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moyen de preuve; elle a pour but d'empêcher que le prévenu ne se concerte avec ses complices, n'altère ou ne fasse disparaître les traces du crime, n'exerce ou ne subisse aucune influence extérieure. Il ne peut donc appartenir qu'au magistrat chargé d'instruire de l'ordonner.

Est-elle indispensable à l'instruction? De vives réclamations se sont élevées à ce sujet1. Il y a lieu de remarquer, en effet, que la détention ne doit pas allerau delà de la privation de la liberté; que toute entrave apportée aux communications du prévenu avec sa famille est une atteinte aux droits de l'humanité; que l'interdiction complète de communiquer, c'est-à-dire la détention solitaire, est un véritable supplice qui inflige à la détention préalable, qui n'est qu'une simple précaution, le caractère d'une peine; que le prévenu a besoin d'être défendu non-seulement à l'audience, mais encore dans le cours de l'instruction; que l'isolement met obstacle à ce qu'il confère avec un défenseur, à ce qu'il puisse même rechercher et préparer ses moyens de défense; qu'il peut même en résulter, dans quelques cas, la facilité donnée à ses dénonciateurs de détruire les preuves qui le justifieraient; enfin que si la communication d'un prévenu au dehors a quelques inconvénients, il ne faudrait pas détruire un droit légitime par la seule crainte des abus qu'il peut produire.

Nous croyons qu'il faut distinguer avec soin le droit du juge d'appliquer l'interdiction et les conditions qui doivent être apportées à cette application. Ce droit tient au principe même de l'instruction préalable: le juge d'instruction est investi du pouvoir de prendre toutes les mesures qu'il croit utiles à la manifestation de la vérité; il sépare ou confronte les prévenus, il les interroge ensemble ou l'un après l'autre, il les réunit ou les isole momentanément, suivant que cette réunion ou cette séparation peut nuire ou ne pas nuire à ses investigations; il est chargé de constater les faits incriminės, d'en découvrir les auteurs, d'en réunir les preuves: l'interrogatoire, la séparation des coprévenus, leur interdiction de toute communication sont des moyens d'instruction qui rentrent dans le cercle des mesures qu'il est autorisé à prendre. Il est certain que la détention solitaire est une aggravation de la détention, qu'elle apporte une restriction plus rigou

1 Servan, tom. I, p. 25; Meyer, tom. III, p. 295; Bérenger, p. 389; Dupin, Observ. sur notre législ. crim., p. 72; Legraverend, tom. I, p. 354.

reuse de la liberté du prévenu, une nouvelle entrave à sa défense. Mais la détention elle-même, indépendamment du secret, n'estelle pas une entrave aux droits du citoyen, au droit de la défense? Or si cette détention, réduite à la simple privation de la liberté, est impuissante comme moyen d'instruction, si le prévenu, en dictant des ordres du fond de sa prison, en communiquant avec ses agents, en conférant avec ses complices, peut frapper de stérilité toutes les opérations judiciaires, n'y a-t-il pas lieu d'ajouter à la détention une forme qui la rende efficace? La question de la mise au secret, comme celle de la détention même, est une question de nécessité; nul ne conteste que cette mesure ne soit rigoureuse, qu'elle ne porte une double atteinte à l'humanité et à la défense, en faisant peser sur le prévenu une souffrance et une entrave; il s'agit de savoir si l'instruction, qui est l'un des éléments de la justice pénale, peut remplir sa mission sans disposer de ce moyen; si le juge peut mettre avec sûreté la justice dans la voie de la vérité, quand le prévenu, libre d'agir, quoique détenu, conservera tous les moyens de détourner ou de rendre vaines ses investigations; si la libre communication d'un prévenu avec ses affidés ne peut pas détruire la preuve et désarmer l'action judiciaire. Ici, comme dans toutes les mesures plus ou moins acerbes de l'instruction préalable, l'intérêt de la justice, qui est le grand intérêt social, exige la suspension momentanée d'un droit individuel; son seul titre est que ce sacrifice est une condition de son action; il lui suffit de justifier de cette nécessité.

1985. Au fond, la querelle est moins sur le droit même de la justice que sur l'application qu'elle en a faite. Ce sont les abus du secret qui ont élevé les plaintes; la preuve en est que les plaintes ont, en général, cessé avec les abus. Si le juge d'instruction ne prononce une interdiction de communiquer que lorsqu'il croira cette mesure indispensable à l'instruction qu'il dirige, s'il a soin de la restreindre dans son application aux relations qui lui semblent réellement suspectes, s'il en limite enfin la durée au nombre de jours strictement nécessaire pour terminer les opérations, cette mesure, ainsi comprise et appliquée, ne paraîtra oppressive à personne. Il ne doit point perdre de vue qu'elle a pour effets de séparer douloureusement le prévenu de sa famille et de ses amis au moment où il a le plus de besoin de leur secours, et de jeter dans son âme, attristée par la solitude, le trouble et le découragement, au moment où il lui faut toutes ses forces pour lutter contre l'accusation que la société élève contre lui. Ce n'est point une raison pour qu'il n'use pas avec fermeté de ce moyen quand il le croit nécessaire à la découverte de la vérité, mais c'est une raison de ne s'en servir qu'avec ménagement et seulement dans les cas d'une nécessité réelle.

Cette doctrine trouve un appui dans la circulaire souvent citéc du 10 février 1819 : « L'interdiction de communiquer est autorisée par les articles 613 et 618. L'usage en est utile en certaines circonstances et particulièrement dans les crimes commis de concert et par complot; mais l'emploi indifférent de cette mesure contre tous les prévenus ou sa prolongation sont tellement contraires à la bonne administration de la justice et aux droits de l'humanité, que les juges d'instruction n'en sauraient user avec trop de réserve. Ils ne doivent l'ordonner que lorsqu'elle est indispensable à la manifestation de la vérité, et seulement durant le temps strictement nécessaire pour atteindre ce but. Jamais, au surplus, il ne doit être ajouté à la rigueur de ce moyen d'instruction aucune rigueur accessoire, et le prévenu, momentanément privé de communication, doit être, à tout autre égard, traité comme les autres détenus. Pour mieux assurer l'observation de ces règles, je désire que, dans les comptes hebdomadaires que l'article 127 charge les juges d'instruction de rendre à la chambre du conseil, ils aient toujours soin de faire connaître les procédures à l'occasion desquelles la défense de communiquer aurait été faite à un prévenu, pour que le tribunal apprécie les motifs de cette mesure extraordinaire, qu'il prévienne par sa surveillance et réprime au besoin par son autorité tout ce qui serait irrégulier, injuste ou vexatoire; et afin d'empêcher que ces rapports ne dégénèrent en une vaine formalité, vous aurez soin qu'il en soit adressé chaque mois, pour chaque arrondissement, un état exact des procédures dont il aura ainsi été rendu au tribunal un compte provisoire, avec l'indication de la durée de l'interdiction de communiquer, de l'époque où elle aura cessé et des raisons qui auront déterminé à la prescrire ou à la prolonger. » Ces instructions ont en quelque sorte dicté le nouveau paragraphe ajouté à l'article 613. Il y a lieu d'espérer que la limite imposée à l'ordonnance et la nécessité de rendre compte feront cesser des abus que cette mesure, nécessaire cependant, a trop souvent occasionnés et qui ont été justement relevés.

L'interdiction de communiquer doit être prononcée par une ordonnance du juge d'instruction, et cette ordonnance doit, aux termes de l'article 618, être inscrite sur les registres de la prison. Le prévenu, auquel elle doit être communiquée, a le droit de former un recours devant la chambre d'accusation'.

CHAPITRE QUINZIÈME.

DE LA LIBERTÉ PROVISOIRE AVEC OU SANS CAUTION.

§ I. Législation sur la liberté provisoire.

1986. Dispositions du droit romain et de notre ancien droit sur cette matière.

1987. Jurisprudence du dix-septième et du dix-huitième siècle.

1988. Dispositions de la législation de 1791, du Code du 3 brumaire an IV et de la loi

du 20 thermidor an IV.

1989. Dispositions du Code d'instruction criminelle et des lois postérieures.

§ II. Législation nouvelle sur la liberté provisoire.

1990. Loi du 14 juillet 1865. Modifications introduites dans le régime de la liberté provisoire.

1991. La liberté provisoire est, dans le système de la loi, une faculté conférée au juge et non un droit conféré aux inculpés. Examen de cette règle.

1992. Cette faculté s'applique en matière criminelle aussi bien qu'en matière correction

nelle. Comment doit s'entendre cette application.

1993. En matière criminelle, la liberté cesse à l'arrêt de renvoi devant la cour d'assises. Explication de l'article 126.

1994. De la mise en liberté sans caution. Caractère de cette mesure. Explication de l'article 113.

1995. Conditions et garanties de l'élargissement pur et simple. Engagement de l'inculpé. 1996. De la liberté de droit accordée par le § 2 de l'article 113 aux prévenus de délits

passibles d'un emprisonnement de moins de deux ans.

1997. De la mise en liberté avec caution. Caractère de cette mesure. Explication des articles 114 et 120.

1998. Suppression du minimum et du maximum du cautionnement.
1999. Mode du cautionnement. Caution d'une tierce personne (art. 120).

2000. Objet du cautionnement. Affectation qui lui a été donnée (art. 114).

§ III. Juridiction compétente pour statuer sur la liberté provisoire.

2001. Désignation des juridictions compétentes pour statuer en tout état de cause. Commentaire de l'article 116.

2002. Cas où le prévenu demande sa liberté pour rendre son pourvoi admissible, con

formément à l'article 421.

1 Voy. suprà no 1623.

§ IV. Formes de la demande.

2003. Formes de la demande en liberté.

2004. Droit d'opposition ou d'appel contre l'ordonnance ou le jugement qui a statué.

Explication de l'article 119.

2005. Quand la liberté est prononcée, comment s'opère l'élargissement (art. 121).

§ V. Causes qui mettent fin à la liberté provisoire.

2006. Quelles causes mettent fin à la liberté provisoire.

2007. Application de la loi au cautionnement dans les cas d'acquittement ou de con

damnation.

§ I. Législation ancienne sur la liberté provisoire.

1986. La liberté provisoire des prévenus, moyennant promesse ou caution de se représenter en justice, est une institution qu'on retrouve dans toutes les législations criminelles, même les plus

anciennes.

Nous avons vu cette institution se développer dans les lois romaines'; nous l'avons vue former le droit commun de notre procédure dans les premiers siècles de notre législation *. Nous l'avons laissée au moment où la forme inquisitoriale commençait à s'établir. C'est donc au seizième siècle qu'il nous faut remonter pour apprécier quels ont été à cet égard les effets de cette procédure extraordinaire.

L'article 152 de l'ordonnance d'août 1539 portait : « Es matières subjectes à confrontation ne seront les accusés eslargis pendant les délais qui seront baillés pour faire la dite confrontation. » L'article 150 limitait, en conséquence, la mise en liberté sous caution aux matières de petite importance non sujettes à confrontation : « Sinon que la matière fust de si petite importance que, après les parties ouïes en jugement, l'on deust ordonner qu'elles seroient reçues en procès ordinaire, et leur préfixer un délai pour informer de leurs faits, et cependant eslargir l'accusé à caution limitée, selon la qualité de l'excès et du délit, et à la charge de se rendre en l'état au jour de la réception de l'enquête. » Il est clair, en effet, que la procédure devenant secrète et le principe des récolements et confrontations à huis clos étant la seule base de l'instruction, la présence de l'accusé dans la prison dut être un élément indispensable de l'instruction.

1 Voy. notre tome I, no 38.

2 Voy. notre tome I, nos 120 et 169.

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