1570. Le Code du 3 brumaire an IV, quoiqu'il ait continué cette division du pouvoir inquisitorial entre le juge de paix et le directeur du jury, tendit néanmoins à fortifier les attributions de ce dernier et à les accroître aux dépens du juge de paix. Ainsi, le directeur du jury, placé parmi les officiers de police judiciaire, avait en cette qualité le droit exclusif de poursuivre les délits contre la sûreté publique et les délits de faux, de banqueroute frauduleuse, concussion, péculat, vol de commis et d'associés en matière de commerce (art. 140 et 141). Il avait la surveillance des commissaires de police, des officiers de gendarmerie et des juges de paix; il les avertissait, les réprimandait et les dénonçait à l'accusateur public (art. 149). Il avait l'administration de la justice en tout ce qui concernait le grand criminel (art. 150). Il provoquait le juge de paix qui avait le droit de poursuite, et poursuivait lui-même d'office dans les cas qui lui étaient réservés; dans les autres cas, il interrogeait le prévenu dans les vingtquatre heures de son arrivée à la maison d'arrêt et faisait tenir note de ses réponses (art. 216). II prenait lecture des pièces et examinait si les formes prescrites par la loi, pour la validité du mandat d'arrêt, avaient été remplies, et, en cas de nullité, il pouvait soit en décerner un nouveau, soit mettre le prévenu en liberté (art. 217). Il statuait seul et par une ordonnance sur la compétence (art. 218, 219 et 220). Il entendait les nouveaux témoins et complétait l'instruction écrite (art. 225). Enfin il dressait l'acte d'accusation, convoquait le jury qui devait statuer sur la mise en accusation et lui faisait verbalement l'exposé de la procédure (art. 237 et 238). Ces dispositions ne font qu'appliquer avec plus de précision et de clarté la théorie de l'Assemblée constituante : c'est le même mode d'instruction, le même partage d'attributions. Néanmoins, aux modifications que le législateur apporte déjà à ce système, on peut apercevoir qu'il craint son inefficacité, qu'il cherche à fortifier l'autorité judiciaire en étendant les attributions du juge qui dirige le jury d'accusation, qu'il s'efforce de donner plus de puissance à l'instruction écrite en la plaçant dans les cas les plus graves aux mains de ce magistrat. A mesure que l'autorité centrale va s'affermir, nous allons voir l'instruction écrite se développer et reprendre dans la législation, dans les limites de la procédure préalable, la place qu'elle occupait autrefois. 1571. La loi du 7 pluviose an IX fit un pas immense dans celte voie (voy. no 450). Après avoir séparé, avec peu de discernement d'ailleurs, les actes de la poursuite et les actes de l'instruction; après avoir attribué aux substituts du commissaire du gouvernement des actes qui appartenaient à l'instruction plutôt qu'à la poursuite, cette loi reprend la procédure écrite et lui imprime une énergie nouvelle. Les juges de paix, dans ce nouveau système, simples officiers de police judiciaire, ne participent plus aux actes de l'instruction; cette instruction est concentrée tout entière, sauf les empiétements des substituts ou magistrats de sûreté, entre les mains du juge qui faisait fonctions de directeur du jury. Ce magistrat se transportait sur les lieux, ordonnait toutes les mesures nécessaires à l'instruction, recommençait les actes de procédure accomplis par les officiers de police judiciaire, interrogeait le prévenu avant qu'il eût communication des charges, entendait tous les témoins séparément et secrètement, et dressait des procèsverbaux de toutes ces opérations. Quand il trouvait l'affaire suffisamment instruite, il la communiquait aux magistrats de sûreté, et, après avoir pris ses conclusions, rendait une ordonnance soit pour mettre le prévenu en liberté, soit pour le renvoyer devant le tribunal de police, le tribunal correctionnel ou le jury d'accusation. Si l'ordonnance n'était pas conforme aux réquisitions, elle était soumise au tribunal de l'arrondissement. Si le prévenu était renvoyé devant le jury d'accusation, le directeur du jury dressait l'acte d'accusation, et le jury statuait sur la procédure écrite et sans débat. Dans cette législation transitoire, toute l'instruction préalable était écrite et secrète, et le juge avait des pouvoirs non moins étendus que ceux de l'ancien lieutenant criminel. Ainsi, après quelques années seulement, la loi, revenant sur elle-même, reprenait une institution qu'elle avait délaissée. Ainsi l'instruction préalable, un moment scindée en deux parties et recueillie tantôt par écrit devant le juge de paix et le directeur du jury, tantôt oralement devant le jury d'accusation, retrouvait les formes et les règles que les anciennes ordonnances avaient établies. § III. Institution des juges d'instruction. 1572. Le projet du Code d'instruction criminelle restituait au directeur du jury le véritable titre de ses fonctions, celui de juge d'instruction; mais il laissait subsister le magistrat de sûreté avec ses attributions usurpées en partie sur celles du juge'. A la séance du conseil d'État du 21 fructidor an XII, M. Cambacérès émit l'avis de supprimer le magistrat de sûreté et de transporter ses fonctions au procureur impérial. M. Berlier objecta que le magistrat de sûreté était le centre de la police judiciaire, comme le procureur impérial celui de l'action publique, et qu'il y avait des dangers à confier au même magistrat deux fonctions aussi différentes. La question fut renvoyée à l'examen de la section. A la séance du 15 brumaire an XIII, la section annonce qu'elle a adopté la réunion des fonctions de magistrat de sûreté à celles de procureur impérial. Le magistrat de sûreté n'est plus, dans ce nouveau système, qu'un substitut de procureur impérial, un membre du ministère public. Ce point acquis, la question des attributions respectives du juge d'instruction et du ministère public se présentait avec toutes ses difficultés, mais aussi sous l'influence des règles qui l'avaient résolue dans notre ancienne jurisprudence. A la suite d'une discussion, quelquefois diffuse et souvent lumineuse, abandonnée et reprise à différentes fois, et dont nous avons précédemment analysé tous les éléments (no 459 et 460), ces règles prévalurent: l'institution du ministère public et celle du juge d'instruction furent rétablies sur les mêmes fondements que dans notre ancien droit; le ministère public, chargé de la police judiciaire et de l'action publique, reprend le titre et les fonctions de l'ancienne partie publique; il est armé, en conséquence, du droit de requérir, au nom de la société, l'instruction des affaires criminelles; mais cette instruction n'appartient qu'au juge, qui n'est point partie dans la poursuite et qui seul peut procéder avec impartialité. Ce n'est que dans les cas de flagrant délit que, par une attribution extraordinaire et exceptionnelle, les officiers du ministère public peuvent procéder sommairement à des actes d'instruction. (Voy. no 1500 et suiv.) 1 Locré, tom. XXIV, p. 150, 165. 2 Locré, tom. XXIV, p. 152. L'article 42 de la loi du 20 avril 1810 dispose, en conséquence : « Les directeurs du jury et les magistrats de sûreté sont supprimés. Leurs fonctions seront remplies, conformément au Code d'instruction criminelle, par les juges d'instruction et par le procureur impérial ou son substitut. » Nous avons déjà vu quelles sont les fonctions que le Code attribue au ministère public; nous examinerons plus loin celles qu'il réserve au juge d'instruction. Il faut nous occuper maintenant de l'institution de ce juge. 1573. L'article 55 du Code d'instruction criminelle porte : « Il y aura dans chaque arrondissement communal un juge d'instruction. » Le projet du Code proposait d'adjoindre à chaque tribunal un nouveau juge qui serait chargé de l'instruction. M. Cambacérès demanda s'il était bien nécessaire d'instituer ces nouveaux juges, et s'il n'était pas préférable de donner les fonctions de juge instructeur à l'un des membres du tribunal de l'arrondissement, sauf à déroger à cette règle dans les grandes villes où plus d'un juge d'instruction est nécessaire. Cette proposition fut adoptée '. L'article 55 ajoute en conséquence : « Il sera nommé pour trois ans par décret impérial; il pourra être continué plus longtemps et il conservera séance au jugement des affaires civiles, suivant le rang de sa réception. » Un décret du 1er mars 1852 a étendu la faculté de ce choix aux juges suppléants près les tribunaux de première instance*. Mais ce n'est plus là qu'une exception, ainsi 1 Séance du 24 fructidor an XII. Locré, tom. XXIV, p. 181. 2 Voici le texte de ce décret: Vu l'art. 55 du C. d'inst. crim.; - Considérant que les dispositions de cet article, qui permet de choisir le juge d'instruction parmi les juges du tribunal civil, excitent depuis longtemps de vives réclamations; qu'il se rencontre trop souvent que, sur un personnel aussi réduit que celui des tribunaux de 1re instance, les fonctions de juge d'instruction sont nécessairement confiées à des magistrats qui ne réunissent pas toutes les qualités spéciales pour une mission si délicate par sa nature, si importante par son objet et dont l'accomplissement réclame un dévouement éprouvé; qu'à ses qualités morales un juge d'instruction doit ajouter des conditions d'activité physique, indispensables surtout dans les pays d'un accès difficile ou dans les arrondissements très-étendus; qu'en conférant les fonctions de juge d'instruction, suivant la nécessité du service, soit à un juge titulaire, soit à l'un des juges suppléants au même tribunal, le concours s'établira sur un plus grand nombre et les magistrats appelés à remplir ces fonctions offriront à un plus haut degré les garanties que l'attestent les termes de l'article 56, modifié par la loi du 17 juillet 1856 : « Les juges d'instruction seront pris parmi les juges tutélaires; ils pourront aussi être pris parmi les juges suppléants. » Il suit de là: 1o Que le juge d'instruction doit réunir toutes les conditions de capacité auxquelles sont soumis les juges, et par conséquent être âgé de vingt-cinq ans accomplis'; 2o Qu'il n'est pas assujetti à prêter un nouveau serment lorsqu'il est appelé à ces fonctions, puisqu'elles ne sont qu'un démembrement de ses fonctions de juge. Ce point a été jugé par un arrêt de la Cour de cassation portant : « Que le serment que la loi exige du magistrat embrasse indistinctement toutes les fonctions inhérentes à sa qualité, même celles qui ne sont que temporaires et pour lesquelles il faut un choix ou une délégation particulière; d'où la conséquence que le magistrat élu pour l'exercice de ces dernières n'est pas tenu de prêter un nouveau serment; que les fonctions de juge d'instruction rentrent essentiellement dans celles inhérentes à la qualité de juge du tribunal civil *. » 2 En principe général, aux termes de l'article 55, un seul juge est désigné dans chaque tribunal pour faire le service de l'instruction dans l'arrondissement. Cette règle reçoit exception à l'égard des grands centres de population. L'article 55 ajoute, en effet : « Il pourra être établi plusieurs juges d'instruction dans les arrondissements où les besoins du service l'exigeront. >>> Et le 2o § de l'art. 56 permet l'adjonction temporaire, par décret impérial, d'un juge suppléant. L'article 11 du décret du 18 août 1810 avait réglé l'exécution de ces deux articles en ces termes : « Il y aura un juge d'instruction près chaque tribunal de première instance composé d'une ou de deux chambres. Il y en aura deux près les tribunaux divisés en trois chambres. Il y en aura six à Paris. » Le nombre des juges d'instruction de Paris a été successivement élevé à douze par la loi du 31 juillet 1821, à seize par l'adjonction de quatre suppléants prescrite par les ordonnances des 19 mai 1825 et 13 juillet 1837, à vingt par la loi du 23 avril 1841. que réclame une bonne administration de la justice: - Art. 1er. A l'avenir, les fonctions de juge d'instruction pourront être conférées aux juges suppléants des tribunaux de première instance. » 1 L. 20 avril 1818, art. 64. 2 Cass. 6 mai 1829 (Sir., 29, 1. 451. Dall., p. 236.) |