cheront plus aux règles fondamentales qui dirigent le mode de la poursuite et le mode du jugement: ces règles sont désormais acquises à la législation comme les seules garanties d'une bonne justice. 1560. Notre Code a consacré ce système mixte. Il a su combiner tous les éléments de la procédure criminelle en attribuant à chacun d'eux la valeur qui lui est propre. Il a su concilier les deux principes que quelques esprits réputent ennemis, parce qu'ils veulent les étendre au delà de leurs limites légitimes, au lieu de les faire concourir dans un cercle différent vers un même but. Il a soumis l'instruction préalable au principe de l'inquisition, et la procédure du jugement au principe de l'accusation, de sorte que ces deux formes viennent successivement prêter leur force à la justice et l'éclairer, d'abord par les recherches, ensuite par la discussion. C'est là le secret de la puissance de notre justice pénale: la forme inquisitoriale lui fournit les moyens de saisir les crimes, et la forme accusatoire de les juger. L'instruction préalable appartient à peu près tout entière à notre ancienne législation. Toutes les règles qu'elle suit, toutes les formes qu'elle observe sont puisées dans l'ordonnance de 1670, qui n'avait fait que perfectionner le système de l'ordonnance de 1539. Notre Code, plus hardi que les lois du 28 septembre 1791, du 3 brumaire an IV et du 7 pluviose an IX, a ose reprendre à ces ordonnances les dispositions dont l'expérience avait démontré la sagesse; il lui a paru qu'au milieu des débris d'une institution judiciaire justement détruite, plusieurs principes devaient survivre: la procédure de l'information, l'institution du ministère public, la juridiction du juge d'instruction, la séparation du procès en deux parties, l'instruction préliminaire et l'instruction définitive. C'est surtout à raison de ces principes, qui font la force et l'originalité de notre Code, que notre législation moderne se rattache à notre droit ancien, et que les travaux des criminalistes du seizième et du dix-septième siècle sont demeurés utiles. Mais, il faut le répéter, l'influence des ordonnances de 1539 et de 1670 a été sévèrement limitée à l'instruction préalable. La procédure écrite, qui, sous leur empire, continuait jusqu'au jugement, cesse aujourd'hui au moment où l'instruction est complète. Si l'accusation est admise, une nouvelle procédure commence, un nouveau principe se développe: l'information, jusque-là faite par voie d'enquête, se transforme et se poursuit par voie d'accusation. Tous les procès-verbaux s'effacent; la procédure est exclusivement orale, et ce n'est que dans le débat de l'audience que le juge puise les éléments de sa conviction. L'accusé sur lequel pesait tout à l'heure la présomption de culpabilité se trouve protégé par une présomption d'innocence. C'est à l'accusation à faire la preuve, et la défense peut la débattre. On retrouve dans cette seconde partie de la procédure les principes appliqués, imparfaitement à la vérité, dans les usages et les lois antérieurs au seizième siècle. Nous ne voulons, quant à présent, que constater cette alliance dans notre Code, sous des formes que nous examinerons ultėrieurement, da principe de l'inquisition et du principe de l'accusation, cette procédure mixte qui seule peut assurer à la société la certitude que tous les crimes seront poursuivis, aux prévenus qu'ils ne seront ni mis en jugement ni jugés sans défense. Nous ne voulons surtout, puisque c'est là le sujet de ce volume, que faire ressortir la puissance et le développement que le système inquisitorial a reçus dans la théorie de cette loi. Il n'a pas suffi au législateur de donner à la procédure préliminaire la forme d'une enquête et de placer cette enquête entre les mains d'un juge armé du pouvoir de procéder à tous ses actes; il a institué une juridiction, la chambre d'accusation, qui non-seulement apprécie les résultats de l'enquête et règle le sort de la procédure, mais peut également continuer l'instruction et compléter l'enquête édifiée par le juge. Enfin, le président des assises peut encore, à la veille du débat, reprendre cette procédure écrite, et s'il n'y trouve pas tous les éléments nécessaires à la procédure orale, s'il aperçoit quelques lacunes, s'il découvre quelques faits nouveaux, il doit continuer encore les investigations du juge : toute procédure n'est en quelque sorte qu'une enquête qui se poursuit pendant tout le cours du procès et qui n'est close que par le jugement. 1561. Mais si notre Code, lorsqu'il a pris le principe inquisitorial pour base de l'instruction préalable, n'a fait que suivre la voie qui lui avait été indiquée et par une longue expérience et par la science elle-même, a-t-il su faire en même temps de ce principe une application éclairée? La formule légale qu'il lui a donnée est-elle à l'abri de toute critique? C'est là une autre question qui, pour ne plus toucher au système même de la loi et pour se renfermer dans le mode de son exécution, n'a pas une moins haute importance. En thèse générale, la meilleure forme de procédure est, suivant l'expression de Romagnesi1, « celle qui tend avec le plus de force à mettre la vérité en lumière et à lui faire pénétrer l'esprit du juge; » mais il faut ajouter avec Mittermaïer*, "pourvu qu'elle ne blesse aucun intérêt légitime, pourvu qu'elle ne permette pas le tort irréparable d'une injuste poursuite». Il ne suffit pas, en effet, que la procédure fasse luire la vérité aux yeux du juge, il faut qu'elle ne la dégage des faits qu'à l'aide de justes moyens, et qu'en cherchant à procurer la réparation d'un dommage, elle n'en produise pas un autre plus grave peut-être que le premier. Les tortures ont été très-souvent un moyen efficace de découvrir la vérité : leur utilité a-t-elle pu en absoudre l'emploi? Les arrestations multipliées, la mise au secret, les détentions prolongées, les violations de domicile, les interrogatoires suggestifs sont aussi des voies quelquefois assurées d'y arriver; s'ensuit-il qu'il faille en prodiguer l'usage? La justice ne doit-elle marcher à son but qu'à travers les mesures les plus oppressives? Elle cesserait d'être la justice. Le principe inquisitorial, qui recèle en lui-même une si grande puissance, renferme en même temps un danger, c'est l'abus facile qu'on peut en faire. Par cela seul que le juge assume tous les pouvoirs de l'instruction, il est naturellement porté à les étendre, soit parce que le but légitime qu'il veut atteindre justifie à ses yeux les moyens qu'il emploie, soit parce que le cercle de ses droits étant nécessairement flexible, à raison de la variété des faits et des circonstances variables dans lesquelles ils se manifestent, il les outre-passe en quelque sorte à son insu et de bonne foi. De là la tendance incessante de cette procédure à se servir des mesures les plus acerbes; de là les excès de pouvoir qui prennent leur source tantôt dans les vues étroites ou passionnées de la justice humaine, tantôt dans l'incertitude qui voile la nature véritable des faits au seuil de la procédure. 1 Genesi del diritto penale, tom. II, p. 421. 2 Traité de la preuve, chap. 3. 1562. Notre Code, dans l'organisation qu'il a faite de l'instruction préalable, loin d'édicter quelques moyens propres à contenir ces entraînements, s'est borné à attribuer au juge une puissance à peu près illimitée. Tous les droits de l'instruction sont établis; les cas où ils peuvent être exercés ne le sont pas. Toutes les mesures que la recherche des crimes peut rendre nécessaires sont autorisées; aucune condition n'est exigée pour leur application. Si quelques règles sont placées çà et là comme pour éclairer de temps en temps la conduite du juge, ces règles demeurent stériles, car elles n'ont pas de sanction. Il a suffi à la loi que ce magistrat fût armé d'un pouvoir assez grand pour atteindre tous les coupables, pour surmonter toutes les résistances, pour vaincre tous les obstacles; elle ne s'est point inquiétée de l'excès de ses actes; elle s'est fiée à sa sagesse et à sa modération; elle a préféré cette prudence pratique à sa propre prudence; elle a en quelque sorte abdiqué entre ses mains, peu soucieuse peut-être des droits qu'il pourrait fouler en passant, et plus disposéc à protéger l'ordre matériel que la liberté civile. Or, ce pouvoir discrétionnaire doit-il être le dernier mot de la loi pénale? Est-ce à poser cette règle, qui n'en est pas une, à créer ce dogme de l'arbitraire, qui dispense la loi de toute prévoyance, que doivent aboutir les travaux de la science et l'expérience du législateur? Les citoyens n'auront-ils d'autre défense contre les actes de l'instruction que les lumières et le caractère du juge qui les ordonne? Et ce juge lui-même, auquel un si grand pouvoir est départi, ne trouvera-t-il dans la loi aucun secours contre ses erreurs, contre ses passions, contre lui-même? La tâche du législateur serait trop facile si elle ne consistait qu'à constituer une autorité sans la définir, à créer des attributions sans les régler. Sa mission est plus haute et plus laborieuse. II doit prévoir chacun des cas où s'applique ce pouvoir qu'il délègne et fixer la mesure de son application. Il doit rechercher chacun des excès où ce pouvoir peut se laisser entraîner et placer à côté une voie de recours. Il doit porter sa sollicitude sur tous les points de la procédure qui peuvent être enlevés à la décision du juge et les décider lui-même. Il ne faut pas qu'il abandonne à la volonté individuelle du magistrat la mission qu'il a le droit d'accomplir lui-même. Il ne faut pas que la société demande des garanties au hasard au lieu de les trouver dans la loi. Il ne faut pas que les conditions de la procédure soient différentes pour les uns et les autres, plus ou moins rigoureuses, plus ou moins tracassières, suivant l'inclination des hommes qui les appliquent. 1563. C'est à ce point de vue que le Code d'instruction criminelle nous paraît présenter quelques lacunes dans ses dispositions. On y trouve l'institution puissante et efficace du juge d'instruction, le concours actifdu ministère public, l'impulsion intéressée mais nécessaire des parties lésées, tous les droits indispensables pour découvrir les crimes, constater les preuves, atteindre les inculpés. Cette procédure contient assurément toutes les conditions d'une action forte et habilement appropriée à sa mission; mais le législateur, en la constituant, a-t-il suffisamment fait la part de tous les intérêts qui forment dans leur ensemble l'intérêt suprême de la justice? A-t-il déposé dans la loi toutes les sauvegardes qui doivent veiller incessamment au respect du droit dans la personne de chaque citoyen? A-t-il voulu, avec assez de fermeté, que l'instruction, qui n'est qu'un instrument de justice, ne pût jamais devenir un instrument d'oppression? Nous ne voulons point préciser encore les points où le silence de la loi semble accuser son imprévoyance ou son impartialité. A mesure que notre matière se développera sous nos yeux, ces questions ressortiront d'elles-mêmes. Nous essayerons de démontrer combien de lacunes regrettables renferme notre législation. Elles ont en général pour objet soit la définition incomplète des pouvoirs du juge, qui n'ont ni limites ni règles précises; soit la responsabilité de ce magistrat, qui en dehors des cas de prise à partie n'existe pas; soit le recours qui devrait être ouvert contre ses actes, et dont le prévenu ne peut user, parce qu'il ne les connaît pas; soit le système qui enveloppe d'un secret absolu toute la procédure préliminaire, sans laisser aucune voie ouverte à la défense; soit enfin les détentions provisoires, qui sont souvent ordonnées et plus souvent prolongées sans que la justice la plus rigoureuse y puisse trouver aucun intérêt. L'ordre de nos matières les soulèvera. Elles ne font au surplus que formuler, sous ses faces diverses, le problème éternellement posé devant le législateur, et qui consiste à concilier l'ordre et la liberté, les garanties de la sûreté générale et de la sûreté individuelle. Les droits de la cité et les droits des citoyens sont, en ma |