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constitutionnelle n'étaient que l'expression d'une même pensée; ici était le principe général, là l'application au mandat qui seul devait constituer une arrestation régulière.

Cela posé, que faut-il conclure? Nous ne nous bornerons pas à dire, comme le fait M. Mangin, qu'il n'est point interdit aux juges d'instruction d'insérer dans les mandats d'amener et de dépôt les énonciations que l'article 96 prescrit au mandat d'arrêt, que c'est une faculté qu'ils ont toujours, et que l'équité leur commande d'en user; que la loi elle-même suppose qu'ils font ces énonciations même dans le mandat d'amener, puisque l'article 100 ne pourrait être exécuté dans toute sa teneur si le mandat ne mentionnait pas le fait pour raison duquel il a été délivré. Nous irons plus loin: la jurisprudence des juges d'instruction a généralement substitué, irrégulièrement suivant nous, dans la pratique, le mandat de dépôt au mandat d'arrêt; il en résulte que le mandat de dépôt a changé de caractère, qu'il a cessé d'être un mandat provisoire, une mesure temporaire, pour devenir un mandat définitif, qu'il a pris le caractère comme la mission du mandat d'arrêt. Or, de là ne faut-il pas conclure que, dès qu'il est devenu le titre unique d'une détention, il doit contenir les énonciations prescrites par l'article 77 de la loi du 22 frimaire an VIII, et que l'article 96 n'a restreintes au mandat d'arrêt que parce que le mandat d'arrêt devait seul exercer cette fonction? Ne faut-il pas conclure que ce n'est pas là seulement une faculté pour le juge, mais une obligation formelle, puisqu'il ne lui appartient pas, même dans des vues d'économie et d'accélération de la procédure, de supprimer les garanties que la loi a voulu assurer aux personnes arrêtées?

1970. Quel est l'effet de l'inobservation, dans les mandats, des formes prescrites par la loi? Ces formes trouvent une première sanction dans l'article 112, qui est ainsi conçu : « L'inobservation des formalités prescrites pour les mandats de comparution, de dépôt, d'amener et d'arrêt sera toujours punie d'une amende de 50 francs au moins contre le greffier, et, s'il y a lieu, d'injonction au juge d'instruction et au procureur impérial, même de prise à partie s'il y échet. » Ainsi, les officiers de qui émanent les mandats sont responsables de l'observation des formes dont la loi les a revêtus, et leur négligence les expose soit à des peines de discipline, soit à la prise à partie. Mais cette responsabilité est-elle l'unique garantie de la régularité des mandats, la seule sauvegarde de l'observation de leurs formes?

Notre Code a substitué dans plusieurs circonstances, aux nullités qui étaient le vice principal du Code du 3 brumaire an IV, une sorte de pénalité qui frappe la négligence des officiers publics au lieu de frapper l'acte lui-même. Cette nouvelle règle se reproduit dans les articles 77, 112, 164, 370, etc., du Code: l'inobservation de la loi engage la responsabilité du greffier ou du juge; mais la procédure n'éprouve aucune interruption et continue de marcher. Cependant il ne faut pas croire que les pénalités prononcées contre ces officiers couvrent les irrégularités; elles ont pour but de les prévenir et non de les effacer; il n'en résulte pas, en effet, qu'un acte qui n'est pas valable à raison de l'omission d'une forme essentielle puisse le devenir. Dans les hypothèses prévues soit par l'article 372, soit par les articles 448 et suivants, l'amende prononcée contre le greffier n'est point un obstacle à ce que l'accusé fasse valoir, dans l'intérêt de sa défense, les conséquences attachées aux formalités qui n'ont pas été constatées. Il en est de même dans le cas de l'article 112. Supposez que le mandat ne soit pas signé, que le magistrat de qui il émane n'y soit pas indiqué, que la personne contre laquelle il est décerné n'y soit pas dénommée, est-ce que l'amende encourue par le greffier ou l'injonction prononcée contre le juge pourront suppléer à l'omission de ces formes essentielles? En résultera-t-il que le mandat, inexécutable en lui-même, puisse être exécuté ? Le Code d'instruction criminelle a écarté avec raison les nullités secondaires qui entravaient la marche de la procédure; peut-être a-t-il réagi avec excès contre la loi antérieure qui les avait multipliées; mais s'il n'a pas textuellement attaché la peine de nullité aux formalités qu'il a prescrites, il a laissé au juge le pouvoir d'apprécier, parmi ces formalités, celles qui sont essentielles soit à l'existence même de l'acte, soit à la protection d'un droit qu'il a voulu garantir, et celles qui, n'ayant qu'un effet secondaire, ne donnent lieu qu'à la punition de la négligence qui les a omises.

1971. Quelles sont les conditions essentielles d'un mandat? Il faut, en premier lieu, qu'il émane d'un officier compétent; car,

si le fonctionnaire est sans caractère pour le décerner, il est évident que le mandat est frappé de nullité. La Cour de cassation a jugé en conséquence: «que, lorsqu'il est établi que la qualité de la personne ou le privilège auquel la personne participe la place hors de la juridiction d'un juge, tout ce que ce juge a fait à l'égard de la personne, même dans l'ignorance de son privilége, tombe de droit et doit être refait par le magistrat compétent; qu'il suit de là que les mandats de dépôt décernés par le juge d'instruction de Toulouse contre trois des inculpés demeuraient sans effet, dès qu'il était reconnu qu'ils n'étaient pas justiciables de ce juge; que l'arrêt attaqué aurait dû annuler ces mandats au lieu de les maintenir 1. » Il faut, en deuxième lieu, que le man-dat soit revêtu de la signature du juge; car, dénué de cette signature, l'acte n'est plus qu'un projet de mandat, dépourvu de toute autorité. Il faut encore que le prévenu y soit clairement désigné: car, à défaut de cette désignation, le mandat ne peut être exécuté, puisque le prévenu peut prétendre qu'il ne s'applique pas à lui, et que les agents de la force publique, s'ils ne sont pas certains de l'identité, ne peuvent passer outre à l'arrestation. Enfin, il faut, s'il s'agit d'un mandat d'arrêt, qu'il relate les conclusions du ministère public, le fait et la loi qui le punit; car ces formes, si elles ne tiennent plus à l'existence même de l'acte, ont pour objet la protection d'un droit que la loi a voulu sauvegarder; elles sont impérieusement prescrites par les articles 94 et 96, comme des garanties de la liberté civile, et c'est à ce titre que leur omission doit vicier l'acte lui-même.

La déclaration des droits du 26 août 1789 portait, en effet, art. 7: « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. » Et ce principe, après avoir traversé toutes les constitutions, avait été reproduit dans l'article 4 de la constitution de 1848: << Nul ne peut être arrêté ni détenu que suivant les prescriptions de la loi. » Quelles sont ces formes et ces prescriptions? L'article 77 de la constitution du 22 frimaire an VIII les a nettement établies : « Pour que l'acte qui ordonne l'arrestation d'une personne puisse être exécuté, il faut, 1o qu'il exprime formellement le motif de l'arrestation et la loi en exécution de laquelle elle est ordonnée; 2o qu'il émane d'un fonctionnaire à qui la loi ait 1 Arr. cass. 5 mai 1832 (J. P., tom. XXIV, p. 1018).

donné formellement ce pouvoir; 3o qu'il soit notifié à la personne arrêtée et qu'il lui en soit laissé copie. » Cet article a été annexé à l'article 615 du Code d'instruction criminelle, et l'article 609 ajoute: «Nul gardien ne pourra, à peine d'être poursuivi et puni comme coupable de détention arbitraire, recevoir ni détenir aucune personne qu'en vertu soit d'un mandat de dépôt, soit d'un mandat d'arrêt décerné selon les formes prescrites par la loi. » Toutes ces dispositions ont pour objet de protéger la liberté civile, d'assurer aux citoyens des garanties contre une détention arbitraire, d'entourer de formes tutélaires la mesure de l'arrestation. La sanction de ces formes est dans la prescription que la loi constitutionnelle elle-même en a faite, dans l'inexécution qui frappe les actes où elles sont omises. Comment soutenir qu'elles ne sont pas essentielles à ces actes, quand elles ont pour but de protéger le droit de défense, quand elles constituent des règles de notre droit public?

Telle est aussi l'interprétation que la Cour de cassation a formellement consacrée. Les sieurs Comte et Dunoyer, mis en arrestation, avaient proposé la nullité des deux mandats d'arrêt décernés contre eux, sur le motif que le fait incriminé n'y était pas énoncé: les mandats portaient seulement qu'ils étaient prévenus des délits prévus par les articles 5, 8, 9 et 10 de la loi du 9 novembre 1815. La chambre d'accusation rejeta cette excерtion : « attendu que, le Code ne prononçant pas la nullité des mandats d'arrêt, faute d'accomplissement des formalités qu'il prescrit, les juges ne peuvent pas suppléer cette nullité. » Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté, mais par les motifs suivants : « attendu que si, d'après les articles 4 charte constitutionnelle, 77 loi du 22 frimaire an VIII, et 609 Code d'instruction criminelle, rapprochés des articles 95 et 96 de ce Code, les formalités prescrites par ces deux derniers articles pour les mandats sont substantielles à ces actes; si leur omission doit, conséquemment, en faire prononcer la nullité, quoique le Code d'instruction criminelle ne l'ait pas expressément ordonné; que, néanmoins, les mandats d'arrêt décernés contre les demandeurs sont revêtus de toutes les formes prescrites par l'article 95, et que, relativement aux énonciations exigées par l'article 96, elles s'y trouvent aussi suffisamment insérées, et autant qu'elles l'y pouvaient être d'après les circonstances et la nature de la prévention portée contre les demandeurs; - sans approuver le motif pour lequel la cour de Paris a rejeté la demande en nullité desdits mandats d'arrêt: rejette '. »

Il suit de là que les mandats qui ne sont pas accompagnés des formes essentielles prescrites par la loi peuvent être attaqués, comme toutes les ordonnances du juge d'instruction, par voie d'appel ou d'opposition: nous avons exposé précédemment les formes de ce recours, la juridiction qui doit en connaître et ses effets.

§ VI. De l'exécution des mandats.

1972. Aux termes de l'article 98 Code instruction criminelle, « les mandats d'amener, de comparution, de dépôt et d'arrêt sont exécutoires dans toute l'étendue du territoire ». Ainsi, le mandat, quelle que soit la distance qui sépare le lieu où il est décerné et le lieu où se trouve l'inculpé, doit recevoir son exécution. Telle est la règle générale; nous verrons tout à l'heure que cette règle admet quelques restrictions.

C'est au procureur impérial qu'il appartient de pourvoir à cette exécution. L'article 28 porte, en effet, que les procureurs impériaux « pourvoiront à l'envoi, à la notification et à l'exécution des ordonnances qui seront rendues par le juge d'instruction ». Ce n'est qu'au cas de flagrant délit que le juge fait exécuter luimême les actes qu'il ordonne 3.

Le procureur impérial transmet les mandats aux huissiers ou agents de la force publique, qui, aux termes de l'article 97, sont chargés de les mettre à exécution 4.

1973. L'exécution du mandat de comparution consiste uniquement dans la signification qui en est faite au prévenu: l'article 97 porte que a les mandats de comparution seront notifiés par un huissier ou par un agent de la force publique, lequel en fera l'exhibition au prévenu et lui en délivrera copie ». L'agent qui fait cette signification doit donc se retirer après l'avoir faite :

1 Arr. cass. 5 sept. 1817 (J. P., tom. XIV, p. 464).

2 Voy. suprà nos 1623 et suiv. - Conf. Legraverend, tom. I, p. 334; Carnot, tom. I, p. 404; Boitard, n. 117; Contr. Bourguignon, tom. I, p. 225; Mangin, n. 139.

3 Voy. suprà no 342.

4 Voy. les art. 71 et suiv, du règlement du 18 juin 1811.

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