pareille confession est la plus complète des preuves qu'on puisse avoir en matière criminelle, et elle doit former une conviction parfaite dans l'esprit du juge1.» Le juge était donc tenu d'y conformer sa sentence. 1936. Notre législation moderne a conservé à l'aveu toute la force probante qui lui est propre, mais elle a abandonné l'appréciation de sa valeur morale au juge. C'est un moyen de conviction. S'il l'opère, il a toute la valeur d'une preuve, mais aucun effet n'y est nécessairement attachée; comme tous les moyens de preuve, il est livré à l'examen judiciaire qui l'étudie, en recherche les causes, en pèse les termes et lui accorde ou lui refuse sa confiance. Telle est la conséquence du principe de la preuve morale posé par l'article 342 du Code d'instruction criminelle: les conséquences légales attachées à l'aveu de l'inculpé sont effacées; mais rien ne s'oppose à ce que le juge le prenne pour en faire le fondement de sa conviction. On ne saurait nier, en effet, que l'aveu ne soit un moyen de preuve. Quand un homme avoue qu'il est l'auteur d'une action immorale, cette déclaration emporte avec elle la présomption qu'il dit vrai, car il n'est point dans la nature humaine de subir volontairement l'imputation d'un fait honteux, lorsque cette imputation est mensongère. La loi morale, qui régit l'humanité, en même temps qu'elle nous porte à aimer les actes qui sont conformes à ses préceptes, nous conduit à haïr et par conséquent à céler nos propres actes, quand nous pensons qu'elle les flétrit; nous savons d'ailleurs qu'ils nous attireraient le blame et l'animadversion des autres hommes, et nous tenons à leur estime. L'aveu d'un de ces actes commande donc quelque confiance, par cela seul qu'il n'y a pas lieu de présumer que celui qui a fait cet aveu ait commis un mensonge pour s'avilir aux yeux d'autrui. II lui a fallu même un effort pour surmonter la répugnance instinctive qu'il avait à parler. Où a-t-il puisé la force nécessaire pour se vaincre lui-même? Il l'a puisée dans l'inspiration secrète de la conscience et dans l'amour inné de la vérité, double rayon qui luit encore dans son âme, quoiqu'il ait cherché à l'obscurcir. C'est en proie au trouble qui le domine, aux reproches qui l'agitent, que, cédant au cri du remords ou à un besoin impérieux de 1 Tom. I, p. 673. vérité, il fait l'aveu de sa faute, et il semble que cet aven lui rende la paix qu'il avait perdue, soit que, par une mystérieuse expiation, la peine publique qu'il s'impose efface peu à peu son crime, soit que la vérité ait en elle-même une telle puissance qu'elle allège et soulage les souffrances que l'on accepte pour elle. Tel est le motif qui explique la présomption favorable qui s'attache à l'aveu. Mais ce n'est qu'une présomption, et la maxime nemo auditur perire volens aut propriam turpitudinem allegans résume les doutes qui peuvent l'ébranler. N'est-il pas possible qu'un intérêt plus puissant que le mal matériel auquel il s'expose pousse un agent à faire une déclaration mensongère? que cet agent s'accuse lui-même, soit par suite d'un dérangement d'esprit, soit pour recueillir certains bénéfices éventuels, soit pour préserver un tiers, soit enfin pour se dérober à une poursuite plus grave1? L'aveu n'apporte donc pas dans tous les cas une certitude complète du fait avoué. De là les règles de l'ancienne jurisprudence qui pesaient les termes, les circonstances et les causes de l'aveu, et ne lui accordaient une valeur entière qu'après avoir vérifié s'il avait rempli toutes les conditions qu'elles lui imposaient. Cette doctrine avait-elle réussi à faire de ce témoignage de l'inculpé contre lui-même un moyen certain de conviction? fortifié par les épreuves auxquelles il était soumis, était-il devenu une base si sûre de la vérité, qu'il avait dû prendre rang parmi les preuves légales? Il faut reconnaître que les sages entraves que la doctrine des légistes avait posées à son admission comme preuve enlevaient à l'aveu la plus grande part de ses périls: quand il est constaté que l'inculpé est sain d'esprit, qu'il n'a aucun intérêt à faire une déclaration mensongère, que les faits qu'il déclare concordent avec les faits recueillis par l'instruction, enfin qu'il n'a parlé sous l'empire d'aucune suggestion, d'aucune influence étrangère, n'y a-t-il pas lieu d'accorder à ses aveux une foi entière? Quel est le témoignage qui vaille celui de l'auteur même du fait incriminė? S'il parle dans sa propre cause, ne parle-t-il pas contre ses intérêts? Le seul point qui, dans ce système, provoque une critique fondée, c'est le caractère de preuve légale que l'aveu, dûment vérifié, avait assumé, c'est la nécessité qui pesait sur le juge d'y ajouter 1 L. 23, § 1, Dig., ad leg. Aquil.; 1. 56, Dig., De re judic. foi, c'est le lien qui enchaînait sa conviction. Or, c'est là aussi ce que notre législation nouvelle a complétement effacé: l'aveu n'a pas cessé d'être un moyen de preuve; mais ce moyen, offert à la conviction du juge, ne le lie plus. Toutes les conditions de la validité de l'aveu, que la jurisprudence avait établies et que nous avons sommairement indiquées, peuvent encore être invoquées avec fruit; car elles présentent au juge le moyen d'apprécier la valeur véritable de cette preuve; mais, lors même qu'il réunit toutes ces conditions, il dépend maintenant du juge de lui accorder ou de lui refuser sa confiance; l'aveu ne constitue plus une preuve légale; il ne constitue qu'un moyen de preuve '. 1937. Le Code d'instruction criminelle n'a fait aucune mention de ce moyen de preuve. Il ne faut point induire de son silence à cet égard qu'il n'ait point voulu s'en servir. L'article 342, en donnant pour seule base des jugements la conviction intime du juge, a nécessairement admis tous les éléments qui peuvent opérer cette conviction, et par conséquent les aveux et déclarations de l'accusé. Le principe de la preuve morale n'impose aucun élément de conviction, mais n'en exclut aucun. D'ailleurs, les articles 91, 153, 190 et 293 qui ont placé l'interrogatoire au nombre des moyens d'instruction, ont par là même voulu que l'aveu, que l'interrogatoire poursuit et provoque, devînt l'une des preuves des crimes et des délits. Il y a plus: serait-il au pouvoir du législateur d'enlever à un fait tel que l'aveu ses conséquences morales son caractère probant? Pourrait-il effacer dans l'esprit du juge l'influence qu'il y aurait laissée, l'effet qu'il y aurait produit, à moins qu'il ne rétablit le système des preuves légales et qu'il ne l'obligeât à rendre compte des moyens qui ont opéré sa conviction? L'aveu étant un élément de la certitude, il appartient nécessairement à tous les juges, aux juges correctionnels comme aux juges criminels, de l'apprécier et d'en faire la base de leurs sentences. , Cette doctrine a été souvent consacrée par la Cour de cassation. Dans une espèce où le jugement de condamnation s'était fondé sur l'aveu du prévenu, celui-ci excipait à l'appui de son pourvoi 1 Mittermaïer, chap. XXXI; Cremani, Jus. crim., chap. XXVII, § 12; Bentham, Traité des preuves, p. 354; Philipps, tom. I, p. 116; Carmignani, tom. IV, p. 137. de la maxime non auditur perire volens. Ce pourvoi a été rejeté: « Attendu que la violation d'une maxime de jurisprudence ne peut constituer un moyen de cassation qu'autant que cette maxime serait revêtue du caractère législatif, et qu'aucune loi ne défend aux juges correctionnels de faire entrer dans leurs éléments de conviction l'aveu du prévenu, et ne leur impose à cet égard des règles différentes de celles qui existent pour les jurés1. » Ainsi, en matière correctionnelle comme en matière criminelle, l'aveu du prévenu fait partie des éléments de conviction dont les juges disposent, et demeure soumis à leur libre appréciation. Dès lors il n'est plus nécessaire, comme dans l'ancienne jurisprudence, que l'aveu, pour faire preuve, soit accompagné de la constatation régulière du corps du délit; car le principe de la preuve morale, en laissant le juge libre d'apprécier la valeur de l'aveu, ne lui impose aucune condition pour qu'il devienne un élément de sa conviction. C'est sans doute pour le juge un devoir de n'admettre un aveu à titre de preuve que lorsque cet aveu se rattache à un fait certain et qu'il y a réellement un corps de délit; mais cette condition est livrée à son examen, et s'il peut rejeter l'aveu parce qu'il ne lui paraît pas vraisemblable, il ne peut l'écarter par cela seul que le délit n'est pas constaté par un procès-verbal régulier. La Cour de cassation a jugé dans ce sens « que l'article 154 n'interdit point aux tribunaux de chercher les éléments de leur conviction dans tous les autres modes de preuve admis par l'ensemble de la législation, et notamment dans les déclarations faites en justice par les prévenus eux-mêmes lorsqu'ils proposent leur défense; que sans doute le juge reste le maître d'apprécier la force probante de l'aveu que peut faire le prévenu, eu égard aux circonstances dans lesquelles il intervient; mais qu'il ne peut se refuser d'en faire la base d'une condamnation par le seul motif qu'aucun procès-verbal régulier n'a constaté le fait matériel du délit ou de la contravention, puisque ce serait exiger pour ce fait, contre le vœu des dispositions de la loi, une preuve légale incompatible avec les principes de notre droit criminel; que, dans l'espèce, l'arrêt attaqué a jugé que l'aveu ne suffit pas lui seul pour entraîner condamnation, lorsqu'il n'existe pas d'ailleurs une constatation du corps du délit..., en quoi 1 Arr. cass. 23 sept. 1837 (Bull., no 293). il y a eu violation des articles 154 et 189 Code d'instruction criminel1». 1938. Le même principe doit donner également la solution d'un autre problème de l'ancienne jurisprudence, à savoir, si l'aveu est indivisible en matière criminelle comme en matière civile. L'opinion la plus générale était que les déclarations de l'accusé pouvaient être divisées; que si, par exemple, en avouant avoir commis un homicide, il ajoutait qu'il l'avait commis dans le cas de légitime défense, le juge pouvait le condamner sur cet aven pour le fait de l'homicide, sans tenir compte de l'excuse, si elle ne lui paraissait pas prouvée *. Quelques légistes proposaient cependant une distinction; si la confession du prévenu était l'unique preuve du crime, elle devait être prise dans son entier et sans pouvoir être scindée; mais, s'il existait d'autres indices, il était permis d'en prendre une partie et de rejeter l'autre. D'autres auteurs répudiaient toute division de l'aveu : « Ces confessions, dit Bornier, ne doivent pas être divisées, c'est-à-dire prises en partie et rejetées en partie; mais le juge les doit prendre tout entières en la forme dans laquelle elles sont conçues; autrement ce serait incliner plutôt à la condamnation qu'à la justification du criminel, et si cela est ainsi observé en matière civile, il le doit être à plus forte raison en matière criminelle, qui est de plus grande importance *. » On comprend cette diversité de doctrine sous une législation où, l'aveu constituant une preuve légale, il était nécessaire d'en régler scrupuleusement les effets. Aujourd'hui toute difficulté a disparu. La confession en matière criminelle est essentiellement divisible: élément de la conviction intime du juge, il appartient à ce juge de l'apprécier dans toutes ses parties et de l'adopter en entier comme de la rejeter en totalité ou partiellement. Aucune règle ne peut enchaîner la preuve morale; elle se puise dans tous les éléments du procès, dans toutes 1 Arr. cass. 29 juin 1848 (Bull., no 193); et conf. 17 févr. 1837 (Bull., no 56); 29 nov. 1851 (Bull., no 501); 21 avril 1864 (n° 108). 2 Voy. dans ce sens Julius Clarus, quæst. 55, n. 15; Farinacius, quæst. 81, ń. 110; Menochius, cas. 279, n. 6; Bruneau, tit. XXX, 2e max.; Muyart de Vouglans, Inst., p. 334. 3 Hipp. de Marsiliis, cons. 129, n. 1; Mascardus, concl. 877, n. 7; Guazzinus, def. 32, 35. 4 Tom. II, p. 206. |