Page images
PDF
EPUB

à la parole du notaire, il ne peut en vérifier l'exactitude; mais il n'est pas néanmoins sans importance de tracer avec précision le double devoir qui pèse sur cet officier: mis en demeure par la justice, placé entre un intérêt social et un intérêt privé, on doit croire qu'il s'efforcera de le remplir.

1857. Une règle qui s'applique à toutes les personnes qui, dépositaires par état des secrets qu'on leur confie, peuvent demander dans certains cas d'être dispensées de témoigner, est que cette faculté ne les dispense jamais de comparaître devant le juge.

La citation impose à la personne qui la reçoit deux obligations : celle de comparaître et celle de déposer. La profession du témoin, le devoir qu'il a contracté lorsque les faits sur lesquels il est interpellé lui ont été confiés, peuvent créer en sa faveur une dispense de témoigner; ils ne peuvent, dans aucun cas, l'exempter de se rendre à la citation et d'obéir à l'ordre de la justice.

On vient de voir d'ailleurs que les cas où les médecins, les prêtres, les avocats et les notaires peuvent s'abstenir ne sont pas si clairement indiqués qu'aucun doute ne puisse s'élever à cet égard. Il est nécessaire que le juge puisse apprécier si le témoin a acquis la connaissance des faits sous le sceau du secret, s'il est médecin ou notaire; dans le sacrement de la confession, s'il est prêtre; dans l'exercice du droit de défense, s'il est avocat ou avoué. Car il lui appartient de décider si le témoin est fondé à invoquer la dispense, s'il y a lieu de l'admettre ou de le contraindre à déposer par les voies de droit.

C'est au moment où le témoin est interpellé de prêter serment, et avant cette prestation, qu'il doit déclarer le motif qui s'oppose à sa déposition. Cette déclaration, faite après le serment prêté, serait évidemment tardive; car le témoin qui prête le serment de dire toute la vérité sur les faits relatifs à l'instruction dans laquelle il est entendu ne peut ensuite, sans violer la religion de ce serment, restreindre sa déposition et céler tout ou partie de la vérité. Il renonce par lui-même à la dispense qu'il pouvait invoquer; il est acquis comme témoin à l'instruction '.

1 Arr. cass. 20 janv. 1826 (J. P., tom. XX, p. 74).

§ VII. Formes de l'audition des témoins.

1858. Les témoins, aux termes de l'article 73 du Code d'instruction criminelle, doivent être « entendus séparément et hors la présence du prévenu, par le juge d'instruction, assisté de son greffier ».

Cette première règle de l'audition des témoins a été puisée dans l'article 11 du titre VI de l'ordonnance de 1670. Ses motifs sont qu'il importe d'obvier à tout concert entre eux et d'empêcher que l'un puisse, par une pente naturelle, suivre la voie tracée par l'autre, reproduire ses déclarations et omettre ce qu'il a omis.

L'article 316 du Code d'instruction criminelle dispose que le président de la cour d'assises « prendra des précautions, s'il en est besoin, pour empêcher les témoins de conférer entre eux du délit et de l'accusé avant leur déposition». Il est évident que ces précautions peuvent être prises par le juge d'instruction aussi bien que par le président des assises, toutes les fois qu'il y a lieu de craindre que les témoins, en conférant entre eux, ne soient amenés à altérer la vérité.

1859. Les témoins doivent être entendus non-seulement séparément, mais hors la présence de toute autre personne que le juge et le greffier.

Cette seconde règle, écrite comme la première dans l'article 11 du titre VI de l'ordonnance de 1670, n'a pas été textuellement reproduite dans notre Code; mais elle résulte implicitement, d'abord, du texte même de l'article 73, qui suppose évidemment que le témoin n'est entendu que devant le juge assisté du greffier; ensuite, du principe général, qui veut que tous les actes de l'instruction écrite soient secrets 1. « La raison est, dit Bornier, parce qu'on croit que le témoin dépose plus véritablement lorsqu'il est ouï en secret, que s'il venait à déposer en présence des parties, dont la crainte ou la considération pourrait retenir ou corrompre son témoignage *. »

2

La loi ajoute que les témoins seront entendus hors de la présence du prévenu. Cette addition, peut-être inutile, est la reproduction de l'article 9 de la loi du 7 pluviose an IX, qui modifiait sur ce point l'article 115 du Code du 3 brumaire an IV. Dès que l'audition est séparée et secrète, il en résulte nécessairement qu'elle ne peut avoir lieu en présence du prévenu '.

1 Voy. suprà no 1826. 2 Tom. II, p. 80.

1

De cette prohibition ainsi limitée on pourrait induire que la partie civile et le ministère public peuvent être présents à l'audition. Cette induction serait complétement erronée. Dans l'ancienne législation, cette assistance était formellement prohibée *. Tous les praticiens posent, en conséquence, comme une règle qui n'admet aucune exception, que « les procureurs du roi ou fiscaux ne peuvent être présents à l'information, non plus qu'aux interrogatoires, récolements et confrontations *». Il en doit être nécessairement ainsi dans notre législation nouvelle. Cela résulte d'abord du texte des articles 73 et 76, qui n'admettent à l'audition que le juge et le greffier; ensuite de l'esprit de notre Code, qui a été de reprendre, en tout ce qui concerne l'information, les règles de notre ancien droit. Or, parmi ces règles, il n'en était point qui fût plus certaine et mieux motivée que celle-ci: comment admettre la présence du ministère public ou de la partie civile à l'audition des témoins, quand le prévenu n'est pas présent? Comment admettre les observations et l'influence de l'une des parties en l'absence de l'autre, les questions qu'elle pourrait adresser aux témoins, la direction qu'elle pourrait imprimer à l'instruction?

Mais le greffier est l'auxiliaire nécessaire du juge. « Il est, dit Bruneau, comme le témoin de ce que fait le juge, et l'un ne peut rien faire sans l'autre 5. » Sa présence est une garantie de l'exactitude et de la fidélité de l'information écrite, et elle est réellement la condition sous laquelle la loi a donné au juge le droit de recevoir la déclaration des témoins.

1860. Aux termes de l'article 74, les témoins « représenteront, avant d'être entendus, la citation qui leur aura été donnée pour déposer, et il en sera fait mention dans le procès-verbal ». Cette disposition, qui est la reproduction textuelle de l'article 4, titre VI, de l'ordonnance de 1670, a pour but de constater que le témoin ne se présente pas spontanément, que sa démarche n'est pas le résultat d'un sentiment personnel, et qu'il ne fait qu'obéir à l'ordre de la justice.

1 Conf. ord. 1670, tit. VI, art. 11; Muyart de Vouglans, Inst. crim., p. 249; Jousse, tom. II, p. 81.

2 Ord. 1670, tit. VI, art. 11; tit. XXIV, art. 2.

3 Jousse, tom. II, p. 82; Muyart de Vouglans, Inst. crim., p. 249; Bruneau,

p. 67.

4 Conf. Bourguignon, Jur. des C. cr., tom. I, p. 182; Carnot, tom. I, p. 355. * Maximes, p. 67.

6 Mangin, de l'Instr. écrite, tom. I, p. 97. - Voy. suprà no 1789.

Cependant, s'il avait oublié ou perdu la copie de la citation qui lui a été remise, il ne devrait pas moins être entendu dès qu'il serait constaté, par l'original de l'exploit, qu'il a été réellement assigné'. C'est l'appel de la justice qui fait le témoin, et il importe peu que cet appel soit prouvé de telle ou telle manière.

Il suffit également que le témoin ait été assigné pour qu'il puisse être entendu, quand même il comparaîtrait avant l'échéance du délai de l'assignation *. « Il faut aussi observer, dit Jousse, que l'erreur dans l'assignation n'empêche pas que la déposition du témoin assigné ne soit valable. C'est pourquoi si l'huissier, en assignant à domicile, s'était trompé sur le domicile du témoin, et que le témoin comparût, sa déposition n'en serait pas moins valable, parce qu'il suffit qu'il ait été assigné. La nullité sur l'erreur du domicile ne regarderait alors que le témoin pour l'excuser, s'il n'était pas comparu *. »

3

1861. Les témoins doivent, avant de déposer, prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité *.

La loi du 16-29 septembre 1791 et le Code du 3 brumaire an IV n'exigeaient point que les témoins ouïs dans l'information prêtassent serment. Notre Code, en reprenant cette formalité prescrite par l'article 5 du titre VI de l'ordonnance de 1670, a voulu assurer aux déclarations des témoins, qui servent de base à la mise en prévention ou à la mise en accusation, une garantie de sincérité. Mais, en se conformant en même temps à l'article 11 du titre XV de la même ordonnance, qui ne permettait de poursuivre comme faux témoins que les témoins entendus depuis le récolement, l'article 361 du Code pénal n'étend point les peines du faux témoignage aux témoins entendus dans le cours de l'instruction écrite 1. Il en résulte que ces témoins, bien qu'ils aient déposé sous la foi du serment, n'apportent pour ainsi dire à la justice que des déclarations provisoires, puisqu'ils peuvent les rétracter au débat sans encourir aucune responsabilité pénale. Ces déclarations sont plus que de simples renseignements, ainsi que nous l'avons établi3: ce ne sont pas de véritables témoignages.

1 Conf. Muyart de Vouglans, Inst. crim., p. 230.

2 Jousse, tom. II, p. 83 et 84.

3 Ibid.

4 Cod, d'instr. crim., art. 75,

L'article 79 fait une exception : « Les enfants de l'un et de l'autre sexe, au-dessous de l'âge de quinze ans, pourront être entendus par forme de déclaration, et sans prestation de serment. La loi romaine ne permettait pas d'assigner comme témoin le mineur de vingt ans, qui minor viginti annis erit. L'article 2 du titre VI de l'ordonnance de 1670 laissait au juge une grande latitude : « Les enfants de l'un ou l'autre sexe, quoique au-dessous de l'âge de puberté, pourront être reçus à déposer, sauf en jugeant d'avoir par les juges tel égard que de raison à la nécessité et solidité de leur témoignage. » Notre Code a tout à fait adopté cette dernière règle; il admet tous les enfants à déposer, sauf au juge à apprécier s'ils sont en état d'apporter des renseignements utiles: mais, et en cela il introduit dans la loi une disposition nouvelle, il ne les admet qu'à titre de déclaration jusqu'à l'âge de quinze ans. Et cependant cette limite n'est point absolue, et il n'est point exact de dire, comme le fait M. Desquiron, « que la loi veut impérieusement que les enfants au-dessous de quinze ans ne soient entendus que par forme de déclaration et sans prestation de serment * ». La disposition de l'article 79 est purement facultative : il appartient au juge d'apprécier si l'enfant comprend l'importance du serment, et s'il y a lieu de lui imposer une formalité qui n'est une garantie que lorsque la conscience en sent le poids.

Le témoin ne peut être tenu de prêter serment qu'en se conformant aux rites du culte auquel il appartient. Nous développerons cette règle lorsque nous serons arrivé à la procédure de la cour d'assises.

1 Théorie du Code pénal, tom. IV, p. 441,

2 M. Mangin propose la suppression de ce serment, tom. I, p. 199.

3 Voy. suprà no 1831.

4 L. 20, Dig., De testibus.

5 De la preuve par témoins, p. 109.

6 Arr. cass. 2 janv. 1818 (J. P., tom. XIV, p. 353); 27 avril 1827 (J. P., tom. XXI, p. 385). - Carnot, tom. I, p. 356; Legraverend, tom. I, p. 292.

« PreviousContinue »