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élève une sorte de présomption qu'ils déposent avec trop de facilité: faciles ad testimonium ferendum, facilè mentiuntur 1. Les témoins doivent donc justifier, par la production de la citation, qu'ils ne se présentent que pour obéir à la justice *.

Aux termes de l'article 72, « les témoins seront cités par un huissier ou par un agent de la force publique, à la requête du procureur impérial ». Il suit de là que le juge d'instruction doit rendre une ordonnance nommée cédule pour indiquer les témoins qu'il se propose d'entendre et le jour où ils devront comparaître devant lui; cette ordonnance, transmise au procureur impérial, est exécutée à sa requête. Ces citations sont faites soit par les huissiers du lieu de la résidence des témoins, soit par les huissiers du chef-lieu d'arrondissement, qui peuvent, avec un mandement exprès, instrumenter hors du canton de leur résidence, soit, dans les cas d'urgence, par les gendarmes, soit enfin par les gardes champêtres et les gandes forestiers.

1835. Toute personne citée pour être entendue en témoignage doit obéir à la citation.

Le témoignage, en effet, est un devoir à la fois moral et civique. Tout homme a l'obligation de déclarer à la justice tout ce qu'il a vu et entendu sur les faits qu'elle poursuit; car ce qu'il a vu et entendu est un élément nécessaire des jugements qu'elle va rendre; son refus de comparaitre ou de déposer, en privant le juge des lumières qui lui sont indispensables pour juger, aurait pour résultat d'égarer ses décisions, en leur laissant une base erronée; il se rendrait complice de ses erreurs en lui déniant son témoignage *. Il accomplit en même temps un devoir civique; car, membre de la société, il lui doit son concours lorsqu'elle cherche à assurer la répression des crimes et des délits. Le citoyen aux yeux duquel un fait incriminé a été exécuté revêt accidentellement une sorte de caractère public; appelé à instruire le juge de ce qu'il sait, il n'est pas l'auxiliaire de la prévention, il est l'auxiliaire de la justice; il fournit au jugement ses éléments, il

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1 Glos, ad 1. 18, Cod., De testibus.

2 Conf. Bornier, tom. II, p. 75; Jousse, tom. II, p. 77; Carnot, tom. I,

p. 334; Legraverend, tom. I, p. 256.

3 Déerets des 18 juin 1811, art. 84, et 14 juin 1813, art. 24 et suiv.

4 Ord. du 29 oct. 1820, art. 68.

5 Ayrault, liv. III, 2a part., n. 21.

restitue à la société la vérité dont un événement quelconque l'a fait dépositaire.

Ce principe a été nettement consacré par la loi. L'article 80 du Code d'instruction criminelle porte : « Toute personne citée pour être entendue en témoignage sera tenue de comparaître et de satisfaire à la citation. » Deux obligations sont done imposées à la personne citée: elle doit comparaitre, c'est-à-dire se présenter devant le juge d'instruction; elle doit satisfaire à la citation, c'est-à-dire déclarer tout ce qu'elle sait sur les faits du procès '. Telle est aussi la disposition des articles 304 et 355. « Art. 304. Les témoins qui n'auront pas comparu sur la citation du président ou du juge commis par lui, et qui n'auront pas justifié qu'ils en étaient légitimement empêchés, ou qui refuseront de faire leurs dépositions, seront jugés par la cour d'assises et punis conformément à l'article 80. » - « Article 355. Le témoin qui ne comparaîtra pas ou qui refusera soit de prêter serment, soit de faire sa déposition, sera condamné à la peine portée par l'article 80.

On a soutenu que ces mots de l'article 80, satisfaire à la citation, n'emportaient pas l'obligation de déposer; que, par conséquent, le témoin qui comparaissait devant le juge d'instruction et refusait de faire aucune déclaration n'était passible d'aucune amende. Mais alors quel serait le sens de ces termes? Qu'est-ce que satisfaire à une citation après avoir comparu? Et quand les articles 304 et 355 distinguent si nettement l'obligation de comparaître et l'obligation de déposer, comment ne pas apercevoir ces deux obligations dans les expressions non moins précises de l'article 80? On objecte « que la déposition des témoins devant le juge d'instruction n'est qu'un acte préparatoire, lorsqu'au contraire la déposition que le témoin est appelé à faire aux débats est définitive, en ce sens que, s'il refuse de la faire, tout est consommé »; mais, si les effets de la déclaration ne sont pas les mêmes, il ne s'ensuit pas qu'elle ne soit pas nécessaire; car il est nécessaire que l'instruction préalable connaisse tous les témoins qui peuvent influer sur la mise en prévention ou sur la mise en liberté de l'inculpé *.

1 Mangin, n. 106.

2 Carnot, De l'instr. crim., tom. I, p. 364.

3. Conf. Bourguignon, sur l'art. 80, et M. Mangin, n. 106.

1836. Nul ne peut être affranchi de l'obligation d'obtempérer à la citation sous le prétexte ou que ses déclarations pourraient lui porter préjudice, ou qu'il serait lié par la promesse de taire tout ou partie de la vérité, ou qu'il répugnerait à sa conscience soit de prêter serment, soit de faire des révélations en justice 1. L'intérêt personnel du témoin, de quelque nature qu'il soit, s'efface devant l'intérêt social, qui exige son témoignage; la convention qu'il aurait pu consentir est nulle, et sa persistance à l'exécuter pourrait devenir, dans certains cas, un véritable crime; enfin, ses opinions individuelles, quelque consciencieuses qu'elles soient, ne peuvent le dégager de ses obligations envers le pays.

Nul ne peut également invoquer, pour être exempté de déposer, soit une dignité, quelque élevée qu'elle soit, soit des fonctions, quelle que soit leur importance. Les articles 510 et suivants du Code d'instruction criminelle ont introduit à l'égard de certains dignitaires ou fonctionnaires une forme particulière pour recevoir leurs dépositions; mais ils ne sont pas dispensés de déposer; car, comment serait-il possible de priver la justice d'une déposition qui peut l'éclairer? Qu'importe le rang du témoin qui apporte la vérité? Et comment sa dignité serait-elle offensée par l'accomplissement d'un devoir qui incombe à tous les citoyens?

La loi reconnaît néanmoins trois causes qui peuvent dispenser le témoin tantôt de comparaître, tantôt de déposer après avoir

comparu :

1o Les excuses fondées sur une impossibilité de comparaître, telle que l'absence ou la maladie: la déposition, dans ce cas, peut être reçue soit par le transport du juge, soit par voie de commission rogatoire ;

2o Les prohibitions de déposer résultant soit de la parenté ou alliance entre les parties, soit de l'intérêt personnel du témoin au procès;

3o Les dispenses établies dans un intérêt d'humanité, dans un intérêt moral ou dans un intérêt social, en faveur de quelques personnes que leur profession oblige à garder les secrets qui leur sont confiés.

Nous allons examiner ces trois catégories d'excuses ou d'exemptions.

1 Mittermaïer, p. 322.

2 Conf. Jousse, tom. II, p. 78; Serpillon, tom. I, p. 450.

§ IV. Excuses des témoins.

1837. La personne citée pour comparaître devant le juge a la faculté de présenter des excuses.

Dans notre ancien droit, ces excuses prenaient le nom d'exoines. « On entend par exoine, dit Jousse, toute excuse légitime qui empêche une personne citée pour comparaître personnellement en justice de pouvoir obéir à la citation qui lui est signifiée 1. »

Ces excuses ne peuvent être fondées que sur l'impossibilité de comparaître. Ainsi, il ne suffirait pas que la personne citée prétendît n'avoir rien à déclarer sur l'affaire qui motive la citation; il ne lui appartient point d'apprécier l'utilité de sa déposition, ni même de prévoir l'effet qu'elle peut avoir; il ne lui appartient point non plus de discuter les ordres de la justice: il doit s'y soumettre. Il ne peut donc alléguer qu'une impossibilité *.

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Quelle doit être la nature de cette impossibilité? Doit-elle être exclusivement matérielle? Peut-elle être seulement morale? L'absence lointaine, la maladie grave, l'emprisonnement, l'inondation qui rend le chemin impraticable, sont des causes matérielles qui font évidemment obstacle à la comparution du témoin; mais, en dehors de ces causes, le témoin peut-il alléguer la maladie de ses proches, l'urgence de ses affaires, le soin de sa sûreté personnelle en temps de guerre ou de maladie épidémique? Les anciens légistes considéraient toutes ces excuses comme admissibles, lorsque celui qui les alléguait était de bonne foi L'article 81 du Code d'instruction criminelle laisse également au juge le pouvoir d'apprécier si les excuses sont légitimes; il n'en détermine point le caractère. Il serait en effet bien rigoureux, lorsqu'une personne citée pour comparaître à un jour fixé sollicite un bref délai pour obtempérer à cette citation, en motivant sa demande sur la maladie d'un membre de sa famille ou sur l'urgence d'un intérêt privé, de la considérer comme défaillante. Il ne faut pas confondre le retard qui se fonde sur un motif légitime et la désobéissance. La loi ne punit que l'infraction à l'ordre du juge *.

1 Tom. II, p. 298.

2 Jousse, eod. loc.

3 Julius Clarus, quæst. 34, n. 6; Farinacius, quæst. 11, n. 55; Menochius,

De arb. jud., cas. 153, n. 6.

4 Voy. suprà no 641.

Les principales causes d'excuse sont l'absence lointaine du témoin, son état de maladie et l'état de détention où il se trouve.

1838. Si la personne citée est absente au moment où la citation est faite, et qu'elle ne doive pas être de retour au jour fixé pour la comparution, le juge doit se borner à faire donner une nouvelle citation pour le jour où cette personne sera en mesure de se présenter 1

Si l'absence doit se prolonger et que la déposition soit indispensable, il peut la faire entendre, par voie de commission rogatoire, au lieu de sa résidence actuelle 2.

L'absence, pour être considérée comme une excuse, doit-elle précéder la citation? L'affirmative est évidente. Le témoin qui s'absenterait après avoir connu la citation se déroberait sciemment à son exécution, et pourrait être regardé comme refusant sa déposition. Serpillon enseigne mème que des témoins convaincus d'une pareille absence pourraient être condamnés aux dommages-intérêts des parties. Mais, s'il s'agissait d'une absence momentanée et motivée par quelque intérêt urgent, il pourrait faire valoir cet intérêt comme excuse et demander qu'il lui fùt imparti un délai nouveau pour comparaître.

1839. Si le témoin est dans un état de maladie tel qu'il lui soit impossible de comparaître, il doit adresser au juge le certificat d'un médecin ou d'un officier de santé qui constate cet état.

Si ce témoin habite dans le canton même où réside le juge d'instruction, ce magistrat doit, aux termes de l'article 83 du Code d'instruction criminelle, se transporter dans sa demeure pour recevoir sa déposition, et il faut ajouter que, dans ce transport, il ne doit point être accompagné du ministère public, puisque le ministère public ne doit point assister à l'audition du témoin 4. S'il habite hors du cantou, le juge d'instruction peut commettre le juge de paix3; s'il habite enfin hors de l'arrondissement, il requiert le juge d'instruction de l'arrondissement de sa résidence de procéder à son audition. Toutes ces règles ont

1 Carnot, tom. I, p. 365; Duverger, tom. II, p. 340.

2 Julius Clarus, quæst. 26, n. 3.

3 Tom. I, p. 457.

4 Jousse, tom. II, p. 84.

5 Art. 83, § 2, C. instr. cr.

6 Art. 84.

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