Page images
PDF
EPUB

distinguer entre le mandat de comparution et les autres mandats, puisque, aux termes de l'article 91, le juge d'instruction qui a décerné le mandat de comparution doit, si le prévenu mandé fait défaut ou si le fait prend le caractère du crime, et si le prévenu ne s'est pas disculpé dans son interrogatoire, convertir ce mandat en tel autre qu'il appartiendra1». On peut ajouter, à l'appui de cette doctrine, qu'aux termes de l'article 98, les mandats de comparution sont, comme les autres mandats, exécutoires dans toute l'étendue du territoire; d'où l'on doit conclure que le législateur n'a pas entendu qu'ils pussent être délégués, car la délégation rendait inutile cette force exécutoire dans tout le pays. On objecte que, dans les cas prévus par les articles 86 et 90, des actes de juridiction sont délégués; cela est vrai, mais c'est la loi elle-même qui fait la délégation et non pas le juge. On objecte encore que c'est surtout à l'inculpé que la délégation du mandat de comparution serait utile, puisqu'elle peut le dispenser soit d'un déplacement onéreux, soit de la contrainte du mandat d'amener. Mais cet expédient se bornerait alors à recevoir les explications de l'inculpé, puisque le juge délégué ne pourrait, après l'interrogatoire, convertir le mandat de comparution en un autre mandat. Il faudrait donc que les charges fussent bien incertaines et les présomptions bien vagues, pour que le juge se bornât à un moyen qui ne lui laisserait pas même la faculté de prendre les mesures que l'interrogatoire peut motiver. Ensuite, il importe peu que la délégation soit utile, si elle n'est pas légale; or, la loi ne l'a point autorisée, parce qu'il n'appartient qu'au juge chargé de l'instruction d'apprécier les cas où il doit décerner les mandats, parce que le juge d'un autre ressort, accidentellement chargé d'accomplir un acte de l'instruction, ne présente pas les mêmes garanties d'une sage et prudente appréciation des faits et des personnes, parce que, enfin, la responsabilité ne peut remonter qu'au magistrat qui est investi de la juridiction.

§ IV. es mandats de dépôt et d'arrêt.

1962. Les mandats de comparution et d'amener n'ont, l'un et l'autre, comme on vient de se voir, qu'un seul but: c'est de faire comparaître l'inculpé devant le juge, et de lui faire subir l'interrogatoire. Cet interrogatoire accompli, leur mission est terminée, leur puissance expire.

1 Arr. ch. d'acc. Douai 24 juillet 1835 (J. du droit crim., tom. VII, p. 224). 1 Arr. cass. 4 avril 1840 (Bull., no 106).

Le juge d'instruction est donc appelé à remplir à ce moment l'un des actes les plus difficiles de ses fonctions; il doit apprécier les réponses et les explications de l'inculpé et décider s'il y a lieu de le maintenir en état de liberté ou de le placer en état de détention.

Dans le premier cas, il ne décerne aucun mandat : la contrainte qui accompagne le mandat d'amener ne peut se prolonger au delà de vingt-quatre heures; après ce délai, la détention cesserait d'être légale 1.

Dans le second cas, il décerne soit un mandat d'arrêt, soit un mandat de dépôt; or, ces mandats sont des ordres donnés à un agent de la force publique pour qu'il ait à conduire l'inculpé dans la maison d'arrêt, et au concierge de cette maison pour qu'il ait à l'y écrouer. C'est au moment de la délivrance de l'un ou l'autre de ces deux mandats que commence la détention préalable.

C'est là aussi l'un des instants les plus solennels de l'instruction. Le juge prononce sur la question de liberté ou de détention préalable. Avant la loi nouvelle, cette question s'élevait à peine; le principe qui vivait au fond du Code était la détention : la liberté provisoire n'était qu'une exception, exception timidement resserrée dans les limites les plus étroites. Aujourd'hui il n'en est plus ainsi : la loi du 14 juillet 1865 a fait de la liberté provisoire le droit commun en matière correctionnelle, elle l'a même introduite jusque dans la matière criminelle. Le juge doit donc se dégager de ses anciens errements et se pénétrer de cet esprit nouveau. Le seul titre de la détention préalable, nous l'avons dit et le législateur l'a répété, est sa nécessité: il n'y a lieu de l'appliquer désormais que si elle est indispensable soit à la sûreté publique, soit à l'instruction. Le devoir du juge, puisque la loi l'a investi d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, est de peser ces graves intérêts, d'examiner s'ils sont compromis par la liberté de l'inculpé, d'apprécier avec prudence et modération les garanties que celui-ci présente et de ne délivrer le mandat de dépôt ou d'arrêt que s'il croit dans sa conscience qu'il est nécessaire.

2 Cod. d'instr. crim., art. 94, 107 et 110.

1963. Il convient de rappeler en outre deux règles générales que le juge d'instruction ne doit jamais perdre de vue lorsqu'il ordonne cette détention.

La première est que les mandats de dépôt ou d'arrêt ne doivent point, en général, être décernés avant que l'inculpé ait été interrogé. C'est là l'une des garanties les plus importantes que le Code ait assurées à la défense, et cette garantie, il faut le dire, est une institution nouvelle. Dans notre ancien droit, le décret de prise de corps, rendu sur le vu des charges et informations, précédait l'interrogatoire; le prévenu était d'abord constitué prisonnier. L'article 1er du titre XIV de l'ordonnance de 1670 portait : « Les prisonniers pour crimes seront interrogés incessamment, et les interrogatoires commencés au plus tard dans les vingtquatre heures après leur emprisonnement. » Les articles 93 et 94 du Code d'instruction criminelle ont renversé l'ordre de ces deux formes: les mandats de comparution et d'amener doivent précéder dans tous les cas les mandats de dépôt et d'arrêt; leur objet unique est l'interrogatoire de l'inculpé, et ce n'est qu'après cet interrogatoire que l'article 94 permet au juge d'instruction de décerner le mandat d'arrêt. A la vérité, cet article ne fait aucune mention du mandat de dépôt, et de là on a voulu inférer que ce mandat pouvait être décerné sans un interrogatoire préalable '. Aucune disposition de la loi n'autorise une telle induction : le Code, ainsi qu'on le verra tout à l'heure, a admis le mandat de dépôt sans régler avec assez de précision ses formes et son application. Mais cette lacune, regrettable à d'autres égards, ne suffit pas pour faire supposer que la condition de l'interrogatoire préalable doive être effacée en ce qui concerne ce mandat. Comment admettre, en effet, quand ces deux mandats ont le même but et le même résultat, l'incarcération de l'inculpé, que l'un doive être nécessairement précédé des explications de cet inculpé, et que l'autre puisse s'en passer? Comment admettre qu'après avoir posé une règle aussi importante, la loi ait admis un moyen de la détruire incessamment ? Il ne s'agit point ici d'une forme qui, comme le réquisitoire du ministère public et les énonciations du mandat, ajoute à la solennité et aux garanties du mandat; il s'agit d'une condition de la détention préalable en général, d'une règle qui, par conséquent, est indépendante de la forme des 1 Boitard, n. 113.

mandats et s'applique au fait même de l'incarcération. La loi a voulu que l'inculpė pût, avant toute incarcération, fournir ses explications sur les charges qui pèsent sur lui et faire valoir ses moyens de défense. Ce n'est qu'après l'avoir entendu, après avoir examiné ses réponses et ses déclarations, que le juge doit prononcer, s'il y a lieu, la mise en détention.

Cette règle admet toutefois une exception pour les cas où l'inculpė se serait soustrait par la fuite à l'exécution du mandat d'amener. L'interrogatoire étant devenu impossible par le fait même de cet inculpé, il y est suppléé par la mise en demeure résultant de la signification du mandat. La cour de cassation a jugé dans ce sens « qu'un prévenu qui s'est dérobé au mandat d'amener qui avait pour objet de l'entendre est nécessairement assimilé au prévenu qui a subi interrogatoire, mais qui n'a pas détruit les charges que l'instruction présentait contre lui; que, relativement à l'un comme à l'autre, le juge d'instruction est autorisé à décerner un mandat d'arrêt; que si le Code d'instruction criminelle ne lui en a pas imposé formellement l'obligation, c'est qu'il a abandonné à sa conscience l'appréciation des charges et des circonstances d'après lesquelles il devait en exercer le droit 1. "

1964. La deuxième règle est que le mandat de dépôt ou d'arrêt doit être précédé non-seulement de l'interrogatoire de l'inculpė, mais d'un commencement d'information. Nous avons déjà essayé d'établir, dans le paragraphe précédent, que la condition de la délivrance de toute espèce de mandat est l'existence d'indices graves contre l'inculpé. Ces indices doivent être établis avec un certain degré de vraisemblance pour qu'il y ait lieu à la conversion du premier mandat en mandat d'arrestation. C'est un jugement provisoire que rend le juge, et ce jugement doit être fondé sur des présomptions sérieuses, puisqu'il place le prévenu en état de détention. Il faut donc que les premiers indices aient été confirmés par quelques témoignages; il faut surtout que ces témoignages n'aient été ni détruits ni ébranlés par les explications du prévenu. La circulaire du ministre de la justice, du 10 février 1819, constatait cette règle en ces termes : « Il est sans doute superflu de rappeler que la délivrance des mandats 1 Arr. cass. 4 août 1820 (J. P., tom. XVI, p. 90).

[ocr errors]

de dépôt ou des mandats d'arrêt, qui sont soumis d'ailleurs à des formalités spéciales, doit toujours être précédée de l'interrogatoire des prévenus et même, le plus souvent, d'un commencement d'information. Mais, en retraçant des règles tutélaires, qui ne doivent pas rester oubliées dans le Code d'instruction criminelle, il est utile d'ajouter que la circonspection des magistrats doit aussi être pour tous les citoyens une sauvegarde et une garantie de plus contre dés soupçons trop légèrement conçus ou des désignations indiscrètes qui compromettraient mal à propos la liberté individuelle. »

Ce n'est que par une stricte application de cette règle que la Cour de cassation a dû déclarer, én maintenant le droit du juge d'instruction, « que les dispositions de l'article 94 sont facultatives; qu'elles n'imposent pas au juge d'instruction l'obligation de décerner un mandat d'arrêt contre le prévenu, même lorsque le fait est de nature à entraîner une peine afflictive ou infamante ; que l'appréciation des charges et des circonstances d'après lesquelles il doit se déterminer à user du pouvoir qui lui a été confié par la loi est abandonnée à ses lumières et à sa conscience; qu'au surplus, il n'est pas dispensé pour cela de rendre compte de l'affaire dont l'instruction lui est dévolue, et que, dans ce cas, l'objet du mandat d'arrêt peut être rémpli par l'ordonnance de prise de corps qui serait rendue par la chambre du conseil 1

[ocr errors]

Il importe de remarquer d'ailleurs que si le juge d'instruction n'a pas cru devoir, après l'interrogatoire de l'inculpé, décerner contre lui un mandat de dépôt ou d'arrêt, il peut le décérner ultérieurement, si l'instruction révèle de nouvelles charges, sans qu'il soit indispensable de procéder à un second interrogatoire. L'article 94, qui veut que le prévenu ait été entendu, n'exige point que cette audition précède immédiatement le mandat. Il peut arriver que les explications, qui ont paru d'abord satisfaisantes, soient reconnues inexactes après qu'elles ont été vérifiées, et un nouvel interrogatoire n'aurait aucun objet 1.

1965. Le juge d'instruction, lorsqu'il lui paraît que la détention préalable est nécessaire, trouve dans la loi deux mandats par lesquels il pent l'opérer : le mandat de dépôt et le mandat d'ar

1 Arr. cass. 7 avril 1837 (Bull., no 107).

2 Conf. Mangin, n. 145.

4

« PreviousContinue »