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été puisées dans l'ancienne jurisprudence', qui les avait établies en s'appuyant sur ce texte de Paul : ad eos qui valetudine impediuntur, domum mitti oportet ad jurandum.

Est-il nécessaire, pour que le témoin soit dispensé de comparaître, qu'il se trouve dans une impossibilité absolue de se transporter? ne peut-il invoquer son âge, ses infirmités, une indisposition mème, aussi bien qu'un état de maladie qui rend le transport impossible? Il appartient au juge d'apprécier la bonne foi du témoin, la validité des motifs qu'il allègue, la gravité plus ou moins intense de la maladie ou de l'empêchement qu'il fait valoir. Il est elair que cette appréciation doit prendre pour éléments l'âge, les habitudes, l'état ordinaire de santé de la personne qui réclame. L'article 83 semble abandonner au certificat de l'homme de l'art le jugement de l'impossibilité; mais le juge doit vérifier s'il est sincère et si les faits constatés n'ont pas été exagérés, puisque l'article 86 lui donne le droit de décerner un mandat de dépôt contre l'officier de santé qui aurait inséré dans son certificat des énonciations mensongères.

1840. Un dernier cas d'excuse a lieu lorsque le témoin est placé sous le poids d'une condamnation emportant contrainte par corps. Il a paru que le témoin qui ne peut se présenter sans être arrêté doit être considéré comme étant dans l'impossibilité de se présenter. La loi a accordé au juge le pouvoir de lui accorder un sauf-conduit.

L'article 782 du Code de procédure civile est ainsi conçu : « Le débiteur ne pourra non plus être arrêté, lorsque, appelé comme témoin devant un juge d'instruction, ou devant un tribunal de première instance, ou une cour impériale ou d'assises, il sera porteur d'un sauf-conduit. Le sauf-conduit pourra être accordé par le juge d'instruction, par le président du tribunal ou de la cour où les témoins devront être entendus. Les conclusions du ministère public seront nécessaires. Le sauf-conduit réglera la durée de son effet, à peine de nullité. En vertu du sauf-conduit, le débiteur ne pourra être arrêté ni le jour fixé pour sa comparution, ni pendant le temps nécessaire pour aller et pour revenir. » Cette disposition, qui reproduit une règle de l'ancienne jurisprudence' déjà consacrée par l'article 8, titre III, de la loi du 15 germinal au VI, doit être restreinte dans ses termes; car il est évident qu'elle crée une exception au droit commun. Il faut donc décider: 1o que le sauf-conduit ne peut être accordé que pendant le temps rigoureusement nécessaire à la réception du témoignage ; 2o qu'il ne peut être accordé que dans le seul cas prévu par l'article 782, celui où un débiteur contraignable par corps est cité comme témoin, sans distinguer, d'ailleurs, si ce débiteur est partie plaignante au procès; car sa déposition peut être dans l'un et l'autre cas nécessaire à la justice ; mais que cette mesure ne peut être étendue au cas où le témoin serait non pas seulement contraignable par suite d'une condamnation pour dettes, mais décrété de prise de corps par l'effet d'une prévention 5. Notre législation n'a pas reproduit cette dernière hypothèse, que l'ancienne jurisprudence avait consacrée ; or, le droit de surseoir à l'exécution des mandements de justice ne peut résulter que d'une disposition expresse de la loi 7.

1 Farinacius, quæst. 80, n. 36.

2 L. 15, Dig., De jurejurando.

Si le témoin est détenu dans l'arrondissement où la procédure est instruite, le juge d'instruction peut soit se transporter au lieu de sa détention pour procéder à son audition, soit ordonner son extraction et sa translation devant lui 8.

1841. Les témoins qui sont dans l'impossibilité de comparaître doivent présenter leurs excuses, soit par l'envoi au juge d'instruction des pièces justificatives du fait d'excuse, soit par un fondé de procuration spéciale 1o.

Le certificat de l'officier de santé n'est assujetti à aucune forme spéciale; il est seulement nécessaire qu'il soit légalisé.

1 Jousse, tom. II, p. 80.

2 Arr. cass. 5 vend. an XI (J. P., tom. III, p. 2).

8 Arr. cass. 17 févr. 1807 (J. P., tom. V, p. 681).

4 Jugem. trib. de la Seine 9 juin 1841 (J. Av., 60, 384).

5 Mangin, n. 105.

6 Julius Clarus, in suppl. quæst. 32, n. 28; Jousse, tom. II, p. 80.

7 Mangin, n. 105.

8 Conf. Mangin, n. 105; Duverger, n. 276.

9 C. instr. crim., art. 83.

10 Jousse, tom. II, p. 80.

§ V. De la prohibition d'entendre certains témoins. 1842. La loi a frappé certaines personnes, qui sont liées au prévenu par un lien étroit de parenté ou d'alliance, d'une incapacité de témoigner, non point absolue, mais relative; elle a fondé cette incapacité soit sur la présomption que ces témoins sont suspects de partialité en faveur du prévenu, soit sur un intérêt moral qui s'oppose à ce que les membres d'une même famille soient opposés les uns aux autres dans un débat criminel. Les articles 156 et 322 du Code d'instruction criminelle portent que les dépositions des ascendants ou descendants du prévenu ou de l'accusé, ses frères et sœurs ou alliés au même degré, sa femme ou son mari, ne peuvent être reçues; et toutefois ces deux articles ajoutent : « Sans néanmoins que l'audition des personnes ci-dessus désignées puissent opérer une nullité, lorsque soit le ministère public, soit la partie civile, soit le prévenu, ne se sont pas opposés à ce qu'elles soient entendues. » Ces dispositions s'appliquent-elles à l'instruction écrite? Le juge d'instruction peut-il faire citer les personnes dont l'audition est prohibée par les articles 156 et 322 et recevoir leurs dépositions?

En général, il ne faut point étendre les prohibitions de témoigner, car ces prohibitions ont pour effet de faire obstacle à la manifestation de la vérité. La loi romaine arrêtait l'incapacité au second degré : Parentes et liberi invicem adversùs se nec volentes ad testimonium admittendi sunt 1. L'ordonnance de 1670 n'avait point reproduit pour les matières criminelles les prohibitions portées par l'article 11 du titre XXII de l'ordonnance de 1667, pour les enquêtes en matière civile, et le principe de la jurisprudence était d'admettre les dépositions des parents, sauf à en apprécier la valeur *. Jousse, Muyart de Vouglans et Rousseaud de la Combe enseignent formellement qu'en matière criminelle les parents et alliés des parties sont reçus à déposer, sauf aux juges d'avoir tel égard que de raison à la nécessité et à la solidité de leur témoignage 3.

Notre instruction écrite, qui a repris en général toutes les

1 L. 6, Cod., De testibus; 1. 9, Dig., De testibus.

2 Serpillon, tom. I, p. 464.

3 Jousse, tom. II, p. 104; Muyart de Vouglans, Inst. crim., p. 235; Rousseaud

de la Combe, p. 189.

règles de notre ancien droit, ne paraît point s'être écartée ici de cette jurisprudence. L'article 33 du Code d'instruction criminelle, relatif au cas de flagrant délit, porte: « Le procureur impérial pourra appeler à son procès-verbal les parents, voisins ou domestiques, présumés en état de donner des éclaircissements sur le fait; il recevra leurs déclarations, qu'ils signeront. « Ainsi, la procédure sommaire instruite au cas de flagrant délit doit recueillir les dépositions des parents, et par conséquent le juge d'instruction, quand il dirige lui-même cette procédure, doit les appeler à déposer. Or, cette audition à laquelle le juge doit procéder, dans l'instruction écrite, au cas de flagrant délit, lui estelle interdite dès que le délit n'est plus flagrant? Quel serait le motif de cette distinction? L'intérêt de recueillir au début de la procédure tous les éléments qui doivent éclairer sa marche n'est-il pas le même dans l'un et l'autre cas? Aussi le Code, lorsqu'il s'occupe de l'audition des témoins, hors du cas de flagrant délit, ne fait aucune restriction. L'article 71 porte que « le juge d'instruction fera citer devant lui les personnes qui auront été indiquées par la plainte, par le procureur impérial ou autrement, comme ayant connaissance du crime ». L'article 80 ajoute : « Toute personne citée pour être entendue en témoignage sera tenue de comparaître et de satisfaire à la citation. » Ainsi, la disposition de la loi est générale; elle n'admet, elle ne suppose mème aucune restriction à l'obligation du témoignage.

1843. La question est donc de savoir si les articles 156 et 322, qui interdisent, en général, le témoignage des parents à l'audience, doivent étendre leur autorité même hors de l'audience et jusque sur l'instruction écrite. Quels sont les motifs qui ont fondé cette prohibition? C'est d'abord que le témoignage des parents n'inspire qu'une médiocre confiance, ils sont suspects; le lien de la famille les enchaîne et leur enlève leur impartialité et leur désintéressement. C'est ensuite que la justice ne doit point employer des moyens qui blessent la morale et les sentiments légitimes de l'homme; elle ne doit point mettre aux prises deux devoirs également sacrés, le devoir social du témoin et le devoir naturel du fils, de l'époux, du frère; elle ne doit point donner le spectacle de ce débat douloureux et ébranler par là les sentiments qui font la base de la société, sous le prétexte de la protéger. Et cependant, quelque généraux que soient les motifs, la règle qui en est le corollaire a dû recevoir des restrictions. En effet, l'incapacité résultant de la parenté n'est point de sa nature absolue: fondée sur une présomption de partialité et sur une considération morale, elle ne doit pas avoir les mêmes effets dans les cas où cette présomption peut être combattue par une présomption contraire, où cette considération peut ne pas se présenter avec la même force. Il a paru impossible, dans l'intérêt non de la répression des délits, mais de la manifestation de la vérité, que la source la plus vive des preuves, les déclarations des proches, pût être entièrement fermée à la justice. Les articles 156 et 322, après avoir posé la prohibition du témoignage, ajoutent : « Sans que néanmoins l'audition des personnes ci-dessus désignées puisse opérer une nullité, lorsque soit le ministère public, soit la partie civile, soit le prévenu, ne se sont pas opposés à ce qu'elles soient entendues. » On a induit de ce texte: 1o que les reproches qui peuvent être proposés contre les témoins ne constituaient point un obstacle absolu à leur audition; 2o que la prohibition légale n'a d'autre effet que de donner aux parties le droit de s'opposer à cette audition; 3o qu'à défaut d'opposition, ces témoins peuvent être entendus comme s'ils étaient complétement idoines. Enfin, la jurisprudence a admis que les témoins prohibés, à l'audition desquels les parties se sont opposées, peuvent encore, et nonobstant cette opposition, être entendus, non plus, à la vérité, avec serment, mais en vertu du pouvoir discrétionnaire et à titre de renseignements. Ainsi restreinte, que devient la prohibition? Subordonnée d'abord à l'opposition des parties, éludée ensuite, lors même que les parties s'opposent, par le pouvoir discrétionnaire du président, existe-t-elle réellement ? Les restrictions qu'elle subit ne tendent-elles pas au moins à l'effacer entièrement? On peut dire que la nécessité des choses l'a voulu ainsi, que les tribunaux ne peuvent être privés des renseignements les plus précieux, que la règle ainsi circonscrite permet de concilier les exigences de la morale et les exigences de la justice. Nous ne discutons point ici cette interprétation que nous examinerons ultérieurement; nous en inférons seulement que l'on ne doit voir dans les articles 156 et 322 qu'une prohibition relative et non point absolue, facultative et non point obligatoire, de procéder à l'audition des proches parents.

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