l'arrestation. Il faut donc considérer la disposition de cet article comme une règle générale qui s'étend à la délivrance de tous les mandats. Cette règle est dictée par la justice mème. C'est, en effet, une chose grave que de décerner un mandat contre un citoyen; c'est inculper son honneur, c'est entacher aux yeux de ses concitoyens la considération qui l'environne, c'est le placer sous le poids d'une prévention. Il est donc juste qu'un tel acte n'intervienne que lorsque les indices et les probabilités qui s'élèvent contre lui sont considérables 1. Sous l'ordonnance de 1670, les décrets étaient des jugements préparatoires rendus après l'information accomplie et sur le vu des charges. Les mandats ont le même caractère; ils ne doivent pas précéder les premiers actes de l'instruction, ils en sont la conséquence; ils doivent être délibérés par le juge en présence des indices qu'il a recueillis. Ces indices sont la cause impulsive et la justification de l'ordonnance. S'ils n'existaient pas, cette ordonnance, dénuée de motifs, ne serait plus qu'un acte arbitraire. 1954. Que doit-on entendre par indices graves? Dans notre ancienne jurisprudence, on distinguait trois sortes d'indices : 1o les indices violents ou nécessaires; 2o les indices graves ou prochains; 3o les indices légers ou éloignés. Les premiers étaient ceux qui frappent tellement l'esprit et la conscience du juge qu'ils l'obligent à juger conformément à l'impression que ces indices lui laissent. Les indices graves étaient ceux qui forment dans l'esprit du juge une preuve ou présomption considérable. Les indices légers étaient ceux qui forment simplement une conjecture ou présomption légère. Il y a lieu de penser que les rédacteurs du Code, qui avaient sous les yeux toute la doctrine de nos anciens légistes, ont voulu donner aux mots indices graves la même valeur qu'ils avaient autrefois; que cette expression ne s'applique par conséquent ni aux indices violents, qui faisaient preuve entière, quoique imparfaite, du faif, ni aux indices légers, qui ne formaient qu'une conjecture; mais qu'elle désigne les indices qui forment dans l'esprit du juge une preuve ou une présomption considérable. Cette interprétation est confirmée par l'étude attentive de la loi. Il y a lieu de remarquer d'une part, en effet, que le mot preuves qui se trouvait dans la première rédaction de l'article 40, soumise à la délibération du 24 fructidor an XII, a disparu dans la rédaction définitive; il faut donc en induire que, puisque le législateur, en maintenant la condition des indices graves, a effacé celle des preuves, c'est qu'il a distingué ces deux classes de faits, c'est qu'il n'a pas admis que les indices graves eussent la même force que les preuves. D'un autre côté, l'article 40 déclare que « la dénonciation seule ne constitue pas une présomption suffisante». Or, cette dénonciation est un indice qui dans l'ancienne jurisprudence était au contraire suffisant pour informer et décréter contre l'accusé 1. Il faut donc en conclure qu'un indice léger, une simple conjecture, un vague soupçon seraient des éléments insuffisants; si la loi n'a pas voulu des preuves, elle a exigé des indices graves. 1 Schenck, tom. II, p. 76. 2 Farinacius, quæst. 36, n. 59 et 509. Un membre du conseil d'État a dit, dans la délibération qui a été rapportée plus haut : « Lorsqu'il existe un corps de délit ou que l'individu désigné est perdu dans l'opinion publique, il y a plus qu'une simple plainte. » Un autre membre a dit encore : « Quand un honnête homme dénonce un homme suspect, il y aura présomption suffisante. » Ces propositions sont-elles exactes, et faut-il les admettre comme des règles? Rappelons d'abord que les deux amendements que ces deux membres appuyaient, dans le sein du conseil, ne sont point entrés dans la loi, et que, par conséquent, il n'y a pas lieu de considérer ces paroles comme des motifs du Code, mais comme des opinions qu'il est permis d'examiner. Cela dit, si la dénonciation seule ne constitue pas une présomption suffisante contre l'inculpé domicilié, comment cette présomption devient-elle suffisante parce qu'elle s'appuie sur un corps de délit? Le corps de délit prouve que le plaignant est fondé à se plaindre, il ne prouve pas qu'il soit fondé à se plaindre de l'inculpé: c'est un indice à l'appui de la plainte, се n'est pas un indice contre l'inculpé; la plainte, insuffisante contre celui-ci, ne change pas de nature parce qu'il est certain que le délit désavoué a été commis; cette constatation n'ajoute rien à la déclaration du plaignant contre l'inculpé, et la loi n'a pas voulu que, sur cette seule déclaration, le mandat fût décerné. La même solution doit s'appliquer à l'indice résultant de la mauvaise répu1 Farinacius, quæst. 46, n. 18. tation de l'inculpé. Cet indice est, à la vérité, personnel à celui-ci ; mais, s'il se rattache à sa personne, il est étranger au fait incriminé. Est-ce bien là un indice? Ne faut-il pas que la circonstance qui constitue l'indice établisse une relation quelconque entre le fait et l'agent? Si cette relation n'existe pas, comment induire une conséquence directe ou indirecte de la circonstance à l'action elle-même? Les antécédents et la mauvaise renommée d'un individu peuvent conduire à des conjectures, à des soupçons; mais ce seul fait, isolé de tout rapport avec le délit, n'est point en luimême un élément indicateur, un indice; il révèle que cet agent serait capable de commettre un délit, mais non pas qu'il l'ait commis. Il est évident, au surplus, que les règles qui viennent d'ètre exposées, et que nous avons cru devoir formuler en thèse générale, ne s'appliquent pas avec la même force à la délivrance de tous les mandats; que les conditions de cette délivrance, en effet, ne doivent pas être tout à fait les mêmes lorsqu'ils ont pour objet d'appeler simplement l'inculpé pour l'interroger ou d'ordonner son arrestation; qu'il y a lieu de demander aux indices une gravité plus grande à mesure que le mandat est plus acerbe et produit une blessure plus profonde, plus grande par conséquent pour le mandat d'amener que pour le mandat de comparution, plus grande encore pour les mandats de dépôt et d'arrêt que pour le mandat d'amener; car il est clair que plus les effets de l'acte ont d'importance, plus les garanties qui l'entourent doivent être efficaces. Nous allons développer cette distinction en recherchant les caractères et les effets distinctifs des quatre mandats établis par la loi. * § III. Du mandat de comparution et du mandat d'amener. 1955. Le mandat de comparution et le mandat d'amener ont le même but : c'est de faire comparaître l'inculpé devant le juge d'instruction et de lui faire subir l'interrogatoire; mais ces deux mandats diffèrent et par leur forme, et par le mode employé pour leur exécution. Le mandat de comparution n'est qu'une simple assignation par laquelle le juge appelle l'inculpé à venir lui donner des explications sur les imputations qui planent sur lui; ce mandat ne revêt aucune forme extérieure; il n'emploie aucune contrainte, aucune force coercitive. Le refus d'y obtempérer n'entraîne que l'emploi du mandat d'amener. Ce dernier mandat, au contraire, est un ordre formel de comparaître : signifié par l'officier qui est chargé de le faire exécuter, il commande une obéissance immédiate. Si l'inculpé refuse cette obéissance, ou si, après avoir déclaré qu'il est prêt à obéir, il tente de s'évader, il doit être contraint; le porteur du mandat emploie au besoin la force publique pour assurer son exécution1. Il suit de là que l'emploi de l'un ou de l'autre de ces deux mandats a une grande importance en ce qui concerne l'inculpé : le premier, étant exécuté sans éclat, sans appareil, sans l'assistance d'aucun agent de la force publique, ne fait naître contre lui aucune opinion fâcheuse; averti par cet appel, il peut réfléchir et préparer ses moyens de défense. L'autre, étant publiquement exécuté par un officier ou par un agent de la force publique, constate ouvertement le fait de la prévention et ne lui laisse, par son exécution immédiate, aucun délai pour rassembler ses moyens justificatifs. Il a donc un intérêt évident à ce que l'un de ces actes soit, plutôt que l'autre, employé à l'appeler devant le juge d'instruction. Cela posé, dans quels cas la loi permet-elle le mandat de comparution? Dans quels cas exige-t-elle le mandat d'amener? 1956. Si le fait qui donne lieu à la poursuite, quoique qualifié délit par la loi, n'est passible que d'une peine pécuniaire, le juge ne doit décerner qu'un mandat de comparution. Telle était la disposition formelle de l'article 69 du Code du 3 brumaire an IV, et cette disposition se trouve implicitement maintenue par l'article 131 du Code d'instruction criminelle, qui porte que « si le délit ne doit pas entraîner la peine de l'emprisonnement, le prévenu sera mis en liberté, à la charge de se présenter à jour fixe devant le tribunal compétent ». Il suffit que la peine dont l'inculpé peut être frappé, au cas qu'il soit condamné, ne menace pas sa liberté, pour qu'il ne doive point y être porté atteinte dans le cours de l'instruction. Il n'y a d'exception à cette règle que dans le cas où l'inculpé fait défaut : le juge peut alors décerner le mandat d'amener, sauf à le mettre en liberté, conformément à l'article 131, immédiatement après l'avoir entendu. 1 Cod. instr. cr., art. 91, 97 et 99. 1957. Si le délit est passible de la peine d'emprisonnement, il y a lieu, d'abord, de distinguer si le maximum de cette peine est inférieur ou supérieur à deux ans et si le prévenu est ou n'est pas domicilié. Dans le premier cas, c'est-à-dire si le maximum est inférieur à deux ans et si le prévenu est domicilié, le mandat de comparution est, sauf quelques exceptions, en quelque sorte de droit. A la vérité, le juge, armé par la loi d'un pouvoir discrétionnaire, peut, dans cette hypothèse même, décerner le mandat d'amener; mais le pouvoir discrétionnaire, qui n'est pas un pouvoir arbitraire, admet certaines règles qui en dirigent l'exercice. Or l'une de ces règles résulte du 2a paragraphe de l'article 113, modifié par la loi du 14 juillet 1865. Ce paragraphe porte que : « en matière correctionnelle la mise en liberté sera de droit cinq jours après l'interrogatoire, en faveur du prévenu domicilié, quand le maximum de la peine prononcée par la loi sera inférieur à deux ans d'emprisonnement. » Puisque le prévenu détenu est, dans le cas prévu par cet article, de droit mis en liberté cinq jours après l'interrogatoire, puisque à son égard la liberté provisoire est le droit, il faut conclure nécessairement qu'on ne doit employer à son égard que le mandat de comparution, car il serait contradictoire, quand la loi ordonne son élargissement presque immédiatement après son interrogatoire, de le placer en état de détention avant même cet interrogatoire. On doit ajouter que les délits passibles d'une peine d'emprisonnement dont le maximum n'excède pas deux ans sont d'une gravité secondaire, qu'il n'est pas probable que l'inculpé, pour se dérober au jugement, quittera son domicile, c'est-à-dire sa famille, son établissement, son industrie, enfin qu'il serait trop rigoureux d'employer les voies les plus acerbes de la procédure dans des cas qui n'exigent pas cet emploi. L'article 113 fait une exception en ce qui concerne les individus en état de récidive. Le juge, lorsqu'il est appelé à décerner un mandat, peut assurément faire une exception analogue lorsqu'il se trouve en face d'un repris de justice ou d'un individu qui, quoique domicilié, ne présente aucune garantie morale. Mais, en dehors de ces exceptions, il doit accepter une règle qui, quoiqu'elle ne soit pas écrite dans la loi, est conforme à son esprit. |