du pouvoir judiciaire. II |