Page images
PDF
EPUB

l'ancienne jurisprudence, la réaudition des témoins avant le réglement de la procédure était interdite; il était de principe qu'on ne pouvait entendre deux fois un témoin sur un même fait1. Si des omissions ou des erreurs se révélaient dans une déposition, il fallait attendre, pour les réparer, le récolement général des témoins dans la procédure extraordinaire. Cette prohibition n'existe plus : lorsque le juge est averti qu'un témoin n'a pas déclaré tout ce qu'il savait, il peut le citer une seconde fois et l'interpeller de compléter ses premières déclarations.

Il peut également confronter les témoins avec le prévenu et leur représenter les pièces de conviction toutes les fois que ces mesures sont nécessaires pour éclaircir les doutes ou pour donner à leurs déclarations une plus grande certitude*.

Peut-il confronter les témoins entre eux pour expliquer les points obscurs ou contradictoires de leurs dépositions? « On peut bien, dit Ayrault, les redemander et ouïr séparément deux fois, trois fois, pour voir s'ils se desdiront ou persisteront en ce qu'ils sont varians, sans leur dire et spécifier qu'ils le soient. Mais le faire en la présence les uns des autres et par la lecture des dépositions d'autrui; leur cotter et apprendre leurs variations et contradictions, afin qu'ils viennent tous à s'accorder et charger d'un pied plus vivement, c'est, ce me semble, faire office d'accusateur, non pas de juge; c'est ne chercher qu'à condamner, non à absoudre *. » Que le juge, en effet, relève la contradiction des témoins, qu'il s'efforce de les résoudre par des auditions réitérées, il le peut sans aucun doute; mais peut-il, en mettant les témoins en présence, les avertir de ces contradictions et les provoquer à les faire disparaître en se mettant d'accord sur les faits? Ne serait-ce pas enlever au prévenu tout le bénéfice de ces variations? « Car, dit encore Ayrault, qu'est-ce qu'il y a de plus à la défense de l'action que la variation et discordance des témoignages? C'est le purger à son préjudice que de confronter ainsi les témoins respectivement; c'est oster au défendeur l'industrie permise de droict, de pouvoir par interrogatoire surprendre la falsité ou affection des témoins. » Cette mesure était en consé

1 Jousse, tom. II, p. 96; Muyart de Vouglans, de l'Inst. crim., p. 251.

[merged small][ocr errors][merged small]

quence interdite dans l'ancienne jurisprudence; « On ne peut, dit Muyart de Vouglans, confronter les témoins aux témoins; ce serait ôter à l'accusé le moyen de se justifier, en empêchant les contradictions où ceux-ci pourraient tomber dans leurs dépositions, étant entendus séparément1. » Cette règle, conforme au texte de l'article 73 du Code d'instruction criminelle, doit être maintenue dans notre pratique.

§ IX. Rédaction du procès-verbal de l'information.

1870. La loi a attaché avec raison une haute importance à la rédaction du procès-verbal de l'information. Elle a voulu que ce procès-verbal reproduisît les dépositions des témoins dans toute leur vérité; elle a voulu les protéger contre toute altération soit au moment où elles sont recueillies par l'écriture, soit après leur consignation écrite; de là les précautions qui font l'objet des articles 76, 77 et 78 du Code d'instruction criminelle.

Nous examinerons d'abord l'esprit général qui doit présider à cette rédaction, ensuite les formes matérielles destinées à la rendre authentique.

En thèse générale, le procès-verbal doit être la reproduction textuelle de la déclaration du témoin. Il importe, en effet, pour imprimer à cette déclaration son caractère vrai, de lui conserver son langage, ses locutions plus ou moins affirmatives, ses expressions plus ou moins impropres, en un mot sa véritable physionomie; la revêtir de formes nouvelles, la traduire dans une langue plus correcte, c'est risquer d'en altérer le sens. Ce que la justice recherche, ce n'est pas l'élégance des mots, c'est leur vérité; ce qu'elle demande au procès-verbal, ce n'est pas une analyse claire et précise de l'enquête, c'est cette enquête ellemême avec ses prolixités et ses contradictions. Bentham veut même que le procès-verbal rapporte « non-seulement les discours, mais encore les incidents caractéristiques, comme les gestes, les exclamations, les lenteurs affectées à répondre et les autres symptômes qui font juger de la déposition des témoins3». Cette règle, que nos anciens praticiens enseignaient déjà, a

1 Institutes, p. 275.

2 Traité des preuves judiciaires, p. 245.

3 Bruneau, Maximes, p. 69.

été plus d'une fois indiquée, « N'oubliez pas, dit M. Gaillard, que le plus communément les juges d'instruction commettent souvent cette faute: la déclaration du témoin, quels que soient son âge, son éducation, sa position sociale, est toujours consignée dans un style correct et fort épuré, comme si la grossièreté du langage et les locutions vicieuses du témoin pouvaient être imputées au juge... Il résulte de cet abus à peu près général qu'au lieu de trouver dans la première information la déclaration du témoin, on n'y trouve plus que la manière dont le premier juge a saisi le sens de cette déclaration. On ne manque pas, à la vérité, de donner lecture au témoin de sa déclaration; il a la faculté de faire rectifier les erreurs qui s'y seraient glissées. Mais si le témoin est un enfant, un homme du peuple, saisira-t-il toujours la différence de ce qu'il a dit avec ce qu'on lui a fait dire? Ne croirait-il pas manquer de respect au juge d'instruction en demandant qu'on fit quelque changement à ce qui est écrit? N'est-il pas vrai d'ailleurs que ce qui l'occupe uniquement, c'est le désir de sortir de la chambre d'instruction? Pourquoi donc n'écrirait-on pas la déposition du témoin absolument dans les mêmes termes qu'il l'exprime'? » Nous citerons encore les paroles suivantes, que nous empruntons à un discours de rentrée : « La minutieuse exactitude des procès-verbaux révélera jusqu'à la fermeté ou à l'hésitation des témoignages. Si, par un artifice de style, l'accent même des paroles pouvait passer dans leur rédaction, cela ne serait que mieux; çar les écritures ont toujours quelque chose de mort et d'incomplet qui fait que la vérité n'est vivante et entière qu'aux débats. Quelques magistrats ont cru que leur obligation se bornait à rendre fidèlement le sens des déclarations, qu'il leur était permis d'enlever les incorrections du langage et de polir une naïveté quelquefois grossière. Ils pensaient que des procès-verbaux rédigés avec soin et élégance attiraient et fixaient mieux l'attention. C'est une erreur. Chacun doit parler son langage. Quand on corrige, on résume, on affaiblit. Souvent la vérité jaillit d'une expression vulgaire, et souvent il y a dans une parole brusque, que la correction condamne, une éloquence qui persuade : les témoins, les inculpés ont le droit et le devoir d'être eux-mêmes. Laissez faire la nature; n'ôtez pas au fanatique ses expressions hardies, à l'homme que la jalousie dévore ses ac1 Des devoirs des présidents d'assises, p. 43.

cents passionnés, à l'innocent sa parole simple et reposée; que votre instruction soit un miroir où se réfléchisse la réalité; c'est un devoir qui demande, pour être accompli, plus de talent que n'en exigerait une rédaction savante et concise 1.

[ocr errors]

1871. De là plusieurs conséquences. La première, et la plus importante, est que le juge, pour conserver à la rédaction du procès-verbal toute sa vérité, doit se garder de se former aucune opinion sur la culpabilité ou l'innocence du prévenu, sur la vérité ou la fausseté de tel ou tel fait, avant que l'instruction soit terminée *. Car une opinion formée à l'avance se reflète, même à son insu, sur tous les actes de la procédure; elle les associe à ses tendances; elle attribue aux paroles, aux gestes, à l'accent des témoins un sens particulier; elle ne cherche partout que des motifs de se fortifier; elle néglige ou ne voit pas tout ce qui lui est opposé. La plus entière impassibilité est nécessaire pour rédiger un procès-verbal qui doit, comme un miroir, reproduire tous les faits, sans les augmenter ni les diminuer en quoi que ce soit. Or, comment le juge qui a un parti pris, un avis arrêté sur la prévention, protégera-t-il avec les mêmes scrupules la limpidité des dépositions contre toute influence, contre toute pression? Ne sera-t-il pas porté, contre son gré, à leur donner un sens qui lui convient ou à les faire plier, par ses interpellations ou sa rédaction, à l'interprétation qu'il croit être la vérité? Un esprit exempt de toute préoccupation peut seul conserver aux faits leur caractère vrai.

Une autre conséquence, mais celle-ci est purement matérielle, est que, dans la rédaction des dépositions, le juge doit faire parler les témoins à la première personne, comme s'ils dictaient euxmêmes leur témoignage. « Raconter ce que le témoin a dit, au lieu de le faire parler lui-même; écrire que le témoin dépose que tel jour, à telle heure il a vu telle chose, au lieu de lui faire dire: tel jour, à telle heure, j'ai vu, est un usage bizarre qui nuit à la précision et à la clarté de la déposition écrite. Comparez deux dépositions identiques, dont l'une est rédigée à la première personne et l'autre à la troisième, et vous reconnaîtrez la justesse de cette observation. Il semble d'ailleurs que le témoin que l'on fait parler directement est plus intéressé à surveiller l'exactitude de la rédaction de sa déposition. Lorsque le juge d'instruction parle en son nom, le témoin peut penser que l'exactitude devient l'affaire de ce juge et qu'elle n'est plus la sienne; il peut penser qu'il n'est responsable que de ce qu'il dit en son propre

1 M. Desclozeaux, Gaz. des trib., 4 nov. 1836. 2 Mangin, tom. I, p. 203.

nom'. »

Enfin, une troisième conséquence est que le procès-verbal doit exactement recueillir non-seulement les paroles mêmes du témoin, mais les circonstances incidentelles qui les ont accompagnées; si elles ont été dites spontanément ou en réponse à une question, et quels ont été les termes de cette question; si elles n'ont été prononcées qu'avec hésitation; si, après avoir été énoncées, elles ont été d'abord rétractées, et n'ont été rétablies que sur l'observation du juge. Il est évident que le procès-verbal qui ne réfléchit pas toutes ces nuances de la déposition, tous ces incidents qui ne pourraient en être élagués sans la tronquer, n'est pas l'image fidèle du témoignage oral.

1872. Nous arrivons maintenant aux formes matérielles du procès-verbal. L'article 76 porte : « Les dépositions seront signées du juge, du greffier et du témoin, après que lecture lui en aura été faite et qu'il aura déclaré y persister : si le témoin ne veut ou ne peut signer, il en sera fait mention. »

Il résulte de ce texte : 1o que les dépositions doivent être écrites par le greffier telles qu'elles ont été prononcées; ce sont, en effet, les dépositions elles-mêmes que le procès-verbal doit recueillir. Il est évident, toutefois, puisque ce procès-verbal est l'œuvre du juge et que le greffier ne fait que l'écrire sous sa dictée, que le juge a le droit de leur donner la forme et l'étendue qu'il croit convenables.

2o Que les dépositions doivent être écrites en présence des témoins, puisqu'il doit leur en être donné immédiatement lecture. Ce serait un abus que de les recueillir sur de simples notes pour servir à la rédaction ultérieure du procès-verbal : la loi veut que la rédaction soit faite sur-le-champ en présence du juge et du témoin.

3o Que lecture de chaque déposition, après qu'elle est ter

1 Mangin, tom. I, p. 205.

2 Ord. 1670, tit. VI, art. 9. - Duverger, tom. II, p. 385.

« PreviousContinue »