le prévenu se présente devant le juge libre et sans être accompagné. Il n'est pas même nécessaire que la notification soit faite en parlant à la personne même du prévenu; il suffit qu'elle l'ait été à son domicile ou à sa résidence, dans les formes prescrites par les articles 68 et 69 du Code procédure civile pour les assignations 1. 1974. L'exécution du mandat d'amener n'est pas aussi simple, et peut même faire naître plusieurs questions. Il doit être, en premier lieu, notifié au prévenu, et il lui en est laissé copie *. Mais, au moment même de cette signification, le prévenu se trouve placé sous la garde de l'officier qui en est porteur, et est tenu de le suivre. S'il déclare être disposé à obéir, l'agent doit se borner à l'accompagner sans faire aucun éclat3; s'il refuse, au contraire, ou si, après avoir déclaré qu'il est prêt à obéir, il tente de s'évader, le porteur du mandat a le droit d'user de contrainte et même de requérir l'assistance de la force publique *. Lorsque le prévenu, en état de mandat d'amener, est conduit devant le juge d'instruction, ce magistrat doit, s'il le peut, l'interroger de suite. Si l'article 93, en effet, porte qu'il l'interrogera dans les vingt-quatre heures au plus tard, ce délai n'a été établi que parce que le juge ne peut savoir à l'avance le moment où le mandat pourra être exécuté, et qu'il peut être retenu par quelque autre acte de ses fonctions. Mais la loi n'a point attribué au juge la faculté de différer l'interrogatoire lorsqu'il peut y procéder : il s'agit de décider la mise en liberté ou la détention provisoire du prévenu, et rien n'est plus urgent que cette question 5. 1975. Ici s'élève une difficulté qui a longtemps préoccupé les criminalistes: si l'interrogatoire n'a pas lieu sur-le-champ, que devient le prévenu jusqu'au moment où il y est procédé? Il est, en premier lieu, hors de doute qu'il ne peut être écroué à la maison d'arrêt. Le mandat d'amener, en effet, n'est point un ordre d'emprisonnement; il n'a d'autre but que la conduite du prévenu 1 Conf. Duverger, n. 401. 2 Art. 97 C. instr. crim. 3 Conf. Mangin, n. 152. 4 Art. 99 C. instr. crim. Conf. Duverger, n. 413. devant le juge pour qu'il soit interrogé : la contrainte qui est employée à son exécution ne s'applique qu'à cette conduite, et cette contrainte n'est point une détention. Cette règle, établie par l'article 93, trouve une sanction formelle dans l'article 609, qui dispose que « nul gardien ne pourra, à peine d'être poursuivi et puni comme coupable de détention arbitraire, recevoir ni retenir aucune personne qu'en vertu soit d'un mandat de dépôt, soit d'un mandat d'arrêt »; il ne pourrait donc le recevoir en vertu d'un mandat d'amener. La Cour de cassation a déclaré en conséquence, « qu'aux termes de l'article 93, tout prévenu arrêté en vertu d'un mandat d'amener doit être interrogé dans les vingtquatre heures au plus tard, et que l'article 609 s'oppose à ce qu'il soit reçu ni retenu dans une maison d'arrèt ou dans une prison quelconque, sur l'exhibition d'un simple mandat d'amener1». S'il ne peut être reçu dans une prison quelconque, de quelle mesure peut-il être l'objet? Il est clair qu'il ne peut être laissé en état de liberté, puisque le mandat d'amener suppose la contrainte jusqu'à l'interrogatoire, et qu'il n'a pas encore été interrogé. Quelques auteurs ont proposé de le maintenir sous la garde de l'agent qui a mis le mandat à exécution *; mais la loi ne donne à cet agent d'autre mission que de l'amener, et la garde à vue du prévenu pendant vingt-quatre heures, outre qu'elle n'est pas dans ses attributions, le détournerait de ses fonctions habituelles et pourrait entraîner une sorte de détention en chartre privée. Il faut donc nécessairement arriver à décider que le prévenu en état de mandat d'amener doit être déposé provisoirement et gardé dans un local affecté à cet usage par l'autorité administrative 3. D'une part, en effet, il se trouve placé dans les liens d'une contrainte personnelle jusqu'au moment de l'interrogatoire, et, d'un autre côté, cette contrainte ne donne pas le droit de l'écrouer dans une prison; ce n'est donc qu'en le déposant momentanément dans une chambre à part, qui ne soit ni une prison ni la dépendance d'une prison, qui ne lui imprime ni les apparences ni le reflet d'une détention réelle, qu'il est possible de concilier le retard du juge avec le principe de la loi. Où cette chambre doitelle être située ? Il semble qu'elle doit être l'une des chambres du palais de justice. En effet, l'état de mandat d'amener n'est pas même un état de détention provisoire, c'est un simple état d'expectative; le prévenu attend son interrogatoire : il doit l'attendre au lieu même où il doit y être procédé. Que si la situation des lieux présente quelques difficultés d'exécution, il appartient au juge d'instruction de réclamer et à l'administration d'ordonner leur appropriation à cette destination. On ne peut admettre que la loi demeure inexécutée, que les prévenus soient privés d'une garantie réelle, que la maison d'arrêt soit substituée à une chambre provisoire, et l'emprisonnement à une simple contrainte, sous le prétexte qu'il n'y a pas de chambre appropriée à ce service. A la vérité, un magistrat a pensé que « l'on s'est exagéré ce qu'aurait à souffrir dans son honneur un prévenu parce qu'il aurait attendu en prison le moment nécessairement très-rapproché de son interrogatoire. S'il est mis sous mandat de dépôt après l'interrogatoire, lui importe-t-il beaucoup que, quelques heures plus tôt, il ait été détenu à la maison d'arrêt au lieu de l'être ailleurs 1? » Mais, s'il est laissé en liberté, ne lui importe-t-il pas de n'avoir pas subi, même un seul moment, la flétrissure de la prison? Ne lui importe-t-il pas que les simples précautions que la loi permettait de prendre à son égard ne soient pas arbitrairement converties en détention? Et même, dans le cas où le mandat d'amener devrait être suivi du mandat d'arrêt, s'ensuit-il que l'emprisonnement, que ce dernier mandat autorise, ait pu le précéder, que, parce que le prévenu est régulièrement détenu le lendemain, il ait pu l'être la veille, que la délivrance du mandat d'arrêt ait pu régulariser une détention illégale antérieure? Admettons que cela importe peu au prévenu; est-ce qu'il n'importe pas à la justice de maintenir strictement les règles légales, de ne pas altérer les mesures qui ont été édictées pour protéger la liberté civile, de ne pas aggraver la condition des prévenus, telle qu'elle a été établie par la loi ? 1 Arr. cass, 4 avril 1840 (Bull., no 106). 2 Carnot, De l'instr. crim., tom. I, p. 261 et 283; Bourguignon, Jurispr., tom. I, p. 217. 3 Mangin, n. 154. 1976. Si le prévenu est absent, ou s'il s'est dérobé par la fuite à l'exécution du mandat d'amener, ce mandat le suit et le saisit 1 M. Duverger, n. 414. 2 Voy. en sens contr. Legraverend, tom. I, p. 327; De Molènes, Traité des fonct. du procureur du roi, tom. II, p. 66. 1 dans tous les lieux où il se trouve, car il est exécutoire dans toute l'étendue du territoire. Mais << il y aurait trop d'inconvénients à ce qu'en vertu d'un mandat d'amener un prévenu pût être conduit d'une extrémité du royaume à l'autre sur de simples suspicions qui peuvent servir de base à une détermination aussi provisoire qu'un mandat d'amener. Cet inconvénient serait plus sensible encore si l'officier de police dans le canton duquel le délit a été commis, ou celui de la résidence de l'accusé, faisait amener devant lui longtemps après un prévenu qui, depuis cette époque, se serait éloigné du lieu où l'on viendrait à élever contre lui quelques suspicions 1. » De là la disposition de l'article 8, titre V, de la loi du 16-29 septembre 1791, reproduite par l'article 74 du Code du 3 brumaire an IV et par l'article 100 de notre Code. Ce dernier article porte : « Néanmoins, lorsque, après plus de deux jours depuis la date du mandat d'amener, le prévenu aura été trouvé hors de l'arrondissement de l'officier qui a délivré ce mandat, et à une distance de plus de cinq myriamètres du domicile de cet officier, ce prévenu pourra n'être pas contraint de se rendre au mandat; mais alors le procureur impérial de l'arrondissement où il aura été trouvé, et devant lequel il sera conduit, décernera un mandat de dépôt en vertu duquel il sera retenu dans la maison d'arrêt. » 1977. Ce texte donne lieu à une question importante. Il déclare que, lorsque les trois conditions qu'il énonce auront été accomplies, à savoir, lorsque le prévenu aura été trouvé: 1° hors de l'arrondissement du juge qui a décerné le mandat d'amener; 2o à une résidence de plus de cinq myriamètres du domicile de ce juge; 3o et après plus de deux jours de la date du mandat, le prévenu pourra n'être pas contraint de se rendre au mandat. Quel est le sens de ces derniers termes? En résulte-t-il que c'est seulement sur la demande du prévenu qu'il peut n'être pas contraint, ou que le dépôt provisoire dans la maison d'arrêt du licu de l'arrestation est une mesure qu'il faut considérer comme générale, sauf les cas d'exception prévus par la loi ? Il est à remarquer d'abord que l'article 8 du titre V de la loi du 16-29 septembre 1791 et l'article 74 du Code du 3 brumaire an IV portaient : Le prévenu ne pourra être contraint. N'y a-t-il pas 1 Instr. du 29 sept. 1791. lieu de présumer que notre Code, en substituant à cette formule celle-ci: Le prévenu pourra n'être pas contraint, n'a pas voulu dire la même chose? Sous l'empire des deux lois antérieures, il dépendait de la seule volonté du prévenu de se rendre ou ne pas se rendre au mandat; il avait le choix de la translation immédiate on du dépôt provisoire. Est-il permis de lire encore cette faculté dans les termes nouveaux de la loi? Dire qu'il pourra n'être pas contraint, n'est-ce pas faire dépendre la contrainte, non plus du prévenu, mais du pouvoir de l'officier qui est chargé de faire exécuter le mandat? Et cet officier n'est point, comme l'a dit M. Carnot', l'huissier, l'agent de la force publique chargé de l'exécution; c'est le procureur impérial par les ordres duquel cette exécution s'opère, et à qui il appartient de donner tous les ordres qui s'y rattachent; c'est aussi ce magistrat que le deuxième paragraphe de l'article 100 charge de décerner un mandat provisoire de dépôt, s'il décide qu'il n'y a pas lieu à une translation immédiate, car ce mandat n'a d'autre but que d'assurer l'exécution du mandat d'amener. Sans doute le prévenu a la faculté de demander à n'être pas contraint; mais sa demande n'est pas une condition essentielle de la décision du procureur impérial; car la loi n'a conféré qu'au pouvoir chargé de l'exécution des mandats l'appréciation de la nécessité de la translation. La plupart des prévenus ignorent d'ailleurs la disposition facultative de l'article 100, et s'il fallait attendre leur demande, cet article demeurerait à peu près sans application. La loi, en confiant cette application au ministère public, a voulu établir une règle générale de l'exécution du mandat d'amener; elle a voulu que l'utilité de la translation fût appréciée, soit au point de vue de l'intérêt du prévenu, soit au point de vue de l'intérêt de la justice; elle a voulu qu'une mesure aussi rigoureuse que la translation d'un prévenu qui n'a point encore été interrogé ne pût être opérée que lorsqu'elle paraît indispensable à l'instruction. L'instruction, lorsqu'elle ordonne les mesures qu'elle croit utiles à la manifestation de la vérité, ne les soumet point à l'adhésion du prévenu; elle les ordonne parce qu'elle les croit nécessaires. Il s'agit ici, non d'un acte d'instruction, mais de l'exécution de cet acte, et par conséquent la compétence du ministère public est substituée à celle du 1 Instr. crim., tom. I, p. 417. |