juridiction saisie, c'est le juge d'instruction, quand l'instruction n'est pas terminée. Et, en effet, la chambre du conseil serait incompétente pour prononcer sur un acte d'instruction. La loi a pris plus de ménagements à l'égard des particuliers qui sont possesseurs non pas de pièces argüées de faux, mais de pièces de comparaison. « Les particuliers, porte l'article 456, qui, même de leur aveu, en sont possesseurs, ne peuvent être immédiatement contraints à les remettre; mais si, après avoir été cités devant le tribunal saisi pour faire cette remise ou déduire les motifs de leur refus, ils succombent, l'arrêt ou le jugement pourra ordonner qu'ils y seront contraints par corps. » II ne faut pas, en effet, qu'une telle disposition dégénère en abus, ni que le dépositaire privé soit exposé à une contrainte immédiate; car il peut n'avoir pas les écritures qu'on aurait articulées être en sa possession; ou, s'il avoue les avoir, il peut être gravement intéressé à ne pas les produire toutes, et il est possible qu'une production partielle soit suffisante: ceci est donc l'objet d'explications préalables que les juges apprécieront de manière à concilier ce qui est dû au tiers dépositaire avec ce qu'il doit lui-même à l'ordre public'. Quelle est la juridiction indiquée par ces mots : le tribunal saisi? Les auteurs enseignent que ces expressions écartent le juge d'instruction et désignent soit le tribunal civil, soit la chambre du conseil a. Telle n'est pas notre opinion. A quel titre le tribunal civil, puisqu'il s'agit d'une procédure criminelle; à quel titre la chambre du conseil, puisqu'il s'agit d'un acte d'instruction, seraient-ils appelés à statuer? L'apport d'une pièce peut être ordonné à toutes les phases d'un procès, aussi bien devant les juges du fond que devant les juges de l'instruction, et c'est là le motif de la formule générale dont la loi s'est servie. Or, le juge d'instruction constitue une véritable juridiction quant aux actes de l'instruction; il est donc compétent, tant qu'il n'est pas dessaisi, pour faire citer devant lui, comme l'article 71 le prescrit pour les témoins, les particuliers détenteurs des pièces de comparaison. C'était aussi au juge d'instruction que l'article 16 de l'ordonnance de 1737 donnait ce droit, et c'est au juge-commissaire que l'article 201 Code procédure civile le confère également en matière de vérification d'écritures. 1 Exposé des motifs du Code. 2 Carnot, tom. III, p. 289; Duverger, tom. III, p. 196. 1888. Les écritures privées ne sont admissibles comme pièces de comparaison que si les parties intéressées les reconnaissent. Quel est le sens de ces termes? Il faut entendre que le prévenu et la partie civile doivent être mis à même de déclarer si elles reconnaissent l'écriture pour véritable; car il ne s'agit pas de s'opposer à la production, elles n'ont point d'adhésion à y donner, mais simplement de dénier ou de reconnaître la vérité de la pièce produite. Parmi les écritures privées, il faut ranger celles que le juge peut requérir les parties de former sous ses yeux. L'article 461 porte: « Le prévenu ou l'accusé pourra être requis de produire et de former un corps d'écriture; en cas de refus ou de silence, le procès-verbal en fera mention. » Il est d'abord à remarquer qu'il ne s'agit que d'une simple réquisition que le juge adresse au prévenu et à laquelle celui-ci obtempère ou n'obtempère pas, suivant qu'il le juge utile à l'intérêt de sa défense. Ensuite, cet article est purement énonciatif, et rien ne s'oppose à ce que la mesure qu'il autorise à l'égard du prévenu soit prise à l'égard du plaignant. La Cour de cassation a jugé dans ce sens « qu'aucune disposition de loi ne défend au juge d'instruction de faire faire un corps d'écriture au plaignant, et de le remettre soit aux experts, soit au jury, en les prévenant de qui il émane1». Au surplus, en dehors des mesures particulières que nous venons de parcourir, le juge d'instruction peut, en matière de faux comme en toute autre matière, prescrire tous les moyens de preuves qu'il croit utiles à la manifestation de la vérité. L'article 464 porte, en effet : « Le surplus de l'instruction sur le faux se fera comme sur les autres délits. » Les mêmes preuves sont donc admissibles, les mêmes moyens d'instruction doivent donc être employés. Le juge est armé des mêmes pouvoirs que dans la poursuite de tout autre crime. Il a même en un seul point des pouvoirs plus étendus: le deuxième paragraphe de l'article 464 lui confère le droit « de continuer, hors de son ressort, les visites nécessaires chez les personnes soupçonnées d'avoir fabriqué, introduit, distribué de faux papiers royaux, de faux billets de la banque de France ou des banques des départements ». Cette disposition a lieu également pour le crime de fausse monnaie ou de contrefaçon du sceau de l'État. C'est une exception au principe de compétence posé par les articles 63, 69 et 90, et qui est motivé par l'intérêt qu'a l'État de saisir immédiatement et sans aucun retard les monnaies et papiers-monnaies entachés de faux. 1 Arr. cass. 31 mars 1831 (J. P., tom. XXIII, p. 1402). 2 C'est en ce sens qu'il faut entendre l'arrêt du 31 mars 1831, cité suprà. CHAPITRE ONZIÈME.. DE LA PREUVE PAR EXPERTS. § 1. Caractère général de la mission des experts. 1889. De l'utilité des experts pour éclairer les recherches de l'iustruction (art. 43 et 44). 1890. Quel est le caractère de la mission des experts? Faut-il les considérer comme des témoins ou comme des auxiliaires du juge? § II. Choix des experts. 1891. La délégation des experts n'appartient qu'au juge d'instruction. 1892. Le juge peut-il appeler indifféremment, pour une vérification médicale, des doc teurs en médecine ou des officiers de santé? § III. Mode de convocation. 1893. Quelle est la forme de la convocation des experts. 1894. Sont-ils tenus de se rendre aux réquisitions et de procéder aux opérations qui leur sont demandées ? 1895. Examen de la jurisprudence qui applique à leur refus l'article 475, no 12, du Code pénal. 1896. Serment des experts. § IV. Formes de l'expertise. 1897. Formes de l'expertise. Le prévenn peut-il y assister? Le juge d'instruction peut-il y assister? 1898. Formes et rédaction des rapports d'experts. 1899. Examen de ces rapports par le juge. § I. Caractère général de la mission des experts. 1889. L'inspection judiciaire ne suffit pas dans tous les cas pour constater le corps du délit; cette constatation exige souvent des connaissances spéciales qui manquent au juge, et qu'il supplée en appelant le concours des hommes qui les possèdent. Ces hommes, lorsqu'ils sont consultés par la justice, prennent le nom d'experts. L'utilité des experts, pour éclairer les recherches de l'instruc tion criminelle, est incontestable. Leur ministère est nécessaire non-seulement pour la solution des questions sans cesse renaissantes et toujours si difficiles de la médecine légale, mais pour la vérification de mille faits qui ne peuvent être appréciés qu'à l'aide de notions scientifiques ou pratiques étrangères aux études des magistrats. Notre Code ne s'est occupé des experts qu'à l'occasion du flagrant délit. Les articles 43 et 44 portent : « Article 43. Le procureur impérial se fera accompagner, au besoin, d'une ou de deux personnes présumées, par leur art ou profession, capables d'apprécier la nature et les circonstances du crime ou délit. Article 44. S'il s'agit d'une mort violente, ou d'une mort dont la cause soit inconnue ou suspecte, le procureur impérial se fera assister d'un ou de deux officiers de santé, qui feront leur rapport sur les causes de la mort et sur l'état du cadavre. Les personnes appelées, dans les cas du présent article et de l'article précédent, prêteront, devant le procureur impérial, le serment de faire leur rapport et de donner leur avis en leur honneur et conscience. » Il est évident que ces deux articles, que l'article 59 a rendus communs au juge d'instruction, en appliquant dans le cas du flagrant délit la mesure de l'expertise, placent cette mesure au nombre des moyens ordinaires de l'instruction. Ils n'établissent pas le principe d'une manière générale, mais ils le supposent établi; ils ne prévoient qu'un seul cas d'application, mais cette application doit nécessairement s'étendre à tous les cas analogues. Au reste, et lors même que la loi n'en aurait pas parlé spécialement, le juge d'instruction eût trouvé le droit d'employer ce moyen d'instruction dans le droit général que lui confère l'article 61, de procéder à tous les actes qui peuvent conduire à la manifestation de la vérité. Une expertise est un acte d'instruction, puisqu'elle a pour objet d'apporter un élément à la preuve du fait incriminé; elle rentre donc nécessairement dans la classe des moyens dont l'emploi appartient à la justice. Nous n'essayerons pas d'énumérer les cas nombreux où ce moyen est journellement mis en œuvre. En matière d'empoisonnement, de coups et blessures, d'homicide, de faux, de vol, comment le juge pourrait-il connaître avec certitude la nature et les effets des substances administrées, la cause des blessures, le caractère de l'attentat, la fausseté des écritures, les circonstances mêmes de l'effraction ou des fausses clefs, sans la vérification des experts? La monnaie présumée fausse ne doit-elle pas être essayée? Les preuves les plus certaines du viol, de l'infanticide, de l'avortement et de l'attentat à la pudeur ne résultent-elles pas d'un examen des hommes de l'art? Comment apprécier l'incapacité de travail, la portée d'une arme à feu, la présence de telle ou telle substance, la cause probable d'un décès, sans les recherches scientifiques qui viennent éclairer chaque fait de l'instruction? 1890. Quel est le caractère de la mission des experts? Faut-il les considérer comme des témoins ou comme des auxiliaires du juge? Cette question est depuis longtemps controversée1, et nous verrons dans la suite, en appréciant les résultats de la participation des experts à la procédure, qu'il n'est pas inutile de la résoudre. Les témoins et les experts remplissent deux fonctions distinctes qui ne doivent point être confondues. C'est le délit qui crée les témoins; ils reçoivent une mission forcée de la circonstance même qui les a placés là où le délit a été commis ou qui les a mis en rapport avec le prévenu; cette mission se borne à rapporter les faits qu'ils ont vus ou qui sont venus à leur connaissance. Les experts, au contraire, sont choisis par le juge; leur mission est purement volontaire; ils ne déposent point comme les témoins de faits qu'ils ont vus ou appris accidentellement; ils apportent au juge les notions spéciales qu'ils possèdent; ils apprécient, ils vérifient le fait que la justice leur a donné mandat de vérifier et d'apprécier, et ils font connaître leur opinion, leur jugement sur ce fait. Cette distinction fondamentale a dicté les différentes dispositions de la loi. Les témoins et les experts, cités devant la justice, ne prêtent pas le même serment : les témoins promettent de dire la vérité, les experts de donner leur avis en leur honneur et conscience. Les témoins sont responsables de leurs dépositions; si elles sont mensongères, ils sont punis pour faux témoignage; les experts ne sont responsables de leurs déclarations que dans le for de leur conscience; si elles ne sont pas sincères, ils peu1 Mittermaïer, De la preuve, p. 196. |