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ment stérile; loin d'éclairer la justice, il ne ferait qu'égarer ses pas, en se prêtant à obéir aveuglément à son impulsion. Sa fonction se résume dans un mot: la vérité sur le point sur lequel il est consulté, c'est-à-dire le résultat de ses expériences, avec ses doutes et son obscurité, si ce résultat demeure obscur et indécis. Ce que la justice lui demande, c'est une opinion consciencieuse et éclairée : il doit la donner tout entière, sans exagération, mais sans réserve, sans sortir des points confiés à son examen, mais libre et indépendant dans les limites de cette mission.

1898. Les rapports des experts sont leur œuvre exclusive; ils doivent donc, sauf les cas où il y aurait impossibilité de leur part, les rédiger eux-mêmes. Les règles de cette rédaction sont très-simples.

La première condition est que le rapport soit clair et précis. « Il faut éviter avec soin les expressions équivoques, les mots barbares et scolastiques, les raisonnements et les discussions scientifiques 1. » Cette recommandation a été faite dans tous les temps: « Les médecins et chirurgiens qui font des rapports en justice doivent s'exprimer en termes intelligibles, naturels. I= faut qu'ils fassent attention qu'ils parlent à des juges qui, pour la plus grande partie, ne connaissent point les termes scientifiques de l'anatomie, et que par conséquent un ouvrage conçu en ces termes est très-souvent un ouvrage qui n'éclairerait pas des choses dont il faut cependant que des magistrats soient instruits*. »

La deuxième condition est que le rapport, pour être complet, doit consigner le détail exact et minutieux de tous les faits dont on peut tirer des inductions en quelque sens que ce soit. « Car, dit Jousse, le principal objet que les médecins, chirurgiens et autres doivent s'y proposer, est d'éclaircir la religion des juges sur tout ce qui regarde le corps du délit; c'est pourquoi ils doivent avoir une grande attention à n'omettre aucune des circonstances nécessaires pour cet éclaircissement *. » Et le même auteur ajoute : « Ces rapports doivent être rédigés, tant pour la charge de l'accusé que pour sa décharge, soit en constatant le fait, soit en estimant la cause qui y a donné lieu. Ainsi, dans l'un et l'autre cas, les experts ne doivent rien omettre de ce qui peut aller à la déchargé de l'accusé 1. »

1 M. Orfila, Traité de méd. lég., 4o édit., p. 13.

2 Denisart, tom. VIII, p. 333. 3 Tom. II, p. 37.

Enfin, la troisième condition est que le rapport doit être motivé, c'est-à-dire qu'il doit énoncer la raison des conclusions de l'expertise. « Les experts, dit Jousse, doivent rendre raison de leur jugement et de ce qu'ils déclarent dans leur rapport, surtout si leur jugement est fondé sur les principes de leurs connaissances et sur les préceptes de leur art *. » Le rapport, en effet, doit être soumis à la discussion; il est donc nécessaire qu'il renferme tous les éléments de la solution qu'il propose, tous les raisonnements qui ont amené cette solution, pour qu'il soit possible d'en apprécier et d'en soutenir les conclusions.

Il faut dire, pour compléter ces règles, qu'un rapport judiciaire doit se composer de trois parties distinctes, présentées constamment dans le même ordre : le préambule, la description de ce qui fait l'objet du rapport, et les conclusions. Le préambule désigne les noms et titres de l'expert, la qualité du magistrat de qui émane le mandement, les circonstances qui ont précédé la visite. La description est sans contredit la partie la plus importante du rapport, puisqu'elle renferme les faits qui doivent servir de base aux conclusions, et lors même que celles-ci seraient mal déduites, les faits étant exactement décrits, il serait aisé de les infirmer pour leur en substituer d'autres, tandis que la plus légère inexactitude dans le récit des faits pourrait entraîner les conséquences les plus fâcheuses. Les conclusions sont les conséquences qui découlent immédiatement des faits observés 3.

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1899. Le juge d'instruction, au moment où le rapport lui est remis, doit l'examiner attentivement. S'il y reconnaît des irrégularités, si, par exemple, les conclusions ne sont pas motivées, si elles manquent de précision et de clarté, si l'expertise n'a pas tenu compte de faits importants relevés dans la procédure, si des points graves n'ont point été appréciés, il doit proposer ses doutes aux experts, leur poser avec soin des questions nouvelles, leur signaler les raisonnements obscurs ou les faits omis, et leur demander de compléter leur rapport. Si les experts, au nombre de

1 Tom. I, p. 747.

2 Tom. II, p. 37.

3 M. Orfila, Traité de méd. lég., 4o édit., tom. I, p. 16.

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deux, se sont trouvés en dissidence d'opinion sur des points importants, et ont exprimé cette dissidence dans leur rapport, il peut, s'il le croit utile, désigner un tiers expert qui se joint aux premiers et qui concourt avec eux à la solution des difficultés qui ont divisé ceux-ci 1. Il peut aussi nommer purement et simplement de nouveaux experts

CHAPITRE DOUZIÈME.

DES COMMISSIONS ROGATOIRES.

§ L. Principes des commissions rogatoires.

1900. Tous les actes de la procédure criminelle doivent être faits par le juge. La délégation de quelques-uns de ces actes n'est qu'une exception.

1901. Notre Code n'admet la délégation que pour entendre des témoins qui résident hors du canton (art. 83 et 84), et pour interroger un prévenu trouvé hors de l'arrondissement (art. 103).

1902. Néanmoins, ces dispositions ne sont pas limitatives: elles ne font qu'indiquer une faculté dont le juge peut user dans certains cas.

1903. Il peut déléguer l'acte d'instruction qui ne peut être accompli qu'en dehors du ressort où la procédure est instruite.

1904. Mais, quand il s'agit d'actes qui doivent s'accomplir dans son ressort, le juge ne

peut déléguer que la constatation de faits purement matériels.

1905. Quels sont les actes qui peuvent être délégués par le juge.

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§ II. Délégation de l'audition des témoins et de l'interrogatoire des inculpés. 1906. Conditions de l'audition par délégation des témoins résidant dans l'arrondissement

'il faut qu'ils soient dans l'impossibilité de comparaître et qu'ils résident hors du

canton.

1907. Lors même que les témoins résident hors de l'arrondissement, ils peuvent être cités devant le juge, et la délégation de leur audition n'est qu'une faculté (art. 83). 1908. Délégation des perquisitions et saisies de papiers, et effets hors de l'arrondisse

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1909. Délégation de l'interrogatoire des inculpés arrêtés hors de l'arrondissement.

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§ III. Formes et exécution des commissions rogatoires.

1910. Caractère des commissions rogatoires: elles ne sont précédées d'aucunes réquisitions, elles se font par écrit. Ce qu'elles doivent contenir.

1911. Des commissions rogatoires qui ont pour objet soit l'audition des hauts fonctionnaires de l'État, soit les militaires, soit les témoins résidant hors de France. 1912. Quels sont les officiers que le juge peut déléguer et auxquels il adresse les com

missions.

1913. Le juge peut-il déléguer directement un juge de paix d'un autre arrondissement?

1 Schenck, tom. II, p. 61.

2 Jousse, tom. I, p. 749; Muyart de Vouglans, Inst., p. 239.

1914. Le juge délégué ne peut, s'il est compétent, refuser la délégation. Ses droits et

leurs limites. Il peut subdéléguer.

1915. Exécution des commissions rogatoires adressées par des magistrats étrangers 1916. Renvoi des commissions exécutées. Mode de la transmission.

§ I. Principes des commissions rogatoires.

1900. La délégation des actes de l'instruction criminelle était renfermée, dans notre ancien droit, dans les limites les plus étroites. Le principe général était l'interdiction de toute délégation 1. Farinacius pose en principe qu'en matière criminelle il n'y a point de commission rogatoire : in criminalibus non conceditur remissoria. L'usage n'avait fait d'exception qu'en ce qui concerne l'audition des témoins qui résidaient sur un autre territoire que celui du juge instructeur: de consuetudine servatur quod judex potest et debet concedere litteras subsidiales sive remissorias pro eis examinandis illi judici in cujus territorio ipsi testes reperiuntur 3. Mais cette exception était resserrée dans d'étroites limites : id tamen non fit nisi ex magnâ et accessoriá causa, quandò aliter veritas haberi non potest 4. Ces règles étaient complétement adoptées par la jurisprudence. « On peut regarder comme une règle générale, dit Jousse, que les délégations n'ont pas lieu en matière criminelle, même en matière d'information *. » La délégation n'était admise que pour entendre les témoins qui, demeurant hors du ressort du juge instructeur, étaient hors d'état de se transporter pour maladie, vieillesse ou autre empêchement légitime.

Et, en effet, le principe de l'instruction préalable est que le juge doit la concentrer tout entière entre ses mains et procéder personnellement à tous ses actes. Ce n'est qu'ainsi qu'il peut apprécier la marche qu'elle doit suivre et imprimer à toutes ses mesures une parfaite unité. Or, que deviendrait cette appréciation du juge s'il confiait à d'autres personnes le soin de rechercher, de recueillir, d'examiner les éléments de la preuve? Que deviendrait cette unité de la procédure si, divisée en plusieurs parties, l'instruction était dévolue à plusieurs instructeurs? La responsabilité du juge, que la loi a chargé d'instruire le procès, pourraitelle se concilier avec ces auxiliaires qui se partageraient sa fonction? Il doit voir, autant que cela est possible, par lui-même : l'inspection judiciaire, la constatation par le juge est l'un des moyens les plus efficaces de l'instruction. S'il déléguait cette inspection, il abdiquerait sa principale mission, car il accepterait une appréciation qui ne serait pas la sienne, il ferait entrer dans sa procédure des éléments qu'il n'aurait pas contrôlés, il réduirait l'instruction qu'il est chargé de faire à la réunion matérielle des procès-verbaux qui lui seraient transmis. Il faut donc considérer comme la règle de la matière que l'accomplissement de tous les actes de l'instruction doit avoir lieu par le juge et que la délégation de quelques-uns de ces actes ne peut être qu'une exception qu'il faut soigneusement restreindre.

1 L. 70, Dig., De reg. juris; 1. 6, in proœm. Dig., De off. procons.; 1. 1, Dig., De off. ejus cui mand. jurisd.; 1. 3, Dig., De jurisd.

2 Quæst. 77, cap. 2, n. 71.

3 Quæst. 26, n. 3.

4 Ibid., n. 4.

5 Jousse, tom. III, p. 150; Rousseaud de la Combe, p. 185.

1901. Tel a été l'esprit de notre Code. Les articles 83, 84 et 103 n'ont explicitement admis la délégation des actes de l'instruction que dans deux cas: 1o lorsqu'il s'agit de procéder à l'audition des témoins qui sont dans l'impossibilité de comparaître et qui résident en dehors du canton où le juge est domicilié, il peut déléguer le juge de paix pour recevoir leur déposition s'ils résident dans un autre canton du même arrondissement, et le juge d'instruction ou le juge de paix du lieu de la résidence, s'ils résident hors de l'arrondissement; 2° lorsqu'il s'agit de procéder à l'interrogatoire d'un prévenu trouvé hors de l'arrondissement du juge qui a décerné un mandat contre lui et à une distance de plus de cinq myriamètres, il peut déléguer le juge d'instruction du lieu de l'arrestation pour lui faire subir cet interrogatoire.

Il résulte même des procès-verbaux du conseil d'État que le projet du Code n'avait pas cru devoir faire descendre la délégation de ces actes jusqu'au juge de paix. Les articles 83 et 84 de ce projet portaient seulement : « Lorsqu'il sera constaté par le certificat d'un officier de santé que des témoins se trouvent dans l'impossibilité de comparaître sur la citation qui leur aura été donnée, le juge d'instruction se transportera en leur demeure pour recevoir leurs dépositions. Si les témoins résident hors de l'arrondissement du juge d'instruction, celui-ci requerra le juge d'instruction du lieu de leur résidence de se rendre auprès d'eux

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