pour recevoir leurs dépositions. » La commission du Corps législatif fit à cet égard l'observation suivante : « La commission aperçoit un grand inconvénient à imposer au juge d'instruction la nécessité absolue de se transporter à la demeure des témoins qu se trouveront dans l'impossibilité de comparaître sur la citation même, quoique ce transport ne doive avoir lieu que sur l'arrondissement du tribunal du juge d'instruction. Il peut en résulter des voyages assez longs, selon l'étendue de ces arrondissements, dans des pays où, suivant les saisons, les voyages seraient pénibles. De là des pertes de temps et des dépenses considérables'." Ce n'est que sur cette observation qu'il fut permis au juge d'instruction de déléguer le juge de paix pour l'audition des témoins. 1 Il suit de là que, dans le système du Code, conforme sur'de point à l'ancienne jurisprudence, le droit de déléguer les actes de l'instruction n'a été considéré que comme une exception relative à certains actes, et motivée par des circonstances extraordinaires. Nous allons examiner maintenant l'application que cette règle a reçue dans la pratique. 1902. 11'est generalement lement ad admis que les dispositions du da Colle relatives aux délégations ne sont qu'énonciatives, et que la loi n'a pas strictement limité aux cas qu'elle a prévus la faculté du juge d'instruction de faire procéder à quelques-uns des actes de l'instruction par voie de commission rogatoire. Il imp importe de fixer avec précision le sens de cette règle interprétative. " 1" 1 M. Legraverend, qui l'a le premier enseignée, la posait en ces termes : « Le droit de déléguer tient aux règles générales de la procédure criminelle. Les dispositions du Code sont indicatives et non pas limitatives: elles citent comme un exemple une circonstance qui rend la délégation indispensable; mais elles ne contiennent aucune expression qui prive le juge d'instruction de la faculté de déléguer hors les cas indiqués, lorsqu'il l'estime convenable d'après quelque motif légitime. En un mot, ce magistrat peut commettre un juge de paix de son art arrondissement on requérir un autre juge d'instruction pour entendre des témoins, conime il est autorisé à les commettre ou requérir pour d'autres opérations; et ce qu'il faut seulement induire des articles du Code, riri c'est que les formalités prescrites pour la délégation, dans le cas déterminé, doivent être exactement observées dans tous les autres 1. » Cette doctrine a été reproduite par les instructions du ministre de la justice, dans l'intérêt de l'économie des frais de justice : « Les cas où il peut y avoir lieu de déléguer sont trèsfréquents; le juge d'instruction ne doit se déplacer que dans des circonstances graves et urgentes; il doit aussi éviter, autant que possible, de faire citer devant lui des témoins éloignés, lorsque leur présence n'est pas absolument nécessaire pour l'éclaircissement des faits. Ainsi, il doit employer de préférence la voie de la délégation, et requérir ou commettre le juge du lieu de la résidence des témoins qu'il croit utile de faire entendre *. » Enfin, la Cour de cassation, après avoir déclaré par un premier arrêt « que, dans l'exercice du droit de délégation, les juges d'instruction sont renfermés dans le cercle étroit des dispositions des articles 83, 84 et 90, a jugé par un autre arrêt « que l'article 83, qui spécifie un cas où le juge d'instruction peut déléguer un juge de paix pour entendre des témoins, n'est pas limitatif * ". Nous pensons également que les dispositions du Code relatives aux commissions rogatoires ne sont pas limitatives. La loi n'a pu définir tous les cas où, dans le cours de l'instruction, le juge serait obligé de déléguer quelques-uns des actes de la procédure; elle a dû se borner à indiquer ceux qui se présentent le plus fréquemment. Or cette indication n'est pas nécessairement exclusive de toute autre hypothèse. L'instruction des procédures criminelles soulève incessamment des incidents nouveaux que la loi la plus prévoyante n'a pu apercevoir. Il peut y avoir lieu, après chaque témoin entendu, à de nouvelles vérifications, enquêtes, visites de lieux. Le juge doit-il multiplier ses transports chaque fois qu'il s'agira de constater une nouvelle circonstance du fait? Le droit de délégation est établi; aucune disposition légale ne s'oppose à ce qu'il s'en serve pour compléter l'instruction dont il est charge. Mais dans quelle mesure et à quels actes peut-il en faire l'application? C'est ici que s'élève la difficulté. 1 Législ. crim., tom. I, p. 285. 11 4 2 Circ. du min. de la justice des 19 avril 1811, 23 sept. 1812, 9 avril 1825 et 16 août 1842. 3 Arr. cass. 27 août 1818 (J. P., tom. XIV, p. 1013). 4 Arr. cass. 6 mars 1841 (Bull., no 56). 1903. Il est clair, d'abord, qu'il n'y a point de question lorsque l'acte d'instruction ne peut être accompli qu'en dehors du ressort où la procédure est instruite, et que la délégation en est faite par le juge à un autre juge d'instruction. C'est la nécessité même qui, dans cette première hypothèse, opère la délégation, et cette mesure ne fait d'ailleurs que transporter l'exécution de l'acte délégué des mains du juge saisi aux mains d'un autre juge, qui tient de la loi le pouvoir de procéder à cette exécution. C'est ainsi que l'article 90 porte que: « si les papiers ou effets dont il y aura lieu de faire la perquisition sont hors de l'arrondissement du juge d'instruction, il requerra le juge d'instruction du lieu où l'on peut les trouver de procéder aux opérations prescrites par les articles précédents. » C'est encore ainsi que l'article 103 dispose que: « le juge d'instruction saisi de l'affaire directement ou par renvoi, en exécution de l'article 90, transmettra sous cachet, au juge d'instruction du lieu où le prévenu a été trouvé, les pièces, notes et renseignements relatifs au délit, afin de faire subir interrogatoire à ce prévenu. » Dans l'une et l'autre de ces deux hypothèses, le juge saisi ne peut procéder soit à la perquisition, soit à l'interrogatoire, puisque ces actes ont lieu hors de son ressort, et que, sauf le cas exceрtionnel prévu par l'article 464, sa compétence expire aux limites de l'arrondissement dans lequel il exerce ses fonctions. La délégation de ces actes est donc une mesure nécessaire de l'in struction. 1904. Mais elle n'a plus ce caractère quand elle s'applique à des actes qui doivent être exécutés dans le ressort même du juge saisi, car elle n'est plus nécessaire; elle devient alors purement facultative: le juge délègue un acte qu'il pourrait et devrait peut-être accomplir lui-même. C'est pour éviter un déplacement personnel ou pour épargner à des témoins éloignés un voyage onéreux qu'il a recours à cette délégation de sa fonction. C'est une facilité que la loi a mise à sa disposition, un moyen d'abréger les lenteurs de l'instruction, et d'en réunir plus promptement tous les éléments. C'est donc ici qu'il y a lieu d'examiner à quels cas il est possible de l'appliquer. Si l'article 83 ne doit pas être strictement renfermé dans ses termes, si le cas pour lequel elle a permis la délégation ne doit pas être considéré comme exclusif de tout autre, au moins faut-il admettre que ce cas a été énoncé à titre d'exemple, et que, par conséquent, les cas nouveaux auxquels cette mesure serait étendue doivent être nécessairement de la même nature. Car il est évident que, parce que la loi a permis de déléguer tel acte, il ne peut s'ensuivre qu'elle ait voulu la délégation d'un acte d'un caractère entièrement différent. La règle dérive ici de la nature même de l'acte que la loi a voulu donner pour exemple. En procédant par forme démonstrative, elle a fait de l'analogie des actes la condition de toute délégation nouvelle. Or, il y a lieu de distinguer parmi les actes d'instruction, ceux qui ont pour objet la constatation matérielle d'une déclaration ou d'un fait, et ceux qui ordonnent l'emploi d'un moyen de contrainte, qui opèrent la lésion actuelle d'un droit, qui causent un grief immédiat aux parties. La loi a permis la délégation des premiers, car elle a permis la délégation de l'audition des témoins; or, cette audition n'étant qu'une constatation matérielle de leurs déclarations, il s'ensuit que tous les actes de la même nature et par conséquent toutes les constatations de faits rentrent dans la même catégorie; elles peuvent dès lors faire l'objet d'une délégation. 1905. Mais il n'en est plus ainsi à l'égard des actes autres que ces constatations. Lorsqu'il s'agit, en effet, non plus de recevoir une déclaration ou de faire une vérification locale, mais de procéder à une perquisition, d'ordonner une expertise ou d'appliquer une mesure de contrainte, c'est au juge lui-même, si l'acte a lieu sur son territoire, qu'il appartient de l'exécuter. Ces derniers actes supposent un pouvoir d'appréciation, non-seulement dans l'acte qui les ordonne, mais dans les actes d'exécution : ainsi il y a lieu de décider dans une perquisition, par exemple, à quels lieux doit s'étendre l'inspection, à quels objets doit s'appliquer la saisie, à quelles personnes doivent s'adresser les mesures de contrainte. Or, si le juge peut déléguer le droit de constater un fait, il ne peut déléguer le droit de l'apprécier. La loi a voulu, dans ces circonstances importantes, la double garantie de son appréciation personnelle et de sa présence sur les lieux. L'indication qu'elle a faite est une limite nettement posée entre les actes dont elle permet la délégation et les actes qu'elle réserve au juge lui-même : les premiers sont les actes matériels IV. 35 qu'un procès-verbal constate, les autres sont toutes les mesures qui supposent, soit dans leur prescription, soit dans leur application, une certaine appréciation de leur utilité et de leurs effets. Et d'ailleurs, quel serait le titre du juge de paix pour procéder à ces mesures? Si la loi lui a donné les pouvoirs de la police judiciaire, elle ne lui a point donné les pouvoirs de l'instruction; il ne peut donc, hors du cas du flagrant délit, procéder à aucun acte de la procédure, si ce n'est par commission rogatoire et en vertu des articles 83 et 84, à l'audition des témoins. Est-ce dans la délégation même qu'il puiserait ce droit nouveau? Mais il est évident que si le juge d'instruction peut transmettre à un officier le soin d'accomplir un acte qui est dans les attributions de celuici, il ne peut lui conférer une compétence et des pouvoirs que la loi ne lui a pas donnés; toute compétence pour procéder à des actes de juridiction ne peut prendre sa source que dans la loi, et nulle délégation, quels qu'en soient les termes, ne peut étendre le cercle légal où elle a été enfermée. Le juge de paix ne peut donc exécuter la commission qui lui est donnée qu'autant qu'elle rentre dans la sphère de ses attributions. Or, peut-on admettre que le droit d'entendre des témoins emporte le droit de faire des perquisitions ou de procéder à des saisies ? Ces motifs nous portent à penser que, suivant l'esprit et le texte des articles 83 et 84, le droit de délégation doit être limité, non point à l'audition des témoins seulement, mais aux actes d'instruction qui ont pour objet la constatation ou la vérification d'un fait. C'est en appliquant cette doctrine que nous avons déjà été conduit à penser que le droit de procéder à une visite domiciliaire ne peut être délégué1. Nous l'appliquerons plus loin à la délivrance des mandats. § II. Délégation de l'audition des témoins et de l'interrogatoire des inculpés. 1906. La loi autorise formellement les délégations qui ont pour objet l'audition des témoins, mais elle ne les autorise pas dans tous les cas. La première condition de la délégation est qu'il soit, aux 1 Voy. suprà no 1803. |