prétendu appliquer cet article au médecin qui aurait refusé son concours à la justice pour la vérification d'un fait judiciaire. La Cour de cassation avait paru d'abord rejeter cette interprétation en déclarant « que le refus fait par une sage-femme de se rendre près d'une indigente qui réclamait son concours pour accoucher ne rentre sous aucun rapport dans les dispositions de l'article 475, no 12; qu'il n'existe dans notre législation aucune peine qui puisse ètre appliquée à un tel refus, tout inhumain et blamable qu'il soit'». Mais, par un autre arrêt, la même cour a décidé « que l'article 50 du Code d'instruction criminelle autorise les officiers de police auxiliaires du procureur du roi à faire les actes auxquels ce magistrat doit procéder dans le cas de flagrant délit, en se conformant aux memes règles; qu'ils peuvent donc, en vertu de l'article 43, se faire accompagner comme lui, s'il le jugeait nécessaire, d'une ou de deux personnes présumées, par leur art ou profession, capables d'apprécier la nature et les circonstances du crime ou du délit à constater; que ces personnes encourent la peine prononcée par l'article 475, no 12, lorsqu'elles refusent ou négligent d'obtempérer à leurs réquisitions; qu'il ne leur suffit pas, pour échapper à cette condamnation, d'alléguer qu'elles n'ont pas pu y obéir; qu'elles doivent justifier de ce fait devant le tribunal saisi de la prévention; d'où il suit que celui-ci est tenu d'apprécier la preuve produite et de déclarer expressément, s'il les relaxe de la poursuite, qu'elles se sont trouvées dans l'impossibilité qui peut seule rendre leur refus ou leur négligence excusable *». 1895. Cet arrêt, qui décide la question sans donner aucune raison de sa solution, peut donner lieu à quelques objections. Il suffit de lire attentivement l'article 475, no 12, pour être assuré qu'il n'a cu en vue qu'un concours matériel. Les exemples qu'il ėnumère le démontrent avec évidence: il s'agit d'éteindre un incendie, de sauver des naufragés, de défendre des personnes ou des propriétés violemment attaquées, d'aider à l'arrestation d'un coupable ou à l'exécution d'un jugement. Dans toutes ces hypothèses il y a péril, et le secours, qui doit être immédiat, consiste uniquement dans un acte matériel. La loi fait un devoir aux citoyens de le prêter; elle considère leur refus comme une faute. Mais là s'est arrêtée sa sollicitude : quand le péril n'existe plus, le devoir n'est plus le même; quand la vie des hommes n'est plus exposée, le secours n'est plus forcé. Or, ce péril n'existe jamais quand il s'agit, non de prêter appui dans quelque calamité, mais d'apprécier les éléments d'un crime et d'en recueillir les preuves. Une telle opération n'est point l'une de ces circonstances extraordinaires qui appellent instantanément le concours de tous les citoyens et leur font une obligation de porter aide au magistrat. Il n'existe aucune analogie entre une expertise et l'arrestation du coupable pris en flagrant délit et qui va échapper à la justice, la défense de la victime qui va succomber, enfin les secours invoqués par des incendiés ou des naufragés. Et puis comment assimiler un concours intellectuel, un travail scientifique à cet appui physique que la loi a seul exigé; comment concevoir qu'un médecin, un chimiste puissent être contraints de procéder à une autopsie, à l'analyse d'une substance? On peut contraindre les bras d'agir; mais l'intelligence n'échappe-t-elle pas à toute contrainte? Et quelle confiance inspireraient des experts forcés par corps à expertiser? Quel bénéfice la justice retirerait-elle d'un pareil concours? Le véritable esprit de l'article 475, no 12, est d'apporter une sanction à la loi humaine et naturelle qui veut que les hommes se portent réciproquement secours dans les périls où ils peuvent être exposés; mais ce serait le détourner de son sens légal que de l'appliquer au refus d'obtempérer à des réquisitions qui n'ont qu'une vérification judiciaire pour objet. 1 Arr. cass. 4 juin 1830 (Bull., no 156). 2 Arr. cass, 6 août 1836 (Bull., no 267). Sans doute ces refus peuvent avoir des inconvénients. Il est d'une grande importance pour la justice que les opérations médico-légales soient faites par les hommes les plus éclairés. Or, quel moyen le juge aura-t-il de les leur confier, s'ils peuvent se dégager de cette mission? La police judiciaire ne peut-elle pas même se trouver tout à fait paralysée dans les petites localités où il peut n'exister qu'un seul médecin capable d'éclairer ses investigations? Ces inconvénients, qui peuvent révéler une lacune dans la loi, ne doivent pas cependant être exagérés. Si l'homme de l'art a le droit rigoureux de refuser d'obtempérer aux mandements judiciaires, s'ensuit-il qu'il doive en user? L'homme de la science qui reçoit une mission du juge contracte un devoir social; car c'est un devoir de ne pas refuser à la justice qui protége la société, à l'accusé qui prépare sa défense, le secours de son expérience pour la manifestation de la vérité. L'accomplissement de ce devoir, pour n'avoir pas de sanction dans la loi, n'est pas moins sacré; il se puise dans les règles mêmes de la profession médicale. La loi pénale n'a pas posé de sanction à toutes les obligations morales, à tous les devoirs; elle n'a puni que les infractions qui menacent l'ordre de graves périls; les autres ne relèvent que de la conscience. § IV. Formes de l'expertise. 1896. Avant de commencer l'opération qui leur est déléguée, les experts doivent prêter devant le juge d'instruction le serment prescrit par l'article 44, de faire leur rapport et de donner leur avis en leur honneur et conscience. Ce serment est une formalité essentielle de l'expertise. Les experts y puisent le caractère public dont ils sont momentanément revêtus et l'autorité qui est attachée à leurs actes; c'est la condition de leur fonction, c'est la garantie nécessaire de la sincérité de leurs déclarations 1. La Cour de cassation a jugé avec raison que les parties ne peuvent, pas plus que les magistrats, dispenser les experts de l'accomplissement de cette formalité *. 1 Toutefois, la formule indiquée par l'article 44 n'est pas sacramentelle. La Cour de cassation a reconnu « que le serment a pu être conçu en termes équipollents, sans que la loi ait été violée 3», et qu'il suffit qu'il soit constaté que les experts ont, préalablement à l'opération, prêté le serment en tel cas requis. Mais il est nécessaire qu'un serment ait été prêté; une promesse, une déclaration, quelque explicite qu'elle fût, qui n'aurait pas été faite sous la foi du serment, serait insuffisante, et les opérations qui suivraient cette simple promesse seraient irrégulières, car elles n'émaneraient plus d'un officier revêtu momentanément d'un caractère public; le rapport qui rendrait compte de ces opérations ne constituerait qu'un simple renseignement et ne fornierait aucun élément de la preuve *. 5 1 Arr. cass. 13 juin 1835 (Bull., no 238). 2 Arr. cass. 27 nov. et 27 déc. 1828 (J. P., tom. XXII, p. 399 et 507). 3 Arr. cass. 16 juillet 1829 (J. P., tom. XXII, p. 1252). 4 Arr. cass. 16 janv. 1836 (Bull., no 19). 5 Arr. cass. 16 janv. 1836 (Bull., no 18); 13 juin 1835 (Bull, no 238); 17 sept. 1840 (Bull., no 275). 1 Mais lorsque les experts ont déjà, après avoir prêté serment, procédé à quelque opération, s'il est nécessaire qu'ils procèdent dans la même affaire à de nouvelles visites et à de nouvelles opérations, soit pour compléter les premières, soit pour vérifier des faits ultérieurement découverts, ils ne doivent point réitérer cette formalité: leur premier serment domine toutes les opérations de l'affaire; ils agissent sous son influence et sous sa foi; il serait inutile d'en renouveler l'accomplissement à chaque acte de leur fonction; ce serait substituer à une garantie réelle une formule stérile 1. 1897. Le juge d'instruction, en ordonnant l'expertise, doit préciser avec soin les faits qui seront soumis à son examen. L'expertise, en effet, n'est qu'une mission; il faut donc pour la remplir en connaître clairement les termes et l'objet. Comment l'expert lèverait-il les doutes de la justice, s'il ne sait pas où ils portent? Comment éclairerait-il sa marche, s'il ne connaît pas le but vers lequel elle tend? Il importe même que le juge, après avoir fixé les points qui font l'objet de l'expertise, pose chacune des questions qu'elle doit résoudre. Ces questions ne doivent point être trop circonscrites, car il faut que les explications soient complètes; elles ne doivent point être trop générales et trop vagues, car les réponses manqueraient de netteté et de précision *. En général, les explications que demande le juge, les questions qu'il soumet à l'examen des experts, doivent être posées dans une ordonnance qu'il rend à ce sujet. Cette ordonnance remise aux personnes qu'il a déléguées est la base de leur rapport et leur trace le champ de leurs investigations. Jointe aux pièces, elle explique et régularise les opérations de l'expertise. Mais, dans les cas urgents, et par exemple au cas de flagrant délit, il suffit que le juge mentionne dans son procès-verbal la délégation et le serment des experts. Telle était la distinction de l'ancienne jurisprudence : « Les rapports d'experts, dit Jousse, pour faire foi en justice, doivent être faits en vertu d'une ordonnance du juge, lorsque le cas ne requiert pas célérité, comme s'il s'agit de constater une vérification d'écriture, une monnaie fausse. Mais dans les cas pressants, il n'est pas nécessaire que ce rapport soit précédé d'une ordonnance de justice '. 1 Arr. cass. 4 nov. 1834 (Bull., no 363). 2 Mittermaïer, chap. XXVIII, n. 17. Le prévenu doit-il assister aux opérations de l'expertise? Aucune disposition de la loi n'exige sa présence. L'article 39 du Code d'instruction criminelle, qui veut qu'il assiste à la saisie des pièces de conviction, n'a point étendu cette prescription aux expertises. L'article 315 du Code de procédure civile dispose à la vérité que l'expertise sera faite en présence des parties ou elles dùment appelées; mais cet article n'est pas applicable aux matières criminelles *. Le droit du prévenu est de contrôler les rapports, d'en discuter les bases, d'en débattre les conclusions, et ce droit, qu'il peut exercer d'autant plus librement qu'il n'a pas assisté aux opérations, suffit à sa défense. Le juge d'instruction a-t-il le droit d'assister aux opérations de l'expertise? Nous croyons que ce droit, dont il n'use pas habituellement, ne peut faire l'objet d'aucun doute. Il importe à la justice que les opérations soient faites avec soin, avec exactitude, puisqu'elles doivent devenir un élément de conviction; il importe surtout qu'elles portent avec précision sur les points qu'elle a besoin d'éclaircir. La présence du magistrat est donc dans la nature des choses; il exerce une sorte de surveillance, un contrôle sur la forme extérieure de l'expertise, sur la direction qu'il convient de lui donner. Peut-être néanmoins faut-il distinguer si l'expertise a pour objet de déterminer avec plus de précision un point qui fait partie de l'inspection judiciaire, ou si elle a pour objet de résoudre une question purement scientifique; il est clair que, dans ce dernier cas, la présence du juge est, sinon inutile, du moins moins nécessaire. Mais il faut ajouter que, dans tous les cas, cette présence ne doit jamais exercer la plus légère influence sur l'opération elle-même, sur la déclaration des faits qu'elle constate, sur les conclusions qui en sont le résultat. L'expert doit prendre l'avis du juge pour connaitre les points qu'il doit vérifier, pour apprécier le but et les limites de sa mission ; mais, dans son accomplissement, il en est complétement indépendant; s'il se soumettait à ses suggestions, s'il suivait la voie que celui-ci prétendrait lui tracer, il ne serait plus qu'un instru1 Tom. II, p. 35. 2 Arr. cass. 15 nov. 1844 (Bull., no 369); 15 mars 1845 (Bull., no 102; 1er avril 1843 (Bull., no 75). |