En effet, dans cette législation, les déclarations des témoins n'étaient reçues que par le juge de paix; ceux qui étaient amenés par le dénonciateur ou le plaignant pouvaient être entendus sans citation préalable; leur audition avait lieu sans serment et en présence du prévenu; enfin, les formes prescrites pour cette audition n'avaient la sanction d'aucune nullité, d'aucune pénalité 1. Le Code d'instruction criminelle transporte cette information au juge d'instruction; il veut qu'aucun témoin ne soit entendu sans citation préalable; il les astreint au serment; il exige que leur audition soit secrète et faite en l'absence du prévenu; enfin il garantit l'observation des formes qu'il prescrit par une amende portée contre le greffier et par la prise à partie contre le juge (article 71 et suivants). Ces différences sont importantes; elles indiquent que les déclarations écrites ont, sous notre législation actuelle, un autre but et d'autres effets que sous la législation antérieure. Il n'est plus possible, en effet, d'y voir, comme le déclarait l'instruction du 29 septembre 1791, de simples renseignements ne faisant aucune charge au procès et uniquement destinés à guider l'officier de police dans la direction de la procédure. Les déclarations écrites, revêtues de toutes les formes prescrites par la loi, ont aujourd'hui la même influence que sous l'ordonnance de 1670; sous le régime de cette ordonnance, elles faisaient preuve suffisante pour le règlement à l'extraordinaire, c'est-à-dire pour la mise en accusation; c'était sur le vu des charges de l'information que ce règlement était prononcé; mais elles ne suffisaient plus pour la condamnation; il fallait que les premières dépositions fussent confirmées par les récolements et les confrontations pour faire preuve entière des faits incriminės. Telle est la distinction que notre Code a continuée. Les déclarations écrites des témoins sont la base unique de la décision de la chambre du conseil et de la chambre d'accusation : c'est sur le vu des charges qu'elles renferment que la mise en prévention et la mise en accusation sont prononcées; leur autorité ne cesse qu'au moment où commence la procédure orale, et même elle ne cesse pas entièrement. Elles servent, en effet, de fondement à cette procédure comme autrefois aux récolements et confrontations; elles sont communiquées à l'accusé pour qu'il puisse préparer sa défense; 1 L. 16-29 sept. 1791, tit. IV; C. 3 brum. an IV, art. 111 et suiv. elles sont résumées dans l'arrêt de renvoi et l'acte d'accusation, qui sont lus aux jurés et forment la base du débat; enfin elles sont employées au contrôle des dépositions orales, qui sont incessamment mises en présence des premières dépositions 1. 1 1832. De là les précautions prises par la loi pour assurer la vérité de ces déclarations. Ces précautions deviendront plus rigoureuses quand les témoins se trouveront, non plus en face de l'instruction, mais en face du jugement; quand leurs dépositions seront l'élément, non plus seulement d'une mise en prévention, mais d'une condamnation. Mais toutes les règles qui s'appliquent à l'audition des témoignages, plus ou moins minutieuses, plus ou moins prévoyantes, suivant l'autorité que la loi y attache, ont un but uniforme, c'est de garantir la déposition du témoin contre toutes les erreurs qui peuvent la menacer, c'est de protéger la preuve testimoniale contre toutes les déviations de la vérité. Ces règles ont pour objet : 1o Les formes qui précèdent l'audition des témoins ; 2o Les dispenses ou prohibitions de témoigner qui ont été établies à l'égard de certains témoins; 3o Les formes qui accompagnent le témoignage; 4o Enfin, le mode qui doit être employé par le juge pour l'examen du témoin.. § III. Formes qui précèdent l'audition des témoins. 1833. Les formes qui précèdent l'audition des témoins ont pour objet de les désigner au juge d'instruction pour qu'ils soient entendus, de les avertir par une citation préalable de la déposition qu'ils sont appelés à faire, et de les contraindre à faire cette déposition au cas qu'ils fassent défaut ou qu'il y ait refus de leur part. Quels témoins le juge d'instruction doit-il faire citer devant lui? L'article 1er du titre VI de l'ordonnance de 1670 portait : « Les témoins seront administrés par nos procureurs ou ceux des seigneurs, comme aussi par les parties civiles. » Et de là on induisait que, sauf le cas de flagrant délit, le juge ne pouvait désigner lui-même les témoins qu'il voulait entendre dans l'information. Cette règle a-t-elle été maintenue par le Code d'instruction? L'article 71 porte : « Le juge d'instruction fera citer devant lui les personnes qui auront été indiquées par la dénonciation, par la plainte, par le procureur impérial ou autrement, comme ayant connaissance soit du crime ou du délit, soit de ses circonstances. Il est clair que ce texte diffère essentiellement du texte de l'ordonnance. Les témoins ne sont plus administrés par le ministère public ou les parties civiles; ils sont simplement indiqués, et cette indication lie si peu le juge que la loi met sur la même ligne celle du ministère public, du plaignant, qui n'est pas même partie civile, et du dénonciateur; le juge peut même la puiser en dehors des renseignements qui lui sont fournis par le ministère public ou le plaignant, puisqu'il doit faire citer les personnes qui lui sont indiquées autrement. Il est donc investi à cet égard d'un pouvoir discrétionnaire; il peut faire citer toutes les personnes qu'il juge convenable de faire entendre dans l'in 1 Desquiron, n. 112; Boitard, n. 94. struction. Quelle est la règle qu'il doit suivre à cet égard? Il serait difficile de la tracer avec précision. Sans aucun doute, il doit éviter d'appeler un trop grand nombre de témoins. C'est là un abus que la jurisprudence a toujours voulu refréner. La loi romaine le signalait aux juges : Quanquàm quibusdam legibus amplissimus numerus testium definitus sit: tamen ex constitutionibus principum hæc licentia ad sufficientem numerum testium coarctatur, ut judices moderentur, et eum solum numerum testium quem necessarium esse putaverint, evocare patiantur: ne effrenatâ potestate ad vexandos homines superflua multitudo testium protrahatur. De là la règle posée par les anciens légistes: Non debent testes in effrenato numero examinari. Mais dans quels cas le nombre des témoins était-il abusif? Ils ne le disent pas et n'auraient pu le dire. Il est certain que lorsqu'un fait est attesté par deux ou trois témoins, il est inutile d'en appeler un plus grand nombre pour faire preuve du même fait; mais chaque témoin peut apporter une circonstance nouvelle, un autre point de vue, et c'est prendre une grande responsabilité que de l'élaguer. Limiter l'instruction à un petit nombre de témoins, sauf 4 Arcadius, 1. 1, Dig., De testibus. 2 Farinacius, quæst. 80, n. 114. • les cas où le fait incriminé est simple et ne peut être contesté, n'est-ce pas fixer des bornes à la découverte de la vérité? Les instructions ministérielles n'ont cessé de prescrire aux juges d'instruction de restreindre le nombre des témoins qu'ils entendent'; nous sommes aussi de l'avis qu'il ne faut pas charger les procédures de dépositions inutiles, et l'intérêt d'économie des frais qui a dicté toutes ces instructions doit assurément être pris en considération; mais il ne faut pas que cet intérêt nuise à l'intérêt plus élevé de la justice; il ne faut pas que le juge, quand il aperçoit des doutes dans une affaire importante, hésite, dans la crainte d'augmenter les frais, à appeler tous les témoins dont il peut croire les déclarations utiles. La loi n'a déterminé ni le nombre des témoins à entendre, ni les conditions qui doivent faire préférer les uns aux autres. La seule règle que le juge doit observer, c'est de poursuivre la découverte de la vérité : s'il croit l'avoir atteinte par la déposition d'un petit nombre de témoins, s'il croit que ces témoins suffiront pour la prouver aux débats, il doit s'arrêter; ce serait une mesure frustratoire et abusive que d'appeler des témoins dont l'audition ne serait pas nécessaire. Mais si les premières dépositions qu'il a recueillies ne sont pas complètes; si elles ne suffisent pas à éclairer tous les faits incriminés; s'il croit que d'autres témoins peuvent fournir d'autres lumières plus étendues, comment hésiterait-il à les entendre? Sa fonction ne lui fait-elle pas un devoir d'instruire l'affaire? Et qu'est-ce qu'une procédure instruite, si ce n'est celle qui contient tous les éléments d'une décision éclairée ? Si le juge est investi d'un pouvoir discrétionnaire dans le choix des témoins qu'il fait citer devant lui, il ne doit néanmoins exercer ce pouvoir qu'au point de vue impartial de la manifestation de la vérité. Ainsi, d'une part, il doit entendre toutes les personnes qui lui sont particulièrement désignées, soit par le ministère public, soit par la partie civile, comme ayant positivement connaissance du crime ou de telle circonstance du crime; et, d'un autre côté, il doit également entendre celles qui lui seraient indiquées par le prévenu ou qui pourraient déposer en sa faveur; car l'instruction doit être faite à charge et à décharge. Ce n'est 1 Circ. min. de la justice des 8 mars 1817, 9 août 1825 et 16 août 1842. 2 Conf. Carnot, tom. I, p. 331; Legraverend, tom. I, p. 525; Duverger, tom. II, p. 315. pas pour prouver l'existence du crime et la culpabilité du prévenu que les témoins sont entendus, c'est pour établir la vérité, qui est le seul intérêt de la justice. Toutefois, en ce qui concerne les témoins qui seraient indiqués par le prévenu, il faut distinguer : le juge doit faire citer tous ceux qui sont présumés en état de déposer soit sur les faits ou circonstances des faits imputės, soit sur les faits justificatifs ou les excuses légales que le prévenu peut invoquer; mais quant à ceux qui n'auraient à déposer que sur sa moralité, il n'a pas et ne peut avoir l'obligation de les appeler 1. Au surplus, et en thèse générale, le juge d'instruction, en formant la liste des témoins, doit avoir les regards fixés sur les débats que subira l'affaire qu'il instruit : c'est en vue de ces débats, dont il doit prévoir les chances et les besoins, qu'il doit compléter les éléments de la preuve; ce n'est donc pas sa propre conviction qu'il doit consulter, mais la conviction qui devra se former à l'audience. Sans doute des témoins nouveaux peuvent ètre appelés aux débats; mais le principe de la procédure est qu'aucun témoin ne doit être entendu oralement si l'instruction écrite n'a d'abord recueilli sa déclaration; c'est là la principale garantie du témoignage; les témoins appelés en dehors de cette instruction ne font que révéler ses lacunes et ses négligences. 1834. L'article 71 porte que le juge d'instruction fera citer les témoins. C'est en effet une règle générale qu'aucun témoin ne peut être entendu dans une information sans citation préalable. Cette règle était consacrée par l'article 4 du titre VI de l'ordonnance de 1670 : « Les témoins, avant qu'être ouis, feront apparoir de l'exploit qui leur aura été donné pour déposer. » Il n'y avait d'exception, comme dans notre procédure actuelle, que pour le cas de flagrant délit. La raison de cette règle est que les témoins qui se présentent spontanément sont suspects pour ou contre le prévenu; qu'ils doivent être produits par les faits et ne doivent pas se produire eux-mêmes; qu'ils déposent avec plus de retenue et de réflexion quand ils sont appelés par le juge que lorsqu'ils viennent sans être appelés, rogati non fortuiti vel transeuntes veniant ; enfin, que leur empressement à déposer 1 Legraverend, tom. I, p. 256; Bourguignon, tom. I, p. 181. 2 Nov. 90, c. II, 1. 18, Cod., De testibus; 1. 11, Dig., eod. tit. |